Brasser les affaires en région de colonisation
Quand il s’agit de brasser les affaires en Outaouais au 19e siècle, nous découvrons des personnalités fortes, énergétiques et persévérantes. Ce troisième article de la série les Bâtisseurs de l’Outaouais se penche sur le monde des affaires de Robert Conroy d’Aylmer. Dès son arrivée dans la région de l’Outaouais au début des années 1830, la vapeur fournit l’énergie nécessaire aux premières manufactures ne pouvant pas compter sur les forces hydrauliques des eaux calmes du lac Deschênes dans cette section de la rivière des Outaouais. Dès 1840 autour du réseau des trois portages des Chaudières, c’est dans le domaine du transport que la vapeur sert bien les marchands d’Aylmer malgré les difficultés que lui posent les obstacles naturels de la rivière des Outaouais. Cette jeune municipalité est le dernier village à l’ouest de Montréal. D’ailleurs, les voyageurs, les travailleurs forestiers et les colons se rendent à Aylmer pour atteindre les pays d’En-haut grâce au réseau de transport mis en place par l’élite marchande du canton de Hull au Canada-Est. Robert Conroy sait d’abord s’illustrer en tant que marchand et hôtelier dans cette communauté riveraine ayant regard vers l’Ouest des Canadas.

La navigation et la vapeur Dans la région, les premiers bateaux à vapeur permettent le passage d’un nombre croissant d’immigrants et de marchandise voyageant en amont ou en aval de la chute des Chaudières dans le canton de Hull. Les succès d’Aylmer, le premier village du canton, reposent sur les moyens d’accéder à la partie supérieure de la rivière des Outaouais. Ainsi, l’élite d’Aylmer contribuent financièrement à l’essor du réseau routier et des voies d’accès à la rivière des Outaouais. Elle veille à développer des moyens de communication efficace afin d’inscrire la jeune communauté sur l’échiquier d’influence économique et politique de la région de l’Outaouais. Le débarcadère de L’abord-à-Symmes à Aylmer devient ainsi un lieu fort achalandé agissant à titre de point de liaison maritime et routier entre le Canada-Est, le Canada-Ouest et le Territoire du Nord-Ouest.

BACc013569k,
Robert Conroy, Esquire Il est intéressant de voir aux ambitions et aux aspirations d’une famille marchande du Canada-Est à travers un homme qui sait brasser les affaires en Outaouais. L’histoire du monde des affaires de Robert Conroy nous mène vers celle d’Aylmer. Déjà à la fin des années 1830, Robert Conroy a des champs d’intérêt commerciaux diversifiés à titre de marchand, de magasinier et d’hôtelier. Il connaît de près la problématique du transbordement et du transport au Canada grâce à ses contacts étroits avec les exploitants forestiers et les pionniers de la région. En s’installant à Aylmer, Robert Conroy collabore au développement des voies de communication et de transport. Il est parmi l’élite marchande de la région de l’Outaouais d’où son titre sur l’ensemble des documents légaux s’inscrit : Esquire.

BAnQ – 07H_P137S4D11P21
L’hôtellerie et les auberges Conroy
En 1834, Robert Conroy érige son premier hôtel, l’Aylmer, à proximité des bâtiments construits en 1822 par les Wright pour Charles Symmes sur la rue Principale[1]. Charles Symmes est d’ailleurs considéré de plein droit le fondateur du village d’Aylmer [2]. En 1836, Robert Conroy tient aussi l’auberge de pierre (auberge Symmes), menant au quai de L’abord-à-Symmes (Symmes Landing), jusqu’à la fin du projet de construction de son propre hôtel, le British. Quelques années plus tard, Conroy se porte acquéreur de ces installations qui comprennent l’auberge, le quai d’embarquement et le magasin-entrepôt et qui sont mieux connu sous le nom Symmes Landing[3]. Les hôtels et les services de transport soutiennent cette jeune communauté regardant rêveusement vers l’Ouest. «Symmes Landing prend vite figure de port de mer, alors qu’il n’était guère question de Bytown, encore moins de Hull[4]. » En collaborant ainsi avec les bâtisseurs de l’Outaouais, Robert Conroy s’engagent dans des démarches et des actions conduisant vers l’âge d’or d’Aylmer entre 1830 et 1870.

ca. 1841,
Bartlett, W. H. (William Henry), 1809-1854.
QUE. : Aylmer ca. 1841.
No. MIKAN 2840127
L’hôtellerie et le transport sur le lac Deschênes L’ensemble des hôtels sert de point de relais pour les voyageurs et les travailleurs en transit entre les chutes des Chaudières et le lac Deschênes. Un service de diligences assure la liaison routière de Hull et de Bytown par le chemin d’Aylmer jusqu’aux auberges Conroy sur la rive nord-ouest du lac Deschênes. Les passagers sont encouragés à passer leur nuit à Aylmer. Frais et dispos, les voyageurs s’embarquent au quai de L’abord-à-Symmes pour se rendre vers le nord-ouest des Canadas. Les services de bateau à vapeur assurent la navette entre Aylmer (comté d’Ottawa, Canada-Est) et la partie ouest au bas du Saults-des-Chats[5. D’ailleurs, le chemin Hull-Aylmer est la première route à jouir d’un service permanent de transport en Outaouais et ce, fonctionnel, en partie, douze mois par année[6].

En bas à gauche de l’image, il est possible de voir la route macadamisée : chemin d’Aylmer.
Hôtel British :
Symbole d’innovation en architecture

71, rue Principale Gatineau
Construit par Robert Conroy en 1834
Source : Patrimoine de la Commission de la capitale nationale du Canada,
page 37
C’est à la même période, entre 1834 et 1838, que Robert Conroy entreprend la construction de son fameux hôtel British[7]. L’architecture de l’hôtel British est réfléchie. Les murs de plus d’un mètre d’épaisseur protègent efficacement contre le froid hivernal. Selon Richard Bégin : « On rapporte qu’aucun autre hôtel ne pouvait s’y comparer au Canada, à l’époque; Bytown (Ottawa) n’avait alors qu’une simple cabane en bois rond comme hôtel, près du pont des Sapeurs.[8] » Au 19e siècle, l’hôtel compte plusieurs bâtiments, dont l’auberge originale, l’ancienne résidence des Conroy et l’écurie à l’arrière. Sur place, le voyageur bénéficie des services de location de chevaux et de voitures.
Haut lieu d’activités d’Aylmer
Servant autant pour les soirées mondaines, d’église, d’école, de salle d’assemblée au premier conseil municipal et temporairement, de Cour supérieure du district d’Ottawa, le luxueux hôtel British attire l’élite de passage dans la région. D’ailleurs, le prince de Galle est venu assister à un bal à l’occasion de son passage à Aylmer en 1860[9]. Selon les rumeurs, l’assassin de Thomas D’Arcy McGee s’est brièvement présenté aux funérailles de Robert Conroy, décédé le 8 avril 1868, le lendemain du meurtre[10]. Le premier ministre du Canada, John A. McDonald, est semble-t-il[11], aussi familier avec ce fameux hôtel d’Aylmer et enfin, toujours selon les rumeurs, Louis Cyr figure sur la liste des invités de passage en 1898[12]. Les seuls registres ayant survécu jusqu’à aujourd’hui nous révèlent qu’en 1895, il se tient une réunion entre Mackenzie Bowell (premier ministre du Canada), Sir Charles Tupper (son successeur quelques mois plus tard), Adolphe Caron (ministre des postes) et Julius G. Lay du consul général des États-Unis au Canada. Ces hommes séjournent au British pendant la même période où se discute la question des problèmes scolaires des écoles francophones du Manitoba[13]. Enfin, toujours selon Richard Bégin : « C’est aussi derrière ces murs de pierre que furent probablement conçu les projets d’un canal de la baie Georgienne, un projet qui fut la source de débats parlementaires pendant plus de 50 ans et qui aurait peut-être assuré l’avenir d’Aylmer.[14] » Ce projet était parmi les plans initiaux de liaison sur la rivière des Outaouais entre Montréal afin d’atteindre par la rivière Matawa et le lac Nippissing, la baie Georgienne et le lac Huron qui auraient transformé de façon inégale le développement économique des régions concernées dont faisait partie la région de l’Outaouais.

Fonds de la famille Conroy ;
Photographie – hôtel British
dans : Souvenirs Folder containing 16 photographic Views of Aylmer
Lumberer :
Marchand, négociant, politicien
À Aylmer, Robert Conroy et John Egan sont séduits par l’essor des activités de transbordement sur le lac Deschênes. Entre 1840 et 1850, Robert Conroy ne détient toujours aucune limite forestière[15], malgré le fait qu’il soit un négociant de bois et un marchand (lumberer[16]) ayant rapporté de nombreux radeaux de bois sur la rivière des Outaouais. Les lumberers jouent un rôle très actif dans leur communauté et plusieurs sont des politiciens à l’exemple de John Egan (maire d’Aylmer, député à l’Assemblée nationale) et Robert Conroy (échevin et maire d’Aylmer). À Aylmer, les habitants obtiennent la permission de constituer un village indépendant du reste du canton avec leur propre conseil élu en 1847[17]. Diane Aldred ajoute : « Grâce à leur persévérance et à leurs décisions éclairées, la ville (Aylmer) prospère et se développe à un rythme accéléré durant les années 1850 et 1860[18]. »

Bainbrigge, Philip John, 1817-1881.
Bibliothèque et Archives Canada, Acc. No. 1983-47-8 Copyright: Expired
Mikan no. 2833524
Le transport de bois sur la rivière des Outaouais

John Egan a de grandes concessions forestières dans les comtés de Renfrew (rivière Madawaska et région de Chalk River au Canada- Ouest[19]) et du Pontiac (Canada-Est)[20]. Grâce aux vastes limites forestières de la famille McConnell et de John Egan ainsi que ses liens avec les marchands locaux, Robert Conroy se démarque dans l’acheminement des ressources forestières dans la région de l’Outaouais. Cette association donne au commerce du bois un caractère systématique d’une entreprise[21]. Ces hommes fondent des entreprises, des villages, voire même l’ambition d’un pays[22]. Ils ont une influence considérable sur la main d’œuvre et la colonisation en Outaouais. Il reste alors à acheminer le bois au bas de la chute des Chaudières. Ainsi, les grands radeaux de bois poursuivent leur route vers le sud et les États-Unis par le canal Rideau ou par la rivière des Outaouais vers Montréal pour ensuite rejoindre le fleuve vers Québec où attendent les marchands britanniques afin d’exporter les grosses pièces de bois équarri vers la Grande-Bretagne.

1838.
Aquarelle avec touches d’encre noire et raclage sur crayon sur papier vélin.
Bainbrigge, Philip John, 1817-1881.
BAC- MIKAN no. 2896090.
Transport du bois sur le lac Deschênes
Avant Egan : « Le commerce du bois sur la rivière des Outaouais n’était rien de plus qu’une aventure insensée[23]. » Les lumberers sont de l’élite de la région de l’Outaouais. Les titres de noblesse souvent associés à ces rois et aux barons des forêts démontrent de l’autorité que ces hommes exercent sur l’économie régionale. Les lumberers détiennent généralement de larges limites forestières, souvent des terres de la Couronne, et gèrent une main-d’œuvre abondante. John Egan innove en creusant des canaux pour faire passer les ressources et en installant des scieries pour que le bois soit coupé sur place. Egan cherche aussi à retenir la main d’œuvre près de ces concessions forestières. Alors, il encourage l’ouverture au peuplement sur les deux rives de la rivière des Outaouais. Les grands lumberers voient à la production, à la transformation, au transport et au financement de l’industrie du bois. Ils assument alors tous les risques dans le domaine de la foresterie. D’ailleurs, Gaffield ajoute : «Étant donné la forte stratification des groupes économiques dans la région, quelques membres se révèlent plus en mesure que d’autres de se protéger : certains font face à la faillite, d’autres à la misère[25]. »

Hopkins, Frances Ann, 1838-1918.
BAC no Mikan – 2838095
Difficultés du transport fluvial au 19e siècle

John Elliott Woolford (1778-1866).
Musée des beaux-arts du Canada, 42324.80.
La stabilité dans le transport est un facteur d’influence où les risques déterminent le succès ou la perte de l’élite marchande, car il peut s’écouler de 6 à 24 mois avant que le bois sorti de la forêt fasse son entrée sur le marché d’exportation. Les prix du bois peuvent fluctuer énormément en peu de temps. Il importe ainsi pour le lumberer de profiter du marché quand les prix sont profitables. À ces débuts, Robert Conroy investit d’avantage dans l’établissement de quais d’embarquement plutôt que les limites forestières. Il détient entre autres, des installations permettant le transport entre le Saults-des-Chats et les rapides Deschênes.

Topley Series SC
Credit: William James Topley/Library and Archives Canada/PA-009336
Restrictions on use: Nil
Copyright: Expired
MIKAN no 3319056
Robert Conroy exerce une influence certaine sur l’ensemble de l’activité fluviale sur le lac Deschênes. Il est installé dans la région de Bonnechère (dont le lac et la rivière sont un affluent de la rivière des Outaouais, Canada-Ouest). Ces installations comprennent un quai d’embarquement et un magasin-entrepôt. De ces installations, le bois s’achemine par un réseau de glissoirs au bas des chutes au Chat atteignant ainsi la partie la plus à l’ouest du lac Deschênes. Au retour, les services de navigation à vapeur assurent le transport de la main d’œuvre, des colons et de la marchandise nécessaire au développement de la vallée de l’Outaouais au 19e siècle.

Circa : 5 July 1899
Library and Archives Canada / PA–058031
MIKAN no 3372374
Le quai d’embarquement d’Aylmer Déjà en 1836, Charles Symmes invite Robert Conroy à gérer ses installations au quai de débarquement installé au bout du chemin d’Aylmer à L’abord-à-Symmes (Turnpike End)[29]. La famille Conroy vient qu’à acquérir ces installations. C’est aussi à Aylmer que Robert Conroy s’affaire à recruter la main-d’œuvre nécessaire à l’exploitation forestière sur l’Outaouais supérieur. Une publicité parue dans le journal, The Citizen de 1851, annonce : « The following gentlemen, resident in the neighbourhood will furnish on application all needful advice and information ; and they have undertaken to give the fullest direction to Emigrants, whether their subject be labour or Settlement[30]. » Robert Conroy, Esquire, fait partie de la liste de ces recruteurs. D’ailleurs dès les années 1850, Robert Conroy est un acteur important dans le recrutement de la main-d’œuvre et dans l’établissement des colons en Outaouais[26]. L’industrie forestière attire plus de 25 000 à 30 000 hommes à cause de l’accroissement de la demande pour les ressources forestières de la région de l’Outaouais[27]. Conroy n’hésite pas à utiliser son influence pour contrôler la main-d’œuvre comme en fait foi cette notice publiée dans l’Aylmer Times, le 22 août 1856: Ran Away – Public Notice is hereby given, that Francis Hilaire, Joseph Perrin, Noah Fortier and M. A. Fortier have absconded from my employment, while the term for which they were engaged, is yet inexpired. Any person HIRING or EMPLOYING THESE MEN will be prosecuted by the Subscriber. -Robert Conroy[28]. La descente vers la chute des Chaudières

À l’extrémité nord-est du lac Deschênes aux rapides, il y a un à trois magasins ainsi qu’un entrepôt pour le commerce des fourrures et un poste de traite toujours en activité en 1883[31]. Après 1860, l’acheminement du bois se poursuit sur la rive sud de l’Outaouais dans le canton de Nepean[32]. Conroy a là-aussi un quai d’embarquement donnant alors un accès à la ligne de chemin de fer du Canadien Pacifique. D’ailleurs, le passage des radeaux de bois sur l’ancien site des trois portages de la rivière des Outaouais exigeait à démanteler les nombreux radeaux des trains de bois et à faciliter ainsi les opérations risquées à partir des rapides Deschênes[33]. Il peut s’écouler jusqu’à deux semaines pour en venir à bout de cette opération dans la première partie du 19e siècle.

ca 1836-1842.
Aquarelle avec raclage sur crayon sur papier vélin.
Bainbrigge, Philip John, 1817-1881.
BAC- MIKAN no. 2896083.
Descente des chutes au Chat

Bartlett, W. H. (William Henry), 1809-1854.
BAC – Mikan no. 2934410.
L’expérience dans le transport du bois n’est pas étrangère à Robert Conroy. Déjà en 1820, les frères McConnell, dont son beau-père, William McConnell, acheminent de grands radeaux de bois vers les rapides Deschênes de partance du lac Témiscamingue[34]. Les risques sont nombreux. Les hivers où il y a peu ou trop de neige rendent difficile le travail sur les chantiers. Avec peu de neige vient un faible débit des rivières compromettant la drave à cause des nombreux embouteillages sur les affluents de la rivière des Outaouais. Cette situation empêche les scieries de fonctionner à leur pleine capacité au printemps compromettant ainsi l’ensemble de la haute saison de sciage. Au contraire, lorsque le débit de la rivière des Outaouais est trop fort, on risque de voir se démanteler de façon spontanée les radeaux de bois. La forte crue des eaux risque aussi de submerger les scieries les arrêtant complètement de fonctionner tant qu’elles sont submergées[35].

ca 1836-1842.
Aquarelle avec raclage sur crayon sur papier vélin.
Bainbrigge, Philip John, 1817-1881.
BAC- MIKAN no. 2896084.
L’ouverture de l’Ottawa Valley L’Ottawa Valley est cette vaste vallée du bassin fluvial de la section supérieure de la rivière des Outaouais située entre le lac Témiscamingue et les rapides Deschênes. C’est dans la vallée de la rivière Madawaska qu’Egan installe ses premières scieries à proximité de ses limites forestières. Il contribue directement à l’essor économique du comté de Renfrew (Canada-Ouest) fondant même le village Eganville. Il fait de même sur la rive nord de la rivière des Outaouais dans le comté du Pontiac (Canada-Est). Les lieux d’établissement assurent ainsi la stabilité de la force ouvrière de l’Ottawa Valley sur les deux rives de la rivière des Outaouais. Le service des bateaux-vapeur est assuré depuis Aylmer jusqu’à l’extrémité ouest du lac Deschênes (Frizroy Harbour, Canada-Ouest et Quyon, Canada-Est) par la Upper Ottawa Steamboat Company, dont Robert Conroy est actionnaire[36] ou la Compagnie Union Forwarding, dont Egan est propriétaire. La descente du bois d’Egan passe par un réseau de glissoirs pour atteindre les quais de transbordement de Robert Conroy et, ensuite, le lac Deschênes, cette partie élargie de la rivière des Outaouais. Ainsi, à leur retour, les bateaux à vapeur s’affairent à remorquer les radeaux de bois assemblés en amont du lac Deschênes. Le bois s’achemine de façon plus régulière avec l’usage des bateaux-remorques qui font la navette entre les rapides des Chats et Aylmer ou jusqu’aux rapides Deschênes à l’extrémité est du lac. Sur la rive nord des rapides Deschênes, une mystérieuse scierie y est installée depuis le début des années 1830[38]. À cet endroit, il se trouve aussi les terres des frères McConnell et le poste de traite Day-McGillivray[39]. À partir des rapides Deschênes, il peut s’écouler deux semaines pour en venir à bout des opérations nécessaires pour faire passer les radeaux de bois par le réseau des trois portages à partir des rapides Deschênes afin d’atteindre le bas de la chute des Chaudières à Hull (Gatineau) et Bytown (Ottawa).

Aquarelle sur crayon sur papier vélin.
Bainbrigge, Philip John, 1817-1881.
BAC -MIKAN no. 2896304.
Contrôle du transport sur le lac Deschênes
Les activités de transbordement sont nécessaires sur la rivière des Outaouais, car les risques et les dangers associés au transport y sont nombreux à cause des chutes et des rapides. Par exemple, le lac Deschênes est un grand élargissement de la rivière des Outaouais et il s’étire sur environ 30 kilomètres, en amont de la chute des Chaudières. Ce bassin fluvial naturel est situé entre deux grandes descentes de la rivière des Outaouais. Aux rapides et aux chutes des Chats, la descente est de 12 mètres avant d’atteindre les eaux calmes du lac Deschênes. En aval, le voyageur atteint le réseau des trois portages de la chute des Chaudières. Ce réseau de route et de sentiers permet de contourner la descente de 18 mètres sur cette section de la rivière des Outaouais. Le poste de traite aux rapides Deschênes est un lieu d’arrêt obligatoire pour tous les voyageurs qui ne s’arrêtent pas à Aylmer. L’ajout d’un réseau routier permanent est nécessaire pour assurer l’accès aux lieux de transbordement 12 mois par année. Le chemin d’Aylmer, par exemple, permet de contourner les obstacles naturels sur une distance de 13 kilomètres arrivant ainsi à contourner la descente des rapides et l’immense cataracte des Chaudières marquant à elle seule un dénivellement de plus de 10 mètres de hauteur [40].

Juillet 1838.
Bainbrigge, Philip John, 1817-1881.
BAC- MIKAN no. 2896137.
En assurant les activités de transport sur le lac Deschênes, la famille Conroy se démarque dans l’activité fluviale et le développement du transport en Outaouais. Ses efforts dans le développement du réseau de communication et de ses activités de transbordement assurent la prospérité de ce lumberer du comté de l’Ottawa du Canada-Est. Conroy et ses associations d’affaires arrivent à intégrer les activités de transbordement sur le lac Deschênes à un réseau de transport complexe exigeant un grand nombre d’infrastructures afin d’assurer une activité fluviale efficace, surtout dans le domaine du bois équarri et de sciage sur la rivière des Outaouais jusqu’au début de la première guerre au 20e siècle. Bien que Robert Conroy n’obtienne que le titre de baron du bois, il va de soi qu’il est le roi du transport des ressources et de la main d’oeuvre du domaine de la forêt sur les eaux calmes du lac Deschênes.
![[Conroy Lumber Mills] Bibliothèque et Archives Canada, a013224-v6, MIKAN # 3371910](https://lynnerodier.files.wordpress.com/2014/11/a013224-v6.jpg?w=1108)
Bibliothèque et Archives Canada, a013224-v6,
MIKAN # 3371910
Témoins de la prospérité de la famille Conroy
Par ailleurs, le patrimoine immobilier de la famille Conroy démontre de son influence à Aylmer. Cette famille réside d’abord dans la grande maison à ossature de bois au 78 rue Principale qui fut construite par Philemon Wright pour son neveu, Charles Symmes en 1822. Les Conroy y résident entre 1834 et 1841. Les biens fonciers des Conroy témoignent de leur prospérité. Elle dirige quatre hôtels dans le village dont l’auberge de pierre Symmes et le luxueux hôtel, le British, où la famille y réside jusqu’en 1845[41]. La famille aménage ensuite sa première résidence de pierre au 72 Principale, maintenant appelée la maison Conroy-Driscoll. En 1855, elle s’installe dans une des résidences de pierre des plus prestigieuses, Lakeview, au cœur du village d’Aylmer, à une distance de marche de leurs hôtels et de L’abord-à-Symmes. « Lakeview témoigne de la prospérité de Conroy » selon Diane Aldred. Située au 61, rue Principale, cette maison de pierres polies est entourée de deux acres de terrain et elle a alors une vue splendide sur le lac Deschênes. « Vers 1860, Robert Conroy achète l’ancienne maison de Moses Holt pour la louer ensuite à différents locataires jusqu’en 1885[42].»
Les rapides et le lac Deschênes On commence tout juste à comprendre que les rapides et le lac Deschênes jouent un rôle important dans les activités de transbordement et le transport fluvial au 19e siècle. La famille Conroy détient un vaste inventaire foncier le long du chemin d’Aylmer menant aussi à leur homestead riverain de L’abord-à-Symmes et leurs luxueux hôtels de ce premier village du canton de Hull sur les rives du lac Deschênes. Il demeure que l’essor aux rapides Deschênes ne fait toujours pas partie des préoccupations de Robert Conroy. Il ne met pas en place les premières industries de cet ancien poste de traite aux rapides Deschênes. C’est à son épouse, Mary McConnell, que reviennent les titres de cette propriété. En fait, William McConnell, le père de Mary, semble détenir les titres du lot 15-a aux rapides Deschênes. Il transfère ses droits à sa fille, Mary McConnell, pour la somme symbolique de cinq shillings, le lot riverain de 100 acres ayant appartenu à son oncle, James[43], avec la permission de son époux et la collaboration de son père, William[44], de son cousin Richard[45], de Charles Symmes et de Murdoch McGillivray[46]. Ainsi, en 1857, Mary McConnell, l’épouse de Robert Conroy, se porte acquéreur du lot 15-a, rang 1, de son oncle James, donnant accès à la scierie et aux routes principales du canton de Hull. C’est sur cette propriété que la famille Conroy y modernise les scieries et le moulin à farine. À son tour, Robert Conroy acquiert le lot 15-b, rang 1, où se trouve cette ancienne scierie et le poste de traite aux rapides Deschênes en 1860.

Source : Bibliothèque et Archives Canada C-002772
Crédit : Bibliothèque et Archives Canada Acc. No. 1989-401-4
Conclusion de la partie 3 de 4
L’histoire de la famille Conroy à Deschênes laisse entrevoir une autre histoire au moment que s’achève l’âge d’or d’Aylmer. Elle se penche sur le vécu d’une femme d’affaires prenant possession d’une terre au 19e siècle avec la permission de son époux[47]. Mary McConnell doit en temps que veuve assurer l’établissement de la majorité de ses enfants qui sont encore d’âge mineur[48]. « Jusqu’à présent, à Québec comme ailleurs, elles (les femmes) n’ont cessé d’occuper une place importante, mais très souvent discrète, dans la création et la direction d’entreprises de toutes sortes[49]. » Mary McConnell ne se distingue pas des autres femmes d’affaires nées au Bas-Canada. « Outre le soin des enfants, elles jouent un rôle de premier plan dans le maintien des relations familiales et sociales et prennent en charge la conduite des affaires de leur mari[50]. » C’est au décès de son époux, en 1868, que la veuve, Mrs Robert Conroy[51], voit directement au développement des premières industries aux rapides Deschênes. Desrochers ajoute : « Le fait que plusieurs épouses ont été en mesure de prendre la relève au décès de leur mari montre à quel point elles étaient intégrées à la gestion des affaires durant leur mariage[52]. » Ainsi, on attribue habituellement à Robert Conroy ou à ses fils l’essor des premières industries à Deschênes et il se sous-estime alors le rôle de Mary McConnell dans l’essor des industries et d’une ferme prospère faisant partie de l’inventaire de la famille Conroy au moment même que l’âge d’or d’Aylmer amorce son déclin.
BAC-MIKAN 3371909