Étiquette : Famille Conroy

Qui est Mary McConnell-Conroy ?

Qui est Mary McConnell-Conroy ?

Cette pionnière hors de l’ordinaire figure parmi les bâtisseurs de la région de l’Outaouais. Née en 1816, Mary fait partie des McConnell, une illustre famille qui œuvre à l’exploitation forestière et au développement agricole dans la région. En 1837, elle épouse Robert Conroy, un ambitieux marchand, avec qui elle a dix enfants. Le couple s’établit à Aylmer et y fait construire l’hôtel British.

Par la suite, les McConnell-Conroy investissent surtout dans le développement des services de transport, comme les glissoires à bois, les quais d’embarquement, le chemin macadamisé d’Aylmer, les ponts et les services de diligence.

En 1857, Mary achète la ferme des rapides Deschênes qui devient l’une des fermes laitières les plus prospères de l’Outaouais. À la mort de son mari, en 1868, elle prend les rênes des entreprises familiales et elle modernise leur scierie. Plus tard, elle construit une deuxième scierie et y conduit le rail. Ses scieries produisent jusqu’à 30 millions de pieds de planche en une saison et emploient 200 travailleurs. Cette effervescence économique permet d’établir les bases du village de Deschênes Mills, en bordure de la rivière des Outaouais.

Conroy Mills, View from the Island
Juillet 1887
Studio Topley, Bibliothèque et archives Canada
Mikan : 3422109

À sa retraite, elle lègue ses entreprises à ses enfants. Elle décède en 1887. À la suite, ses fils, Robert et William Conroy, construisent une centrale hydroélectrique sur les rapides Deschênes pour alimenter les quartiers environnants, les usines et le tramway reliant Hull et Ottawa à Aylmer. Les fondations du barrage hydroélectrique sont d’ailleurs encore visibles.

Le sens aigu des affaires de Mary McConnell-Conroy pourrait faire d’elle une baronne du bois, titre réservé aux hommes de l’époque.

Ruines des scieries, barrage et du glissoir des rapides Deschênes
Ile Mary McConnell, 2019
L. Rodier
Allocution à la remise des méritas d’excellence des élèves en histoire

Allocution à la remise des méritas d’excellence des élèves en histoire

Allocution à la salle des fêtes, Maison du citoyen à Gatineau, 16 mai 2019,

pour la Société nationale des Québécoises et des Québécois.

Merci tout spécial à mon amie, Sophie Tremblay… Quelle belle collaboration à la rédaction !

Bonsoir à tous et à toutes,

Je vous remercie de vous être déplacés en grand nombre pour souligner les efforts et les succès des jeunes que nous célébrons ce soir. Je tiens également à remercier la Société nationale des Québécois de l’Outaouais, plus particulièrement leur vice-président, M. Alexandre Cubaynes, pour cette aimable invitation. Je me sens privilégiée de pouvoir m’adresser à vous ainsi et je tiens particulièrement à féliciter chacun des récipiendaires de cette soirée pour leur réussite remarquable. Je souhaite également souligner l’apport de leurs enseignantes, de leurs enseignants et de leurs parents qui ont su cultiver ce succès.

Tout d’abord, je tiens à me présenter, je suis Lynne Rodier. Je suis enseignante en univers social au secondaire depuis plus de 20 ans. J’ai également enseigné au primaire avant cela. De plus, je compte plusieurs cordes à mon arc en histoire. En fait, je détiens une maîtrise en histoire, je suis bientôt candidate au doctorat en muséologie et patrimoines, je suis autrice, conférencière, chercheure et guide-interprète.

Cette présentation a pour moi une signification toute particulière. En effet, ce soir, j’ai l’impression de boucler la boucle avec vous, car j’ai décidé de prendre ma retraite de l’enseignement après plus de 30 ans à partager ma passion et mes projets avec mes élèves. C’est donc avec fierté que je souhaite vous passer le flambeau et prendre un nouvel envol vers d’autres projets qui m’allument dans le domaine de l’histoire et du patrimoine de la région de l’Outaouais.

Le message que je souhaite vous transmettre ce soir est qu’il est essentiel de préserver le patrimoine en Outaouais. Selon moi, sauvegarder les lieux de mémoire nous permet de mieux construire le futur. Ces lieux sont vulnérables, mais ils nous parlent. Il est bien facile de laisser la modernité prendre le dessus sur ce passé si riche. Nous n’avons qu’à penser au quartier de l’île de Hull qui a disparu abruptement sous les pics des démolisseurs en 1969 pour faire place aux ternes édifices gouvernementaux. D’ailleurs, ce projet a été plus ravageur en terme de destruction de bâtiments que le feu de 1900 qui a détruit ce même secteur. Ce n’est pas rien.

De plus, l’histoire est primordiale pour comprendre les différents enjeux de notre société. C’est en regardant vers l’arrière que nous réussissons à porter un regard neuf sur ce qui se passe autour de nous et dans le monde entier. Il n’y a qu’à penser au débat sur l’anticléricalisme qui a bouleversé l’élite canadienne-française vers la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle. Mais, savez-vous sur quoi portait ces contestations? Il s’agissait d’un débat sur la place de l’Église au sein de l’État. Ça vous sonne une cloche? En effet, de nos jours, nous vivons un débat semblable, soit le débat sur la laïcité… Il est donc pertinent de se pencher sur le débat sur l’anticléricalisme pour faire un parallèle avec ce que nous vivons aujourd’hui, pour prendre un certain recul sur le débat et pour confronter les divers points sous un autre angle.

L’histoire nous permet également de garder l’esprit ouvert. En allant à la rencontre des gens du passé, nous pouvons constater les origines diverses qui ont forgé notre société gatinoise. Par exemple, un des premiers propriétaires terriens de Pointe-Gatineau et étroit collaborateur de Philemon Wright, London Oxford, était un homme de race noire. De plus, c’est à Gatineau qu’a été élu Jean Alfred, le premier député d’origine haïtienne à l’Assemblée nationale du Québec en 1976. Nous devons donc tirer notre force de cette mixité.

Nous n’avons qu’à penser aux Algonquins qui ont aidé les premiers colons à s’établir dans la région. Par la suite, il est impossible de comptabiliser les différentes vagues de migrants qui sont venus s’installer parmi nous. Que ce soit les Canadiens-Français, venus grossir les rangs des travailleurs du bois et des usines en pleine phase d’industrialisation, les Américains, établis à la chute des Chaudières, les Allemands qui se sont installés dans le Pontiac, les Irlandais catholiques ou protestants qui ont fondé des petits villages un peu partout dans la région, les Écossais de Wakefield, de Shawville et de Clarendon, les Polonais de Buckingham ou les Portugais du Vieux-Hull, chaque communauté a su apporter ses couleurs et ses valeurs pour bâtir la société dans laquelle nous nous épanouissons aujourd’hui.

Par ailleurs, nous avons été fortement ébranlés dans les dernières années par l’arrivée des migrants venus de Syrie. Cependant, force est de constater que la communauté arabe, par exemple, les Kayouk et les Assad, s’est intégrée à notre collectivité dès le début du 20e siècle.

D’autre part, l’histoire nous outille pour faire face à la musique et nous donne du poids pour débattre des différents sujets qui nous occupent. Prenons comme exemple le phénomène actuel des Fake News. Sans une compréhension profonde de notre monde, il est impossible de départager le vrai du faux. Nos connaissances et nos capacités d’analyse acquises dans le cadre de l’étude de cette discipline nous permettent de rester critiques face au flot d’informations qui nous submerge chaque jour.

En fait, pour réussir à percer en histoire, il faut faire preuve d’une curiosité presque obsessive. Il faut persévérer pour aller au fond de l’investigation, découvrir un filon ou explorer une nouvelle source. En effet, une recherche historique fonctionne comme une enquête policière, mais sans témoin direct des faits. Tel un enquêteur, il faut creuser, établir des hypothèses, avancer, reculer et fouiner un peu partout pour découvrir les réalités du passé. Même si certains trouvent cela un peu bizarre, rien ne peut égaler le sentiment de tenir dans ses mains un artefact rare, de respirer l’odeur des archives enfermées durant des décennies, de marcher sur les traces de nos bâtisseurs ou de réussir à prouver que l’homme que l’on cherchait depuis des mois était en fait… une femme! C’est cette adrénaline, ce marathon de recherches, qui anime ma passion pour l’histoire!

En fait, l’histoire est partout autour de nous, elle se trouve sous nos pieds sans même que nous en soyons toujours conscients. Pour la découvrir, il s’agit d’être attentif et d’observer ce qui nous entoure pour tenter de comprendre différents aspects du passé. Pour vous illustrer cela, je vais vous raconter ce qui m’a menée à rédiger mon essai de maîtrise.

Tout d’abord, j’ai toujours eu beaucoup d’affection pour le village de Deschênes, dans l’ouest de la ville de Gatineau. Ma grand-mère y résidait et j’y ai passé de longues journées durant mon enfance. Les sentiments de liberté et de bonheur que j’y ai ressentis ont forgé ma personnalité. Mes souvenirs sont teintés par la convivialité qui y régnait et l’entraide dont faisait preuve ses habitants. Donc, c’est de façon naturelle qu’étant devenue adulte, j’ai développé le besoin de préserver le souvenir de ces lieux enchanteurs à mes yeux.

Mon périple a débuté à cause de l’imposante maison grise, située au 84 rue Vanier, derrière le Tim Horton. Je voyais cette maison depuis mon enfance et son aspect m’avait toujours intriguée. Elle était unique en son genre, différente de ses voisines. Je souhaitais de tout cœur découvrir son histoire, en apprendre plus sur ceux qui l’avaient érigée et ceux qui l’avaient habitée. Ce fut donc le point de départ de cette aventure.

Pour en apprendre plus sur cette maison, j’ai commencé par consulter les registres fonciers couvrant la période de 1900 à nos jours. Malheureusement, les registres précédant avaient été détruits pour la plupart par l’incendie de Hull en 1900 ou par celui d’Aylmer en 1921. Devant cette impasse, je me suis repliée sur les cartes d’assurance incendie, les photos aériennes datant du début du 20e siècle et les cadastres municipaux de l’époque. Ces recherches ont été mitigées, car cette fameuse maison n’apparaissait pas toujours sur ces documents officiels.

Cependant, toutes les informations recueillies pointaient vers une illustre famille de l’époque : la famille Conroy d’Aylmer. Les avoirs de cette famille étaient richement étoffés dans un fonds d’archives situé à la bibliothèque et archives nationales du Québec de Gatineau. Ce fut pour moi une véritable illumination. Un enfant dans un magasin de bonbons ne pouvait être plus heureux que moi devant cette découverte! Je ne tenais plus à terre. Il me tardait de parcourir toutes ces précieuses archives pour découvrir les origines de ma maison.

J’ai passé de longues heures à me pencher sur ces documents sans me lasser, découvrant peu à peu l’histoire des Conroy, une famille de bâtisseurs de notre région. Je fus rapidement attirée par la mère de ce clan, Mary McConnell, une femme exceptionnelle qui n’avait pas froid aux yeux et qui était très avant-gardiste pour son temps. Mary était la fille de William McConnell, un associé de Philemon Wright, le fondateur du canton de Hull. Elle faisait donc partie de la haute société de l’époque. Elle se maria avec Robert Conroy, un aubergiste prospère d’Aylmer qui fit fortune et devint un des barons du bois du 19e siècle. Elle s’investit dans l’entreprise familiale et reprit les rennes de cet empire de main de maître à la mort de son époux.

Les possessions de la famille sont impressionnantes. Il n’y a qu’à penser à l’hôtel British, à l’auberge Symmes, à la maison Lakeview, à la maison Conroy-Driscoll, au cimetière Bellevue ou à la maison Conroy-McDonald, qui a été détruite par un incendie l’hiver dernier. Tous ses sites et ses bâtiments sont encore visibles à Aylmer et font partie du répertoire du patrimoine culturel du Québec.

Par la suite, les fils de Mary prirent la relève de l’empire familial et développèrent les centrales hydroélectriques de Deschênes, le tramway et un ancêtre de la moissonneuse-batteuse.

Et, de fil en aiguille, je me suis éloignée de ma fameuse maison grise, qui était d’ailleurs devenue beige entre temps… Mary est devenue le sujet de mon essai et elle continue, même après toutes ces années, à occuper mon esprit. Plusieurs projets pour la faire connaître à un plus large public m’habitent. Elle a, entre autres, été personnifiée l’été dernier par une comédienne de la troupe de théâtre La dérive urbaine de Gatineau qui fait des visites guidées du quartier du musée.

Par ailleurs, plusieurs autres projets passionnants traitant de l’histoire de Gatineau vont de l’avant actuellement. Prenons comme exemple le projet Zibi, qui se construit sur un ancien lieu sacré autochtone et sur un ancien site industriel. Il y a également la promenade de la rue Jacques-Cartier qui rend hommage aux cageux et aux draveurs, ces valeureux travailleurs du bois. Souvenez-vous également de la bataille pour sauver le quartier du musée de Hull qui a eu lieu l’an dernier. L’intérêt pour le domaine de l’histoire de l’Outaouais est en pleine effervescence et n’attend que votre contribution!

Vous, les jeunes, êtes l’avenir de l’histoire. L’apport de votre génération est nécessaire pour sa préservation et sa conservation, car, sans vous, tout peut se perdre au profit de l’instantanéité.

Il faut également garder à l’esprit que le présent que nous vivons aujourd’hui est ce qui formera l’histoire de demain. Pensez aux inondations de ce printemps, au règne de Trump à la tête des États-Unis ou même au fameux jeu Fortnite. Tous ces événements que nous vivons sont documentés et seront étudiés, analysés et interprétés par les prochaines générations d’historiennes et d’historiens. Imaginez un moment la tête que feront les historiennes ou les historiens du futur lorsqu’ils découvriront les vidéos de la Floss Dance!

Enfin, l’histoire est vivante et elle est constamment en mouvement. Il s’agit de mettre la main sur une pièce d’archive, un artefact ou un témoignage oublié pour constater à quel point toute notre vision des événements peut se transformer. Que vous songiez à devenir historienne ou historien ou non, je souhaite que l’étude de l’histoire vous aide à forger votre identité et vous mène plus loin dans votre cheminement. Encore une fois, je vous félicite pour votre succès exceptionnel et je souhaite que votre ouverture sur le passé vous aide à tracer votre chemin vers le futur pour devenir des citoyennes et des citoyens engagés dans notre société.

William Jackson Conroy et l’hydroélectricité aux rapides Deschênes

William Jackson Conroy et l’hydroélectricité aux rapides Deschênes

Par Lynne Rodier et Sophie Tremblay

La région de l’Outaouais s’est construite grâce à l’audace et à l’esprit d’entreprise de grands bâtisseurs. Le village de Deschênes, aujourd’hui annexé au secteur Aylmer de la ville de Gatineau, a été particulièrement influencé par la famille Conroy. Tout d’abord, le prospère marchand de bois, Robert Conroy, y laisse sa trace par l’achat et par l’exploitation de l’ensemble des propriétés et des moulins situés sur le site de Deschênes entre 1857 et 1860. Sa veuve, Mary McConnell, prend la relève des affaires de son époux en 1868. Elle modernise la scierie, en construit une deuxième et amène le rail près des usines.

e011160356 À la suite de leurs études à l’université McGill de Montréal, leurs fils, William Jackson et Robert Hugues Conroy, développent de nouvelles technologies dans la forge de la scierie familiale. William Jackson gradue en ingénierie en 1883 . Il se spécialise dans les mécanismes rotatifs tel qu’en fait foi le brevet du prototype de la moissonneuse-batteuse, assemblé à la forge de Deschênes, qu’il obtient en 1889. La Combined Harvester and Tresher est tirée par cinq chevaux. Elle est surtout utilisée au Manitoba jusqu’au début du 20e siècle, mais, malheureusement, le moteur à vapeur la rend rapidement désuète. Par contre, le brevet sur le mécanisme rotatif est essentiellement le même encore aujourd’hui. W. J. Conroy s’intéresse aussi à l’hydroélectricité. Les rapides Deschênes deviennent pour son frère et pour lui un lieu d’innovation et de manipulation des technologies du courant électrique .

« CONROY’S COMBINED HARVESTER & THRESHER », Aylmer 1890-1925
Photo – Association du patrimoine d’Aylmer

Avènement de l’hydroélectricité en Outaouais
Ayant assisté à la démonstration des possibilités de l’éclairage artificiel provenant des lampes à arc à partir d’un courant électrique à l’exposition universelle de Paris de 1878, L. A. Craig en fait une première utilisation à Montréal. Il démontre alors que l’énergie électrique peut remplacer l’énergie mécanique. En fait, à ses débuts, l’usage de l’électricité se limite surtout à l’éclairage. L’année suivante, Thomas Edison, l’inventeur américain, met au point la lampe à incandescence révolutionnant ainsi l’usage de l’hydroélectricité et du mode de vie nord-américain.

À la même époque, le déclin de la réserve de pins blancs en Outaouais crée un climat propice à la diversification de l’économie régionale. Ce sont des investisseurs locaux qui harnachent le potentiel hydraulique de la rivière des Outaouais et de ses affluents. Dès lors, les barons du bois deviennent des actionnaires imposants qui financent le développement hydroélectrique dans la région. D’ailleurs, la cité de Hull demeure le troisième centre urbain en importance au Québec jusqu’en 1921.

L’électrification de la E. B. Eddy dans l’Outaouais
Dans le domaine industriel, l’hydroélectricité révolutionne les modes de production et de transformation en Outaouais. La compagnie E. B. Eddy, située à la chute des Chaudières, agit rapidement en tant que précurseur, sachant profiter de la demande de la pâte de bois et du papier aux États-Unis. Cette compagnie est d’ailleurs l’un des premiers manufacturiers au monde à utiliser l’électricité pour faire fonctionner son imposante machinerie et pour éclairer ses usines.

Pendant les deux dernières décennies du 19e siècle, E. B. Eddy consolide ses activités industrielles. En 1886, il se lance dans la fabrication de la pâte mécanique. Trois ans plus tard, Eddy érige une centrale électrique d’une puissance inégalée de 4400 kW pour la production de la pâte chimique . Entre 1890 et 1895, l’entreprise se dote de cinq machines productrices de papier. Eddy fait appel aux Conroy pour alimenter en électricité la production de sulfites et de papier brun . Il cherche aussi à régulariser la fluctuation du niveau de l’eau qui immobilise ou surcharge les turbines. À la fin de l’été, le faible débit de la rivière impose l’usage du charbon pour alimenter en énergie la machinerie ou exige la fermeture temporaire de certaines machines. L’apport de la centrale de Deschênes semble alors une alternative intéressante pour la E. B. Eddy. Par contre, cette situation devient un grand défi d’ingénierie pour William Jackson Conroy, sa famille et les actionnaires de ses entreprises.

William Conroy, 1871 Source : Bibliothèque et Archives Canada, e010940415,
William Conroy, 1871
Source : Bibliothèque et Archives Canada, e010940415,

Début de l’électricité aux rapides Deschênes
Situé à mi-chemin entre la cité de Hull et la ville d’Aylmer, Deschênes, le deuxième centre industriel en importance dans la région, après les Chaudières, appartient à la famille Conroy d’Aylmer. Celle-ci détient un bail sur le pouvoir de l’eau qui alimente la meunerie, l’élévateur à grain et les deux scieries aux rapides Deschênes. En 1882, Robert H. Conroy, aussi avocat et marchand de bois, R. H. Sayer, E. Symmes, R. T. Ritchie et James McArthur forment la compagnie Ball Electric et, en 1885, ils construisent une petite centrale hydraulique aux rapides Deschênes . Cette centrale éclaire la ville d’Aylmer 300 soirées par année à l’aide de lampes à arc .

En 1894, Ball Electric utilise des dynamos actionnées par la charge d’électricité et diverses machineries nécessaires au transport de l’électricité . Les Conroy, plus particulièrement l’ingénieur, William Jackson, s’entourent d’hommes d’affaires de la région qui assurent le financement du développement d’un réseau de transport de l’énergie électrique en Outaouais. Dès 1895, la centrale de Deschênes démontre qu’elle a le potentiel de combler les demandes des services publics et des industries locales.

Hull Electric Company (1896-1946)
En 1891, la ville d’Ottawa inaugure ses services de tramway électrique, soit un an avant Montréal. La ligne de la Ottawa Electric Railway Company maintient son service en hiver, ce qui est du jamais vu en Amérique du Nord. Alors, la cité de Hull lui emboîte le pas. Elle accorde l’exclusivité du service à la Hull Electric Company (HEC), incorporée par charte provinciale (Victoria 58, chapitre 69) le 12 janvier 1895 . William Jackson Conroy et Edward Seybold proposent l’achat du courant de leur centrale de Deschênes et ils en viennent à une entente qui les mène à devenir les actionnaires principaux de la HEC. L’année suivante, les Conroy convertissent cette centrale mécanique en centrale hydroélectrique après l’incendie de leurs scieries. Une partie de cette production hydroélectrique est, en outre, promise par contrat à la HEC.

B0038 Par cette entente, l’électrification des transports voit le jour en Outaouais en 1896. La HEC obtient aussi un contrat d’exclusivité de 35 ans pour l’éclairage, le chauffage et le service aux résidences de Hull, d’Aylmer, de Deschênes et de Hull-Sud . Par ailleurs, la propriété des Conroy est déjà traversée par deux voies ferrées appartenant à la compagnie du Canadien Pacifique. Cette dernière leur loue et, ensuite, leur vend la voie secondaire qui relie Hull à Aylmer par voie ferrée. Ainsi, la Hull Electric Railway Company s’installe à Deschênes. Enfin, pour compléter le parc immobilier de cette compagnie de tramway, les Conroy vendent une part du terrain de la Deschênes Bridge Company, où se situe d’ailleurs la centrale hydroélectrique, à la HEC et y installent un garage à wagons de tramway . En 1897, la HEC accroît de 50% la puissance hydroélectrique de la centrale et, par ce fait, double sa capacité de production.

13926018926_35c89ff701_m En 1898, les premiers tramways circulent entre Hull et Aylmer en partance du hangar et du garage situés sur la voie secondaire du Canadien Pacifique, traversant ainsi le sud de la propriété des Conroy à l’angle du chemin Vanier. Deux ans plus tard, la HEC cherche à rentabiliser ses installations le dimanche. Elle prolonge donc le rail du tramway électrique jusqu’au parc des Cèdres, à Aylmer, où les Conroy exploitent un parc d’attractions, Queen’s Park.

Deschênes Electric Company (1896-1946)
Le 6 mai 1897, les Conroy obtiennent une lettre patente de la Couronne qui leur accorde le plein droit du pouvoir de l’eau profonde qui entrecoupe l’île Conroy et la propriété familiale sur la rive . La centrale de la Deschênes Electric Company produit déjà une puissance de 2300 kW. Cette centrale a deux passages de transmission hydroélectrique indépendants et autonomes, dont un est réservé en exclusivité à la Hull Electric Company. La Deschênes Electric, de son côté, détient les droits de service sur la propriété et sur la deuxième ligne de transmission de l’électricité. Cette dernière se spécialise donc dans la transmission et la distribution de l’électricité.

Centrales hydroélectriques, Rapides Deschênes. Association du patrimoine d'Aylmer
Centrales hydroélectriques,
Rapides Deschênes.
Association du patrimoine d’Aylmer

La Deschênes Electric innove en reliant la centrale par un nouveau réseau de lignes de transport qui traverse les fils de transmission par câbles submergés sous la rivière des Outaouais ce qui lui permet de transmettre de l’électricité au Russell House, un luxueux hôtel situé sur la rue Elgin, à une distance de marche de la colline parlementaire d’Ottawa . Sa concurrente, la Ottawa Electric Company, utilise son influence politique pour empêcher que la production hydroélectrique du Québec traverse la rivière des Outaouais, même si celle-ci a un pied à terre dans la cité de Hull jusqu’en 1950 .

Russel House, Ottawa, Ontario
Russel House,
Ottawa, Ontario

En 1893, les premières lignes à courant alternatif font leur entrée sur le marché de la distribution de l’électricité. « La tension de ce type de courant pouvait être augmentée ou diminuée à volonté grâce à l’utilisation d’un appareil peu coûteux, le transformateur.» En 1900, W. J. Conroy veut transporter de plus lourdes charges de courant électrique sur une plus longue distance. Il projette de maximiser la puissance hydroélectrique de la centrale en utilisant la turbine-alternateur verticale Trump qui est bien adaptée aux petites centrales à débits particulièrement variables, au canal de fuite plus restreint et aux exigences de la transmission hydroélectrique. Cette turbine-alternateur a déjà fait ses preuves dans les papetières des pays scandinaves .

Dans le même ordre d’idées, faisant preuve de prouesses d’ingénierie, Conroy introduit un système de transmission à haute tension qui est peu testé à l’époque au Canada pour répondre, entre autres, aux besoins de la compagnie E. B. Eddy qui commande 6000 kW à être livré de Deschênes jusqu’aux moteurs de ses usines à Hull, soit sur une distance de 10 km . La charge électrique dont doit disposer la compagnie hulloise pour faire tourner certaines machines est de plus de 800 chevaux-vapeur pour chacune d’entre elles. Un plus faible voltage est aussi nécessaire pour l’éclairage continu des installations. Ces particularités techniques exigent alors des charges électriques d’une intensité variable, soit lourdes ou faibles, qui peuvent compromettre le rendement et l’efficacité de la centrale hydroélectrique. La Deschênes Electric prévoit aussi emmagasiner l’électricité afin que l’énergie soit disponible en tout temps pour un usage immédiat lorsque Eddy en fait la demande. De plus, Conroy envisage d’installer de nouveaux équipements produisant un courant alternatif triphasé . Ce type de moteur par induction prévu sera adopté au Québec en 1906. Conroy devra travailler d’arrache-pied pour convaincre E. B. Eddy de la fiabilité de ces nouvelles technologies, qui sont encore utilisées de nos jours dans le transport de l’hydroélectricité.

À la suite du grand feu de la ville de Hull, le 23 mai 1900, c’est la catastrophe sur l’ensemble du site industriel de la chute des Chaudières; la compagnie E. B. Eddy est impatiente de reprendre ses opérations et exige la livraison immédiate de 700 chevaux-vapeur. Les Conroy doivent donc installer rapidement des génératrices supplémentaires afin de satisfaire à la demande de livraison pour le 1er septembre 1900.

L’expansion rapide et coûteuse de la Deschênes Electric pour honorer ce contrat comporte de trop grandes exigences financières pour les frères Conroy. Ils doivent malheureusement liquider plusieurs de leurs actifs immobiliers faisant partie du patrimoine familial, dont l’hôtel British d’Aylmer, afin de sauvegarder leur place dans l’exploitation de l’hydroélectricité. Malgré tous leurs efforts, la faillite devient inévitable.
L’année suivante, soit en 1901, Robert Hugues Conroy, le partenaire d’affaires principal et frère de W. J., décède. Cette perte entraînera une restructuration de l’entreprise R & W Conroy par la venue de leur soeur, Ida, et de son mari, J. M. Shanly, de Montréal.

Capital Power Company (1901-1926)
Par la suite, c’est la Capital Power Company qui prend la relève de la Deschênes Electric Company et qui achève les travaux de la ligne de transmission de la E. B. Eddy. En 1901, elle obtient les droits de propriété du pouvoir de l’eau aux rapides Deschênes de la Deschênes Electric Company. Par contre, cette entente exclut ce qui a été établi par contrat avec la Hull Electric Company . Par ailleurs, en échange de l’ensemble de la propriété où se situent les industries et la centrale de Deschênes, W. J. Conroy reçoit 100 000 fonds d’action dans cette compagnie.

La Capital Power Company s’associe à la Pontiac Power Company, compagnie pour laquelle W. J. Conroy détient toujours les droits sur le pouvoir de l’eau aux rapides du Grand-Calumet, près du village de Bryson, dans le Pontiac, au Québec. En fait, W. J. Conroy possède 83 % des fonds d’action de cette compagnie qui est également propriétaire des pouvoirs de l’eau à la chute des Chats, sur la rive nord de la rivière des Outaouais .

Cependant, les aspirations de W. J. Conroy ne s’arrêtent pas là. Lui et son beau-frère, J. M. Shanly, proposent l’ajout de nouvelles installations sur le côté est de l’île du Grand-Calumet. Ces travaux sont évalués à 485 000$ . Le site ne nécessite qu’un petit barrage et une vanne d’évacuation longue de 2000 mètres, réduisant ainsi les frais de construction. Ce barrage a la capacité de fournir la ressource hydroélectrique aux industries et aux mines ainsi que de pourvoir, à bon prix, des services publics pour les localités environnantes. Malheureusement, W. J. Conroy ne verra pas cet autre projet ambitieux se réaliser de son vivant. La construction de la centrale de Bryson s’achève en 1925 et elle est toujours en service aujourd’hui.

British American Nickel Corporation (1916 – 1923)
En 1901, les créanciers britanniques de la famille Conroy, Croil Cushing Inc, ainsi que la banque d’Ottawa achètent le pouvoir hydroélectrique et les terrains de service de la Hull Electric Company à Deschênes. En 1916, ils y installent la raffinerie de nickel de Deschênes, la British American Nickel Corporation, construite au coût de plus d’un million de dollars . Celle-ci a la capacité de produire le métal raffiné à une échelle encore inégalée au Canada . Elle lance ses opérations en 1918 et utilise alors le pouvoir hydroélectrique de la HEC . Cependant, à la fin de la Grande Guerre, le premier ministre du Canada, Mackenzie King, ordonne soudainement la fermeture définitive et le démantèlement de l’usine . Jusqu’à présent, nul ne connaît les raisons qui l’ont motivé à ordonner directement la démolition de cette usine moderne et bien en vue à l’époque.

Photographie aérienne du village de Deschênes, 21 mai 1928
Photographie aérienne du village de Deschênes, 21 mai 1928

Conclusion
Bref, de 1882 à 1906, l’aventure hydroélectrique des Conroy s’étend de la Ball Electric and Light Company, la Hull Electric Company, la Deschênes Electric Company, la Pontiac Power Company à la Capital Power Company. Jusqu’à sa mort, en 1915, W. J. Conroy est un témoin privilégié du développement accéléré de l’hydroélectricité dans la région grâce à la puissance hydraulique des rapides de Deschênes . Aujourd’hui, les ruines de cette centrale qui bordent les îles Conroy à l’opposé de la piste cyclable aux rapides Deschênes sont les seuls vestiges qui nous rappellent le savoir-faire de cet ingénieur et le passage de la famille Conroy à Deschênes.

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Gaffield, Chad et al. L’histoire de l’Outaouais. Les régions du Québec ; 6, Institut québécois de recherche sur la culture, 1994, Québec, 869 p.

Guitard, Michelle. Quartier de Deschênes, Énoncé d’importance et historique. Association des résidents de Deschênes et l’Association du patrimoine d’Aylmer, Gatineau (Québec), octobre 2012, 36 p.

Harvey, Bernard. Dompter la houille blanche. La construction des barrages au Québec. 1898 à 1963. Un essai sur l’évolution des techniques et sur la place des ingénieurs francophones. Thèse de maîtrise (histoire), Université Laval, 1998, 145 p.

Rodier, Lynne. « William Jackson Conroy et l’hydroélectricité aux rapides Deschênes ». Revue Hier Encore, Numéro 8, Centre de recherche des archives de l’Outaouais (CRAO). 2016.

The Trump Manufacturing Company. Catalogue of the Trump turbine for low and medium heads. Springfield (Ohio), copie numérisée en ligne :
http://www.frenchriverland.com/trump_turbines.htm (Consulté le 31 juillet 2015).
Documents d’archives
Bibliothèque et Archives du Canada. R. & W. Conroy, Aylmer, Quebec. Offering Land for experimental station, 1886/07/08 – 1886/07/12, MIKAN : 1939791
Bibliothèque et Archives du Canada. Ball Electric Light Company Limited, 1882 / 02-1924, Dossier RG 95-1, Mikan 710403.
Bibliothèque et Archives du Canada. Goad, Charles E., « Sheet 200, Dechènes, Que., January 1903, revised to May 1908, [scale 1:6 000] », Hull & Vicinity, Que., January 1903, revised May 1908. Mai 1908, Toronto ; Montréal. En ligne : Bibliothèque et Archives Canada, Mikan 3823774.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Fonds de la famille Conroy, P154. Centre d’archives de l’Outaouais, Gatineau (Québec).
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Fonds de la famille Foran, P138, S8. Centre d’archives de l’Outaouais, Gatineau (Québec).
Université McGill, Annual Calendar of McGill College and University, session 1882-1883, Montréal (Québec), p. 156.
Toronto World, Big Nickel and Copper Plant to be built in Deschenes, May 17 1918, Ottawa. http://news.google.com/newspapers?nid=22&dat=19180517&id=_G0DAAAAIBAJ&sjid=nykDAAAAIBAJ&pg=5590,4705274

La famille McConnell-Conroy

La famille McConnell-Conroy

Mary McConnell, pionnière du canton de Hull (1816-1887)

Les chutes de la Chaudière et le pont sur la rivière Outaouais, Bytown (Ottawa)- Bibliothèque et Archives Canada, c00050, MIKAN 2895118
Les chutes de la Chaudière et le pont sur la rivière Outaouais, Bytown (Ottawa)-
Bibliothèque et Archives Canada, c00050,
MIKAN 2895118

Mary McConnell naît en 1816 sur la ferme familiale de son père, William, situé sur le rang 1 du canton de Hull. Elle grandit dans les environs des chutes Chaudières à proximité du réseau des sentiers des trois portages. Elle est d’ailleurs de la première génération de McConnell à naître dans le canton de Hull au Bas-Canada. Elle épouse Robert Conroy en 1837. Il est inusité de commencer une histoire de famille par l’histoire de la mère. D’ailleurs, Chad Gaffield remarque : « Et même si, dans les documents officiels, le crédit en est généralement attribué au chef de famille, il ne faut pas oublier que la réussite, dans le domaine de la terre et de la forêt, doit être attribuée à la famille tout entière[1]. »

À la lecture des documents légaux du fonds d’archives de la famille Conroy à la BAnQ de Gatineau, nous remarquons rapidement que Mary McConnell joue un rôle pilier dans l’essor des industries à Deschênes. Elle ne se distingue pas des autres femmes d’affaires nées au Bas-Canada. « Outre le soin des enfants, elle joue un rôle de premier plan dans le maintien des relations familiales et sociales et prend en charge, comme les autres, de la conduite des affaires de son mari[2]. » Malheureusement, il reste peu de traces qui prouvent de l’implication de Mary McConnell dans les affaires de la famille Conroy.

Traces du patrimoine de la famille McConnell

Le chemin McConnell et quelques bâtiments historiques le long du chemin d’Aylmer font toujours partie des traces du patrimoine de cette famille pionnière. La maison McConnell, rappelle la croissance d’une zone agricole stable dans le canton de Hull. La famille McConnell est considérée parmi les personnes qui ont contribué à l’essor du canton de Hull. Le bâtiment historique ci-dessous construit vers 1850, est la maison de William H. McConnell, le frère de Mary. Il est un exemple typique des maisons de ferme construites par les descendants des premiers pionniers[3]. Il y a aussi sur le chemin d’Aylmer la maison James McConnell (oncle), et celle de son fils, Richard (cousin de Mary), qui est aussi étroitement associé en affaires à la famille Conroy.

 

Patrimoine de la famille McConnell

Ferme McConnell, Aylmer, Gatineau  MRC : Gatineau  Reférence : 000070  Cote archives : V006/0006  Source : Section gestion des documents et des archives de la Ville de Gatineau  No fiche : 5066 Cette maison de ferme fut construite par William H McConnell fils au cours des années 1850. (Coup de coeur, 2006; Aldred, 1994, p. 146.)
Ferme McConnell,
Aylmer, Gatineau
Reférence : 000070
Cote archives : V006/0006
Source : Section gestion des documents et des archives de la Ville de Gatineau
No fiche : 5066

 

Le cimetière Bellevue (cimetière de l’Ouest ou cimetière Conroy) fait partie de l’inventaire immobilier de la famille Conroy de 1872 à 1902. Cette partie du cimetière est directement en face de la maison McConnell sur le côté sud du chemin d’Aylmer[4]. Le cimetière a maintenant besoin de soin pour lui redonner son air d’antan. Plusieurs pierres tombales sont brisées ou ont besoin d’être remises à niveau.

 

Cimetière Bellevue, chemin d'Aylmer. 2014, Collection Lisa Mibach
Cimetière Bellevue, chemin d’Aylmer.
2014,
Collection Lisa Mibach

 

Brasser les affaires à l’ouverture de la région : la famille McConnell

Le père de Mary, William McConnell, est du groupe d’associés au chef du canton de Hull, Philemon Wright. Il y développe une grande ferme qui est fondamentale aux pionniers qui doivent assurer leur autonomie alimentaire en région de colonisation. Les surplus sont transformés en farine, en pain, en produit laitier ou en animaux de boucherie. Ces biens sont acheminés vers les chantiers forestiers, les postes de traite et les nouveaux lieux de colonisation de la région de l’Outaouais.

Hull, Bas-Canada Vue sur la rivière des Outaouais à la chute des Chaudières.En arrière plan, on aperçoit les fermes riveraines le long du chemin d'Aylmer. (1830) Source : Archives of Ontario, C 10006. Thomas Burrowes fonds. Hull, on the Chaudière Falls [1830].
Hull, Bas-Canada
Vue sur la rivière des Outaouais à la chute des Chaudières.En arrière plan, on aperçoit les fermes riveraines le long du chemin d’Aylmer.
(1830)
Source : Archives of Ontario, C 10006. Thomas Burrowes fonds. Hull, on the Chaudière Falls [1830].
 

Le rang 1 du canton de Hull

Mary McConnell grandit sur le rang 1 parmi les territoires les plus connus des trappeurs, des voyageurs, des missionnaires, des marchands et des explorateurs naviguant sur la rivière des Outaouais depuis plusieurs siècles. Ces terres sont ponctuées de lieux de portage imposant de nombreux efforts physiques des voyageurs. Il est aussi le seul rang qui a directement accès aux ressources hydrauliques en dehors de la sphère d’influence de Philemon Wright dans le canton de Hull. Les trois frères McConnell (James, William et George) détiennent plusieurs lots sur les rangs 1 et 2, d’ailleurs, le chemin McConnell est tracé à la limite nord du rang 2.

Établissement du canton de Hull
BAnQ, Plan of part of the Township of Hull situated on the northerly side of the Ottawa River in the Province of Lower Canada. Theodore Davis – 1802 – Fonds Ministère des Terres et Forêts; Cote: E21,S555,SS1,SSS1,PH.17A.

 

À la frontière entre la fourrure et le bois

Les McConnell ont le privilège d’avoir accès à la rivière des Outaouais par le lac Deschênes et à deux routes hautement fréquentées (ch. Aylmer et ch. Vanier) en plus du sentier (ch. Rivermead) menant à la tête des rapides Deschênes où se trouve une scierie et des moulins appartenant à un mystérieux Ithamar Day, marchand indépendant de fourrures de l’ancienne compagnie : Compagnie du Nord-Ouest (CNO). D’ailleurs, le verso du 0,05$, le castor, est la marque de commerce de la CNO.

Blason de la Compagnie du Nord-Ouest Montréal, Compagnie fondée en 1783
Blason de la Compagnie du Nord-Ouest,
Montréal,
Compagnie fondée en 1783.

Exploitants des ressources forestières

James et William McConnell ont aussi un magasin-entrepôt sur le lot 14 près des rapides Deschênes où, en 1832, l’arpenteur général du Bas-Canada, Joseph Bouchette, qualifie les lieux comme un des 2 endroits idéaux, l’autre étant Aylmer, pour y installer le premier village du canton de Hull[5]. Ce magasin répond surtout aux besoins des résidents et des voyageurs en transit sur les sentiers entre les trois lieux de portage dans les environs de la chute des Chaudières. D’autant plus, le magasin-entrepôt de James et de son frère, William McConnell profite de l’achalandage sur le lot voisin où il y a une scierie et le poste de traite McGillivray & Day aux rapides Deschênes. Le magasin-entrepôt aux rapides Deschênes et les concessions forestières atteignant le lac Témiscaminque sont à proximité des postes de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH). Cette situation rappelle des rivalités entre les marchands indépendants de l’ancienne CNO de Montréal et de sa rivale britannique, CBH, en plus, que l’exploitation forestière ne se limite pas qu’au bois en Outaouais. D’ailleurs, c’est le gouverneur de la Compagnie de la Baie d’Hudson, George Simpson,  qui affirme : « Every lumber Contractor and Labourer is a Trader.[6]».

Bibliothèque et Archives Canada : C-002772 Crédit : BAC, No. Acc. 1989-401-4
Groupe de voyageurs autour d’un camp de feu ca. 1870
Source : Bibliothèque et Archives Canada C-002772
Crédit : Bibliothèque et Archives Canada Acc. No. 1989-401-4

 

Le bois et la fourrure

Il y a tout pour croire que la fourrure maintient davantage son importance devant la production agricole et l’industrie du bois pour la famille McConnell. William, père de Mary, et son oncle, James McConnell, succèdent à Ithamar Day qui quitte définitivement la région en 1831[7]. Day cède ses droits sur la partie ouest de lot 15, rang 1, à son fils, Charles Dewey Day. Ce dernier devient un des juges les plus marquants de l’histoire canadienne ayant entre autres, participé à la rédaction du Code civil du Bas-Canada et transformé l’instruction publique au Canada. Enfin, les marchands de fourrure laissent peu de traces des transactions menant à de bonnes affaires. Il est alors difficile de suivre leur passage dans la région.

Commission ayant pour mandat de codifier les lois du Bas-Canada (vers 1865). De gauche à droite : Joseph Ubald Beaudry, Charles Dewey Day, René-Édouard Caron, Augustin-Norbert Morin et Thomas McCord. Musée McCord  MP-0000.1815.2
Commission ayant pour mandat de codifier les lois du Bas-Canada (vers 1865). De gauche à droite : Joseph Ubald Beaudry, Charles Dewey Day, René-Édouard Caron, Augustin-Norbert Morin et Thomas McCord.
Musée McCord
MP-0000.1815.2

 

Mary McConnell et les rapides Deschênes

Il demeure que Mary McConnell a vu de près le développement de la fourrure en Outaouais au début du 19e siècle, y étant exposée, directement ou indirectement, depuis sa tendre enfance. Sa proximité avec l’exploitation de la fourrure en Outaouais se confirme aussi par le fait que Mary McConnell ait conservé la pétition opposant son oncle James à Ithamar Day dans ses archives. La pétition mène à la lettre patente donnant les droits de propriété des rapides Deschênes à son oncle, James, et à Charles Dewey Day. Mary McConnell conserve les originaux des deux lettres patentes qui partagent en deux le lot 15, rang 1, canton de Hull aux rapides Deschênes, dont la copie originale de Charles Dewey Day, signée par le gouverneur général en chef, comte de Gosford, est conservée parmi les documents légaux de la famille Conroy. La copie brouillon de la lettre patente de son oncle James McConnell est signée par un l’arpenteur général attitré à la colonisation dans la région de l’Ottawa.

 

Rapides des Chats, près d'Ottawa. ca. 1838-1841. Aquarelle avec raclage sur crayon sur papier vélin. Bainbrigge, Philip John, 1817-1881. BAC- MIKAN no. 2896108.
Rapides des Chats, près d’Ottawa.
ca. 1838-1841.
Bainbrigge, Philip John, 1817-1881.
BAC- MIKAN no. 2896108.

Robert Conroy : L’époux de Mary McConnell

Le jeune irlandais énergétique, Robert Conroy, en compagnie des frères, Edward et Murdoch, McGillivray, tous trois des marchands de Montréal, arrivent à Bytown au début des années 1830[8]. Ces trois hommes célibataires sont aussi de l’ancienne CNO, fusionnée à la Compagnie de la Baie d’Hudson depuis 1821. Edward McGillivray, le premier maire de Bytown, et son frère, Murdoch, sont magasiniers sur la rive nord du lac Deschênes, non loin des rapides (lot 15-b ou lot 16). Murdoch McGillivray opère les entreprises Day & McGillivray qui comprend le poste de traite de Deschênes. Ce dernier est établi dans le canton de Nepean sur la rive sud des rapides Deschênes.

View from Wellington Street, Upper Bytown ca. 1845.  Thomas Burrowes, Painting of a view from Wellington Street, Upper Bytown, ca. 1845. Thomas Burrowes fonds.  Archives of Ontario, C 1-0-0-0-10.
View from Wellington Street, Upper Bytown
ca. 1845.
Thomas Burrowes,
Painting of a view from Wellington Street, Upper Bytown, ca. 1845.
Thomas Burrowes fonds.
Archives of Ontario, C 1-0-0-0-10.

 

Le bois et le canot de traite

Quant à Robert Conroy, il s’établit à Aylmer à la même époque que John Egan avec qui, Conroy se lance dans le commerce du bois. Ainsi, Robert Conroy est en lien étroit avec des marchands profitant de l’essor des ressources forestières en Outaouais. De plus, on sous-estime souvent le rôle de la fourrure dans l’essor économique de l’Outaouais durant la première partie du 19e siècle. Le canot de traite prend pourtant de son importance et le premier groupe de pionniers préfère toujours ce mode de transport pour se rendre à Montréal[9]. C’est dans ce contexte que Robert Conroy vient à épouser Mary McConnell en 1837.

Canots de la Compagnie de la Baie d'Hudson aux rapides des Chats.  1838. Aquarelle avec raclage et touches d'encre noire sur crayon sur papier vélin. Bainbrigge, Philip John, 1817-1881. BAC- MIKAN no. 2895632
Canots de la Compagnie de la Baie d’Hudson aux rapides des Chats.
1838.
Bainbrigge, Philip John, 1817-1881.
BAC- MIKAN no. 2895632

 

 Les pelleteries à l’arrivée de Robert Conroy en Outaouais

Il faut admettre que James McConnell quitte définitivement le domaine des pelleteries, lors du décès accidentel (noyade : rivière des Outaouais) de son fils aîné, aussi appelé James, en 1847. Quant à William McConnell, père, et Robert Conroy, ils entretiennent toujours des liens avec Murdoch McGillivray comme le révèle indirectement McGillivray dans son témoignage de la pétition opposant Charles Dewey Day à James McConnell. Cette pétition s’échelonne s’étire de 1831 à 1857, et se conclut six ans après le décès de James McConnell, père, au moment où Mary McConnell prend possession dans un contexte litigieux la partie est du lot 15 aux rapides Deschênes.

Les débuts de Robert Conroy à Aylmer coïncident aussi à l’essor de la navigation à vapeur sur l’Outaouais. Pour citer Richard Bégin : «Le service de bateaux va littéralement lancer le développement d’Aylmer[10]. » Dans le Nord de l’Outaouais, Louis Taché nous apprend que la jeune communauté riveraine d’Aylmer prend rapidement l’allure d’un port de mer déjà occupée par la Compagnie de la Baie d’Hudson qui fait des bords du lac Deschênes le point de départ de tout l’approvisionnement de ses postes de l’Outaouais[11]. La noce de Mary McConnell et de Robert Conroy associe alors une famille pionnière bien établie à une deuxième vague d’immigration britannique dont plusieurs pionniers sont de l’élite marchande de Montréal.

Robert Conroy, Bibliothèque et Archives nationales du Québec Cote : P137,S4,D11,P21 P137 Fonds Famille Foran S4 Catherine Francis Kearney-Foran Centre : Gatineau Titre, Dates, Quantité Robert Conroy / Ellisson & Co., Quebec . - 1863 - 1 photographie(s) : épreuve "carte de visite", sépia ; 6 x 10 cm Autres formats Numérique. TermeCONROY, ROBERT, 1811-1868
Robert Conroy (1811-1868),
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Cote : P137,S4,D11,P21
Fonds Famille Foran
Centre : Gatineau
– 1863

 

Associations d’affaires de la famille McConnell-Conroy

Nul ne peut douter que l’histoire de la famille Conroy nous permette de comprendre que les bâtisseurs ne travaillent jamais seuls. Cette collaboration entre les pionniers est le pivot fondamental de leur réussite dans le domaine de la colonisation et de l’essor économique de la région sur les deux rives de l’Outaouais. D’ailleurs, Robert Conroy s’associe à des marchands bien connus dès son arrivée dans la région. Loin d’être étranger au commerce des fourrures par son association aux frères McGillivray et les frères McConnell, ce jeune entrepreneur ambitieux ne tarde pas à se joindre en affaires au neveu de Philémon Wright, Charles Symmes, dans des entreprises de transport et de commerce à L’abord-à-Symmes où se trouve une auberge en pierre (Auberge Symmes), un quai de débarquement et un magasin-entrepôt. La vapeur sert bien ces commerçants. D’ailleurs, Charles Symmes est considéré de plein droit comme le fondateur du village d’Aylmer.

 

L'auberge Symmes. Gravure par W. H. Bartlett, 1842.  (Source - collection privée)
L’auberge Symmes. Gravure par W. H. Bartlett, 1842.
(Source – collection privée)

 

Le monde politique

La famille Conroy est aussi étroitement associée à celle de John Egan qui lui est le premier maire d’Aylmer et plus tard, député à l’Assemblée nationale. À partir de 1843, Robert Conroy est échevin sur le conseil municipal et plus tard, maire, d’Aylmer. Quant à Mary McConnell, elle saura capter l’attention de journalistes de l’époque par sa voix que l’on acclame lors de soirées mondaines à l’hôtel British[12].

John Egan, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, P137,S4,D11,P4. Fonds de la famille Foran
John Egan,
Bibliothèque et Archives nationales du Québec,
P137,S4,D11,P4.
Fonds de la famille Foran

 

Essor des entreprises locales

Dès 1839, Robert Conroy se joint à l’élite locale en investissant dans la construction d’un moulin à farine fonctionnant à la vapeur, le Aylmer Bakery[13]. Il déteint aussi des actions dans la Upper Ottawa Steamboat Company qui sert à « Faire essentiellement la navette entre Aylmer et Fitzroy Harbour, sur l’autre rive, et pour servir à des travaux de remorquage[14]. » Une autre entreprise regroupant un groupe d’actionnaires d’Aylmer dont fait partie la famille Conroy est The Bytown & Aylmer Union Turnpike Company qui voit à la reconstruction du chemin d’Aylmer alors relégué aux routes boueuses difficilement carrossables. Cette route est macadamisée[15] et elle relie les auberges Conroy d’Aylmer au pont de l’Union (pont des Chaudières) à Bytown (Ottawa)[16]. Les actionnaires profitent des tarifs des postes de péage pour rentabiliser leur investissement. À l’échelle régionale, Robert Conroy se joint à des hommes d’affaires de la région et de la communauté francophone de Montréal dans l’entreprise du chemin de fer : Montreal & Bytown Railway. Cette ligne de chemin de fer prévoit relier Montréal à Bytown par la rive nord. La malchance et les difficultés financières de cette compagnie à charte conduisent à l’abandon la compagnie à charte responsable de sa construction à la fin des années 1850, n’ayant mis en service que le tronçon entre Grenville et Carillon en 1854.

Pont de l'Union (pont des Chaudières), En bas à gauche de l'image, il est possible de voir la route macadamisée : chemin d'Aylmer.
Pont de l’Union (pont des Chaudières),
En bas à gauche de l’image, il est possible de voir la route macadamisée : chemin d’Aylmer.

 

Patrimoine de la famille Conroy

Ainsi, l’importance du patrimoine de la famille Conroy démontre de la situation économique privilégiée d’une des familles fondatrices du secteur Aylmer à Gatineau. En suivant les traces de leur patrimoine, il est permis de faire un retour sur les moyens que prend la famille Conroy pour brasser les affaires en région de colonisation au 19e siècle. Il se trace alors  une histoire de famille à travers les traces de leur patrimoine. Ainsi, dans le cadre du prochain article de la série Bâtisseurs de l’Outaouais, est de voir aux traces du patrimoine qui nous amènent vers des récits peu connus de l’histoire de Gatineau, de l’Outaouais, du Québec et voir même, du Canada.

 

Scenes on the Ottawa. Lumbering. Views of Aylmer, P.Q. vol.XVIII, no. 10. 152-153
Scenes on the Ottawa. Lumbering. Views of Aylmer, P.Q.
Canadian Illustrated News , vol.XVIII, no. 10. 152-153
La résidence de la famille Conroy, Lakeview, est situé en bas de l’image à gauche.

 

 


 

Notes et références

[1] Chad Gaffield, L’histoire de l’Outaouais, p. 136.

[2] Denyse Baillargeon, Brève histoire des femmes au Québec, Boréal, Montréal (Québec), 2012, p. 50.

[3] Lieux patrimoniaux du Canada, Maison McConnell, Commission de la capitale nationale (CCN). http://www.historicplaces.ca/fr/rep-reg/place-lieu.aspx?id=11396

[4] Diane Aldred, Chemin d’Aylmer, p. 144-145.

[5] Bouchette, Dictionnaire topographique de la province du Bas-Canada.

[6] Michael Newton, « Some notes on Bytown and the fur trade », The Historical Society of Ottawa, Bytown Pamphlet series. No 5, 1991.

[7] The McConnell brothers on the Aylmer Road were a threat to the HBC fur trade with their large lumbering operations which by 1836 had reached the foot of Temiscaming Lake, This family posed a further danger, for the McConnells had always traded furs on the side and when settled in Opinika Lake, just below Lake Temiscamingue, both Cameron and (governor) Simpson were convinced that their new venture was merely a cover for their designs on the Fort’s trade. Not surprisingly, the McConnells succeeded Ithamar Day as owners of lot 15 range 1 Hull Township – The Deschênes Rapids Post – when Day quit the trade in the 1830s. Dans : Michael Newton, « Some notes on Bytown and the fur trade », The Historical Society of Ottawa, Bytown Pamphlet series, No 5, 1991, p. 9.

[8] « We shall endeavour to mention some of the old stock of British extraction, that were among the first pioneers of old Norwester Cork, and Mr. Conroy, of old Bytown, these two came here in 1826. E. (Edward) McGillivray and his brother (Murdoch) came in 1835. » Dans : Andrew Wilson, « A history of old Bytown and Vicinity, now the City of Ottawa. » Daily News, 1876.

[9] « The early settlers had to canoe it to Montreal for their goods. Honeywell is said to have gone and returned alone more than once. This must have taken all a man’s ability to get a canoe up the Rapids with the lightest load, while he waded in the edge of the stream, and kept his frail bark from being broken on the rocks. We can fancy the Moores, Honeywells, McConnells, etc., going in pairs or companies with ease and success, but we pity the man who would do the thing now. » Dans : Gourlay, History of The Ottawa Valley (1896), p. 200.

[10] Richard Bégin, « Le chemin et le port d’Aylmer : la voie de l’Outaouais supérieur », Histoire Québec, vol. 11, no 1, 2005, p. 6.

[11] Louis Taché, Nord de l’Outaouais, p. 203.

[12] Voir : Anson Gard.

[13] Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 25.

[14] Richard Bégin, « Le chemin et le port d’Aylmer : la voie de l’Outaouais supérieur », Histoire Québec, vol. 11, no 1, 2005, p. 3.

[15] « Les procédés de macadamisage consistaient à poser une fine couche de pierre concassée sur la route afin de former une surface de gravier bien tassé permettant de garder l’assiette de la route sèche et solide en tout temps. » Dans Aldred, Le chemin d’Aylmer, p. 33.

[16] Aldred, Le chemin d’Aylmer, p. 31 ; Ville d’Aylmer, Symmes, p. 15.

Mystères et enquête : Les bâtisseurs de l’Outaouais

Mystères et enquête : Les bâtisseurs de l’Outaouais

Il y a beaucoup d’intérêt pour l’histoire de l’Outaouais. Pour moi, ma passion est née de mes ancêtres qui sont des bâtisseurs de la région, contribuant à leur façon, depuis le 19e siècle, à bâtir les différentes communautés qui ont façonné la ville de Gatineau. Alors, il y a lieu de voir à l’histoire des bâtisseurs de la région à travers la famille Conroy et ainsi, vous ramener, d’abord, vers l’âge d’or d’Aylmer (1830-1870) pour ensuite continuer avec l’industrialisation en Outaouais (1870-1900). Cette série d’articles veut susciter votre curiosité pour l’histoire de l’Outaouais. L’histoire de la famille Conroy n’est qu’un exemple de l’intrigue et des mystères qui se posent à l’image d’une enquête, lorsqu’on se penche sur les traces du patrimoine de ces hommes et de ces femmes qui ont façonné l’histoire de notre région. Tout comme un casse-tête très complexe, la famille Conroy d’Aylmer sait nous poser un bon problème en histoire. Il s’agit alors de partir à la quête de petites pièces du casse-tête et en dégager graduellement quelques images du passé de la région de l’Outaouais. Une fois ces pièces assemblées, il se perçoit une mise en scène de l’activité socio-économique sur la rive nord du lac Deschênes au 19e siècle. Il se saisit ainsi une autre image du passé des bâtisseurs de l’Outaouais pendant une période qui est encore peu connue en histoire canadienne.

Les chutes des Chaudières et le pont sur la rivière Outaouais, Bytown (Ottawa)- Bibliothèque et Archives Canada, c00050, MIKAN 2895118
Les chutes de la Chaudière et le pont sur la rivière Outaouais, Bytown (Ottawa)-
Bibliothèque et Archives Canada, c00050,
MIKAN 2895118

Les mystères de la maison grise
Au départ, mon enquête portait sur un vieux bâtiment historique au 84, chemin Vanier dans le secteur Deschênes. Je voulais connaître l’histoire de cette maison afin de lui donner un nom digne de son âge qui pouvait faire connaître son histoire et nous rappeler les débuts du village de Deschênes. Malheureusement après avoir fouiller le registre foncier du Québec et celui conservé à la Commission de la capitale nationale (CCN) à Ottawa, qui l’a d’ailleurs classé parmi les bâtiments historiques du Canada, je n’ai toujours pas de réponse sur les origines de cette mystérieuse maison. Elle paraît pourtant sur un plan d’assurance-incendie Goad produit en 1903. La ville de Gatineau ne reconnaît toujours pas la valeur patrimoniale de ce vieux bâtiment historique qui est à proximité des rapides Deschênes. Alors, je me suis tournée vers le fonds de la famille Conroy à Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Gatineau, car il avait des traces sur les premiers propriétaires du lot 15, rang 1 du canton de Hull sur lequel est construit le 84, chemin Vanier. Cette enquête mène vers une autre question : Pourquoi une femme d’affaires d’Aylmer achète-t-elle cette terre aux rapides Deschênes en 1857 ?  Cette enquête m’a alors permis de faire un retour sur l’histoire de la famille Conroy et les origines du village de Deschênes, qui est maintenant un secteur de la ville de Gatineau. J’ai aussi appris que la famille Conroy est prête à investir, à prendre les risques et à innover afin de développer l’Outaouais au 19e siècle.

Blogue-Maison grise
Lisa Mibach, La mystérieuse maison grise au 84, chemin Vanier, Hiver 2010.

 

Les mythiques Pays d’En-haut

Thomas Kirk,  Carte de comté du Québec à l'échelle de 1:63 360 .   Hull , Carte du comté de Hull et Gatineau, Centre d'archives de Québec, Collection des cartes et plans de la BAnQ, Numéro d’identification : 2669884_01
Thomas Kirk,
Carte de comté du Québec à l’échelle de 1:63 360 .
Hull , Carte du comté de Hull et Gatineau,
Centre d’archives de Québec, Collection des cartes et plans de la BAnQ, Numéro d’identification : 2669884_01

Depuis des millénaires, les voyageurs empruntent cette voie navigable principale, la rivière des Outaouais, qui relie la ville de Montréal aux mythiques Pays d’En-haut. À la chute des Chaudières, les voyageurs doivent emprunter un réseau de sentiers étroits pour contourner les obstacles naturels obligeant les voyageurs à faire trois portages avant de continuer leur route en amont sur l’Outaouais supérieur au début du 19e siècle. Le développement du canton de Hull contribue à la construction des premières routes permanentes de la région. Les voyageurs débarquent alors à Hull ou Bytown pour ensuite emprunter le chemin d’Aylmer qui descend du rang 3 à la chute des Chaudières vers la limite des rangs 2 et 1 pour finalement, atteindre le quai d’embarquement de L’abord-à-Symmes et les eaux calmes du lac Deschênes. À mi-chemin, il y a les rapides Deschênes au rang 1 qui forme une péninsule s’étendant vers le sud du canton de Hull et séparant le haut, l’Outaouais supérieur, du bas de la rivière des Outaouais à la chute des Chaudières menant alors vers Montréal. Aux rapides Deschênes, il est aussi possible de remonter vers le nord par le chemin Vanier et croisé le chemin d’Aylmer pour progresser vers le chemin de la Montagne. Le lieu de cette histoire est alors situé sur cette pointe de terre perceptible sur toutes les cartes du Québec. À cet endroit, les rapides Deschênes séparent le canton de Hull du canton de Nepean sur la rive sud. Ainsi, c’est sur ces lieux que se sèment l’intrigue entourant la famille Conroy d’Aylmer et les mystères sur cette péninsule située au sud du canton de Hull.

Le portage de Joachim, camp de bûcherons, près de la rivière des Outaouais.  Aquarelle sur crayon sur papier vélin. Bainbrigge, Philip John, 1817-1881. BAC- MIKAN no. 2896113
Le portage de Joachim, camp de bûcherons, près de la rivière des Outaouais.
Aquarelle sur crayon sur papier vélin.
Bainbrigge, Philip John, 1817-1881.
BAC- MIKAN no. 2896113

Le village de Deschênes et Mary McConnell

Le village de Deschênes a une longue histoire encore qu’il se soit incorporé en municipalité qu’en 1920. D’ailleurs, l’historienne, Michelle Guitard, qualifie Deschênes de petit lieu contenant une grande possibilité d’interprétation historique[1]. Par exemple, cette enquête révèle que Mary McConnell, l’épouse de Robert Conroy, est la propriétaire du lot 15, rang 1, canton de Hull sur lequel est construite la maison au 84, chemin Vanier en 1857. Cette dame d’Aylmer est responsable de la première phase de la modernisation de la ferme d’élevage, de la scierie et du moulin à farine aux rapides Deschênes. Pourtant être femme mariée au 19e siècle offre un statut juridique équivalant à une personne mineure. De plus, « La femme mariée anglaise n’a aucun droit aux biens accumulés pendant le mariage, même pas s’il provient en tout ou en partie des biens qu’elle avait apportés au mariage . [2] » Dans cette tradition juridique britannique, il n’y a que le fils aîné qui obtient les biens fonciers de la famille. Par ailleurs, l’effort des femmes est peu reconnu malgré qu’elles aient occupé une place importante, mais très souvent discrète, dans la création et la direction d’entreprises de toutes sortes . » Alors, nous allons apprendre à connaître une femme d’affaires en Outaouais et l’histoire de sa famille qui a contribué à intégrer les activités économiques du lac Deschênes à l’économie régionale.

Conroy, R. Mrs.- Bibliothèques et Archives Canada- Photo : e010953798-v8, MIKAN # 3451003
Conroy, R. Mrs.-
Bibliothèques et Archives Canada, e010953798-v8,
MIKAN # 3451003

Aperçu des prochains articles …

Dans les semaines à venir, je partagerai avec vous certains résultats de mon enquête, soit celle d’une famille de bâtisseurs de l’Outaouais : la famille McConnell-Conroy, qui est d’ailleurs une des familles pionnières à l’ouverture de la région de l’Outaouais. Dans un deuxième article, il sera surtout question des moyens que prennent les époux, Mary McConnell et Robert Conroy, pour brasser les affaires dans la première ville de la région entre 1830 et 1868. Enfin, le troisième article se penchera sur la période de l’industrialisation en Outaouais en voyant de près le développement industriel aux rapides Deschênes entre 1868 et 1901. Il s’agira de voir comment Mary McConnell maintient son rôle pilier dans le développement des entreprises de la famille Conroy après le décès de son époux en 1868.

C’est alors avec plaisir, que je vous offre un aperçu inédit d’une histoire de famille qui a su laisser des traces imposantes de son patrimoine, tout en camouflant bien son histoire.

[Conroy Lumber Mills] Bibliothèque et Archives Canada, a013224-v6, MIKAN  # 3371910
[Conroy Lumber Mills]
Bibliothèque et Archives Canada, a013224-v6,
MIKAN # 3371910
Références :

[1]Michelle Guitard, « Quartier de Deschênes », énoncé d’importance et historique, Association des résidents de Deschênes, Gatineau, octobre 2012, p. 9.

[2] Evelyn Kolish, « Depuis la Conquête : les Canadiens devant deux droits familiaux », Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 39, 1994, p. 17.

 

L’Outaouais, des histoires à découvrir

L’Outaouais, des histoires à découvrir

L’histoire de l’Outaouais maintient précieusement plusieurs énigmes bien cachées dans nos centres d’archives en région. Par ma recherche au sujet de la famille Conroy d’Aylmer, j’ai découvert des pistes intéressantes sur la transformation du commerce, du transport, de l’agriculture et du droit civil en Outaouais au 19e siècle. Plusieurs questions de recherche n’ont toujours pas trouvé de réponse. Par exemple, la maison grise est toujours à vendre, et elle est maintenant de couleur beige. Je ne sais toujours pas qui est le bâtisseur de ce bâtiment historique dans le secteur Deschênes à Gatineau, et elle ne bénéficie pas d’une reconnaissance pour sa valeur patrimoniale. Aussi, je n’ai pu m’attarder au rôle politique de la famille Conroy et à leurs liens d’affaires avec les familles McGillivray, des marchands de fourrure de l’ancienne Compagnie du Nord-Ouest et de Charles Dewey Day, un juge et un politicien ayant transformé le droit civil et l’instruction publique au Québec.

Toutefois, mes recherches m’ont conduite vers différentes histoires inusitées de la région. En étudiant le lot sur lequel est construite la maison grise, les titres de propriété m’ont obligée à faire un retour sur l’histoire du Code civil du Bas-Canada, car une femme, Mary McConnell, en est propriétaire en 1857. Mary McConnell est une femme d’affaires et l’épouse de Robert Conroy.Elle acquiert la propriété riveraine aux pieds des rapides Deschênes de son père, William, dans un contexte litigieux. William McConnell et son frère, James, sont des marchands de fourrure et de bois, redoutés de la Compagnie de la Baie d’Hudson, et s’étant installés dans la région avec le groupe d’associés de Philemon Wright. La famille McConnell a aussi plusieurs grandes fermes dans le canton de Hull. Étant bien établies, la famille McConnell et ensuite, la famille Conroy voient aux activités de transbordement sur le lac Deschênes avant que la marchandise ne se rende en aval aux chutes des Chaudières.

À travers les traces laissées dans les divers documents de la famille Conroy au Centre de recherche des archives de l’Outaouais (CRAO), nous voyons à l’histoire du mode d’établissement dans la région et à l’essor de l’agriculture, du transport, du commerce, de l’industrialisation et de l’hydroélectricité sur la rivière des Outaouais. Ainsi, à travers les traces du patrimoine de la famille Conroy d’Aylmer, il nous est permis de voir à une autre histoire des bâtisseurs de l’Outaouais. Cette recherche se révèle aussi un bel observatoire de l’histoire des femmes au Québec, car, une fois veuve, Mary McConnell sait faire usage du droit civil pour réussir à fonder Deschènes Mills qui devient au 20e siècle le village de Deschênes.La famille Conroy d’Aylmer ouvre alors vers plusieurs pistes de découvertes par les traces de leur patrimoine qui conduisent à des histoires méconnues de la région de l’Outaouais.

Ce blogue n’est qu’une continuité de mes recherches en histoire qui en somme, ont soulevé tellement de questions méritant l’attention d’un plus grand public et des historienNEs qu’elles seront reprises au fil de mes écrits. Il y a toujours de nombreuses pistes de découvertes à ces histoires. J’admire la force de caractère de la population de la région et le cours des événements qui ont façonné notre passé et qui ont toujours des répercussions sur notre présent. J’aimerais en arriver à faire valoir cette histoire auprès des jeunes en particulier pour qu’ils y trouvent un intérêt pour le passé. Il faut bien admettre que plus l’histoire se rapproche de soi, plus elle nous pousse à la questionner et à en être curieux …

Par ailleurs, j’ai le plaisir de vous annoncer que mon premier article écrit conjointement avec Sophie Tremblay est retenu par l’équipe de la revue, Hier encore, du Centre de recherche des archives de l’Outaouais (CRAO). L’article, Les bâtisseurs de l’Outaouais : Robert Conroy, paraîtra en février 2015. Je souhaite personnellement qu’il soit aussi le premier d’une série au sujet des bâtisseurs de l’Outaouais. Ce dernier porte sur Robert Conroy d’Aylmer et de son rôle dans le développement économique de la région au 19e siècle. C’est aussi avec plaisir que je vous lance une invitation pour une causerie au sujet de la famille Conroy d’Aylmer que je prépare pour l’Association du patrimoine d’Aylmer (APA). C’est alors un rendez-vous, le 16 novembre 2014 à 14 heures au musée d’Aylmer situé au 495, chemin d’Aylmer à l’angle du chemin du Golf. Vous pouvez réserver pour cette activité en appelant à l’APA au 819-684-6809.

Merci de me suivre,

Lynne Rodier

lynnerodier@gmail.com

Brève histoire du secteur Deschênes, Gatineau

Brève histoire du secteur Deschênes, Gatineau

1. TROIS PORTAGES SUR LA ROUTE DU COMMERCE

L’histoire du secteur Deschênes à Gatineau est intimement liée à la rivière des Outaouais. Elle remonte au moment où le site est un lieu de passage imposant, Deschênes étant le dernier des trois portages des Chaudières exigeant de débarquer des embarcations, de charger la marchandise et de marcher sur les sentiers étroits longeant la rivière des Outaouais. Les débarquements se font habituellement de la rive nord de l’Outaouais, car elle est avantagée par la direction des vents dominants et le courant de la rivière. En remontant la rivière, les trois portages sont le « Portage du bas » à la chute des Chaudières, le « Portage du milieu » qui est surtout le sentier escarpé longeant les rapides de la petite Chaudière et le « Portage du haut» aboutissant au léger promontoire au-dessus des rapides Deschênes. Le sentier du « Portage du haut » exige des voyageurs de contourner les rapides Deschênes en ligne droite sur une distance d’environ 200 pas[1]. « Ils s’arrêteront au pied ou à la tête de sentiers de portage ou, plus tard, dans les postes de traite qui sont généralement situés près d’embouchures de rivières ou de sentiers de portage[2]. »

2. LA PÉRIODE DU SYLVICOLE

À la fin de la période sylvicole, le site du « Portage du haut » est aussi favorable à l’occupation des regroupements familiaux durant la saison estivale. Il y a sûrement plusieurs familles des nations algonquines qui s’y arrêtent pendant la période de grands rassemblements et de commerce. Le « Portage du haut » est connu de tous les voyageurs naviguant sur la rivière des Outaouais. La difficulté de ce portage amène le voyageur à prendre un moment de répit, avant ou après le portage, car les efforts exigent de surmonter des obstacles naturels dressés en aval ou d’entreprendre les 95 kilomètres en amont sur les eaux calmes de la rivière des Outaouais jusqu’aux rapides des Chats[3]. En plus du commerce, la population amérindienne établie sur les lieux pratique l’agriculture derrière une mince bande marécageuse se mettant ainsi à l’abri des passants sur la rivière[4].

3. LE TOPONYME « DESCHÊNES »

À la période des contacts avec les Européens, le site du village de Deschênes est toujours un lieu d’arrêt imposé par la géographie de la rivière des Outaouais. « Lieu de portage millénaire de la rivière des Outaouais, sis sur l’axe de circulation principal des explorations de l’Amérique du Nord et du commerce des fourrures, le portage de Deschênes est inscrit dans la topographie du Canada depuis 400 ans[5]. » L’histoire attribue au chevalier de Troyes l’origine du toponyme « Deschênes » lors de son passage aux rapides en 1686. Ce commandant de l’expédition d’Iberville remarque la qualité des chênes de l’endroit[6] et il nomme alors le lieu « portage des Chênes »[7]. Contrairement au toponyme « des Cèdres », la graphie Deschênes sera modifiée pour se conformer à un patronyme longtemps associé aux pelleteries[8] et à la présence de la famille Miville-Deschênes dans le secteur depuis le 17e siècle[9]. Ces derniers sont toujours des commerçants dans la région au 19e siècle[10]. Le nom « Deschênes » n’est jamais traduit par le mot Oak de langue anglaise depuis le début de la colonisation britannique en Outaouais[11]. Enfin, « la Commission de la toponymie n’a pas diffusé de renseignements sur l’origine du nom, sa signification ou sur la raison pour laquelle on a attribué le nom « Deschênes » au lieu, soit parce qu’elle n’a pas l’information en main, soit parce que son programme de diffusion ne lui a pas encore permis de le faire[12]. » Les deux origines possibles et homophones du toponyme (couverture forestière et patronyme) confirment l’importance du lieu comme point de transit sur la route du commerce des pelleteries sur la rivière des Outaouais.

4. LA FOURRURE, LE BOIS, L’HYDROÉLECTRICITÉ

a) Le poste de Deschênes

C’est à travers le Fonds de la famille Conroy qu’on constate qu’au début du 19e siècle, le commerce des fourrures demeure l’activité économique principale profitant de la présence amérindienne dès le printemps[13]. En fait, « en 1802, les premiers explorateurs, des missionnaires et des commerçants de fourrures, s’installent dans la région[14]. » Aussi, il y a la confirmation de plusieurs magasins ou d’entrepôts, en plus du poste de traite en activité près des rapides Deschênes depuis 1821[15]. À la fusion des deux grandes compagnies de fourrure, la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) et la Compagnie du Nord-Ouest (CNO), le commerce des pelleteries délaisse ses opérations de Montréal pour les postes de traite de la baie d’Hudson. Désormais ouverts aux traiteurs indépendants du Bas‐Canada[16], les environs de la chute des Chaudières voient alors l’arrivée de nombreux marchands. À cet effet, nous pouvons lire ce passage dans History of Old Bytown : « We shall endeavour to mention some of the old stock of British extraction, that were among the first pioneers old Norwester Cork, and Mr. Conroy, of old Bytown, these two came here in 1826. E. (Edward) McGillivray and his brother (Murdoch) came in 1835[17]. » Il est aussi à l’avantage des traiteurs indépendants de maintenir la présence amérindienne sur un site d’échange et de commerce[18]. Les marchands veillent ainsi à entretenir leurs relations commerciales avec les trappeurs et les chasseurs des environs.

La période 1830-1850 est peu documentée. Nous pouvons cependant confirmer que le territoire est en transformation par son développement économique dans la région de l’Outaouais. « La compétition intensive des marchands indépendants dura une dizaine d’années jusqu’à ce que la CBH jugea préférable de réorienter l’administration et l’exportation des fourrures à Montréal, d’où son entrepôt et le bureau‐chef et la résidence du gouverneur de la Compagnie, George Simpson, à Lachine en 1830[19]. » Au poste de Deschênes, la présence du marchand indépendant, Ithamar Day, un ancien de la CNO, indique déjà une occupation aux rapides Deschênes en 1821. Selon les sources, nous savons qu’il y a eu à Deschênes, entre 1830 et 1850, au moins une ferme, une scierie, une filature, un magasin et un canal[20].

b) L’essor du commerce du bois

À partir de 1850, les activités de l’industrie du bois s’organisent dans la région. « Le commerce des fourrures, qui connaît son apogée sur l’Outaouais vers 1850, disparaît peu à peu, ruiné par la montée du mouvement de colonisation et le développement de l’industrie du bois[21]. » Aux rapides Deschênes, la première scierie est modernisée et une deuxième se spécialise en bois de sciage dès 1869[22]. Le site du village est alors mieux connu sous le nom de Deschênes Mills[23]. La modernisation de l’agriculture et des scieries contribue à l’essor des Conroy à Deschênes. Cependant, le feu emporte les scieries et les premiers moulins dans les années 1890[24]. Le journal local mentionne la présence de 200 ouvriers qui, pour plusieurs, habitent dans le village avec leur famille[25]. Par la suite, la relance des installations contribue à accélérer la croissance de Deschênes Mills. Les ouvriers et les artisans s’installent sur le côté ouest de la rue Principale, encouragés par les activités industrielles.

c) L’or bleu aux rapides Deschênes

À la fin du 19e siècle,l’instabilité du marché du bois n’encourage pas à réinvestir dans la construction des scieries. Il s’y élève plutôt deux centrales hydro-électriques : la Deschenes Electric Company et la Hull Electric Company. « Initialement produite à partir de charbon, l’électricité trouvait en la force hydraulique une source d’énergie primaire à très bon marché qui allait progressivement lui permettre de remplacer la machine à vapeur au sein du système productif [26].» La Deschênes Electric Company produit l’électricité nécessaire à l’éclairage des rues d’Aylmer et de divers bâtiments de la région. Une deuxième centrale, la Hull Electric Company, est construite dans le but d’alimenter le réseau des tramways électriques. La production étant accélérée, le chemin de fer et les tramways électriques de la Hull Electric Company facilitent le transport des biens et des personnes vers les usines près des rapides Deschênes.

d) La raffinerie de nickel

Le site du village de Deschênes devient le deuxième lieu d’importance industriel dans le canton de Hull[27] à la suite de l’ouverture de la British American Nickel Corporation en 1916, construite au coût de plus d’un million de dollars[28]. « C’est au cours de la Première Guerre mondiale que Deschênes connaît une explosion démographique avec l’implantation d’une usine de raffinage de nickel qui attire des centaines d’ouvriers[29]. » À la fin de la Grande Guerre, Mackenzie King[30] ordonne la fermeture définitive et le démantèlement de l’usine[31]. Jusqu’à maintenant, nul ne connait les raisons qui ont motivé le premier ministre à ordonner directement la démolition de cette usine moderne qui était bien en vue à l’époque : « The production of refined metal from the completed plant on a scale hitherto unknown to Canada[32]. » Les ruines de l’usine sont apparentes jusqu’en 1985, compromettant l’usage de ces terrains et leur développement[33]. Un quartier résidentiel est maintenant construit sur ce site.

CONCLUSION

Enfin, l’ancien village de Deschênes s’incorpore en 1920 et en 1922[34]. La fermeture définitive de l’usine contribue à la disparition graduelle de ce milieu industriel jadis prospère. « En face de cette démolition inutile d’une usine en bon état, le conseil municipal entreprend des démarches pour conserver la cheminée et la partie principale des bâtiments qui pourrait attirer et servir à une autre industrie[35]. » De plus, la paroisse catholique Saint-Médard est promulguée en 1923. « Pour aider la paroisse naissante et pour lui économiser le coût de la construction d’une église, par l’entremise de son surintendant, Bob Adams, la compagnie British North American Nickel, qui venait de cesser ses opérations de raffinerie, cède une maisonnette désaffectée, recouverte de papier goudronné, qui avait servi de bureau à ses employés[36]. » Le village se transforme alors en milieu de villégiature pour ensuite s’intégrer de façon définitive à la banlieue à la suite de la Deuxième Guerre mondiale. Finalement, Deschênes est fusionné à la Ville d’Aylmer en 1975[37] et l’ancien village est maintenant un quartier de la Ville de Gatineau depuis la fusion municipale de 2002.

Bibliographie

[1] T.W. Edwin Sowter, «La Grande Route de l’Outaouais», Asticou, Revue d’histoire de l’Outaouais, cahier no 34, Juillet 1986, p. 10. Traduction de l’article de Sowther par Ephrem Boudreau, «The Highway of the Ottawa», Paper and Records of the Ontario Historical Society, Griffin & Richmond Co. Ltd, Pinter, Hamilton (Canada), 1915.

[2] Ville d’Aylmer. Symmes Landing, Recherche historique et évaluation patrimoniale du site de Symmes Landing situé dans la ville d’Aylmer, comté de Hull. Direction du patrimoine du ministère des Affaires culturelles (Québec) et la division des Affaires publiques de la Commission de la Capitale nationale (Ottawa), 1983, p. 4.

[3] Ibid.

[4] Pendant l’été 2013, des tessons de poterie amérindienne ont été trouvés lors des fouilles archéologiques sur le site du Portage du haut à Deschênes. Ces tessons prouvent que les environs des rapides Deschênes comptaient une population semi-sédentaire.

[5] Guitard, Quartier de Deschênes, ÉNONCÉ D’IMPORTANCE ET HISTORIQUE, p. 3. En ligne – Vive-Deschênes – http://www.vive-deschenes.ca/resources/Énoncé%20historique%20Deschênes%20-%20Guitard%202012.pdf

[6] Lucien Brault nomme le territoire Des-Chênes et il explique que le nom des rapides Deschênes « vient du fait que de nombreux chênes y poussent sous le régime français selon le chevalier de Troyes en 1686 » et il ajoute que les Algonquins nomment l’endroit « Miciminj » qui veut dire « là où pousse le chêne ». Lucien Brault, Aylmer d’hier / of Yesterday, Institut d’histoire de l’Outaouais, Aylmer, Québec, page 233. Chad Gaffield utilise aussi cette source pour confirmer le nom des rapides. Tous les historiens subséquents persistent à utiliser la référence de Louis Taché. Gaffield, L’histoire de l’Outaouais, p. 97. Par ailleurs, Michelle Guitard spécifie la source de ce récit : Pierre de Troyes, dit chevalier, Journal de l’expédition du chevalier de Troyes à la Baie d’Hudson en 1868, Édition et introduction de Ivanhoe Caron, Beauceville, 1918, p. 32. Guitard, Quartier de Deschênes, p. 15. L’ensemble de ces sources réfère à la description de Louis Taché dans le Nord de l’Outaouais, page 205. Il y a cette impression que ce fait est acquis et qu’il ne fait pas objet de contestations ou de revendications depuis 1938.

[7] Lionel Groulx, « L’expédition du Chevalier de Troyes, en 1686, à la baie d’Hudson », L’Action nationale, avril 1941, p. 278. Disponible en ligne à la BAnQ http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/actionnationale/src/1941/04/04/1941-04-04.pdf (Consulté le 10 juillet 2013).

[8] Il y a des Miville-Deschênes qui vivent à Deschenes Mills à la fin du 19e siècle. De plus, la famille Miville-Deschênes est active dans la traite des fourrures en Outaouais au début du 19e siècle. Voici ce que nous explique Michael Newton à ce sujet : « Les frères Miville connaissaient bien ce genre de commerce. Avant son arrivée à la Petite-Nation en 1820, Joseph Miville avait dirigé un hôtel-pension situé au 3, rue des Jardins à Québec, où il était connu comme «cantinier»! (…) Joseph Miville avait protégé son investissement en exploitant des tavernes ou cantines des deux côtés de la rivière, à Bytown et à Hull. » Dans Newton, La maison Charron, p. 12-14.

[9] À ce sujet, nous pouvons retenir les traces de Jacques Miville-Deschênes, négociant de pelleteries et seigneur du fief des Chesnes à La Pocatière au 17e siècle. « Jacques Miville, qui pour la première fois utilise le titre de sieur Deschênes, on ne sait pourquoi (…)» est le deuxième fils de Pierre Miville dit le Suisse, un négociant canadien fort connu dans les cercles du commerce des fourrures. Raymond Ouimet, Pierre Miville – Un ancêtre exceptionnel, Les Éditions du Septentrion, 1989. Cet auteur ajoute : « Jacques Miville, sieur Deschênes, utilise « sieur Deschênes » pour la première fois dans le contrat de mariage avec Catherine de Baillon qui est « Issue d’une famille noble – ce qui pouvait renforcer le statut des Miville en Nouvelle-France. » Dans Ouimet, Pierre Miville, p. 85-87. De plus, vu que les marchands de fourrure laissent peu de traces de leurs affaires commerciales, nous ne pouvons qu’en déduire que ces marchands négocient à des endroits spécifiques où il leur est facile d’intercepter le transport fluvial. Dans Michel Filion, « La traite des fourrures au XVIIIe siècle : essai d’analyse statistique et d’interprétation d’un processus », Histoire sociale/Social History, vol. 20, no 40 (novembre 1987).

[10] Michael Newton. Some notes on Bytown and the fur trade, The Historical Society of Ottawa. Bytown Pamphlet Series. No 5,  1991, p. 7. Michael Newton. « La maison Charron: Symbole d’une vision contrariée ». Outaouais, Le Hull disparu, Institut d’histoire régionale de l’Outaouais, 1982, p. 12.

[11] Si l’hypothèse « des Chênes » était retenue, il aurait alors été étonnant de le voir se perpétuer dans son usage au début du 19e siècle. Le mot chênes aurait alors eu l’avantage d’être traduit à « Oak » comme ce fut le cas de « Oak Bay » en Gaspésie. Bien que l’orthographe du mot cause des problèmes orthographiques au début du 19e siècle, l’ensemble des textes de langue anglaise consultés le maintient en un mot « Deschênes ».

[12] Commission de la toponymie, Deschênes, Portail Québec, Gouvernement du Québec, Québec, dernière mise à jour : juin 2013, http://www.toponymie.gouv.qc.ca/CT/toposweb/fiche.aspx?no_seq=72388 (Consulté le 17 juillet 2013)

[13]   La déposition de Murdoch McGillivray en 1857, mentionne la présence amérindienne sur les dites terres de la partie ouest du lot 15. BAnQ, P 154, D1, Déposition de Murdoch McGillivray signée en 1857. Gard écrit : « All along this part of Lake Deschenes is full of indications of the early people who lived here, possibly ages before the first white man saw these beautiful waters. Aylmer’s noted scientist, Mr. T. W. Edwin Somer, has given years of study to the Lake, with the result that he has made it famous throughout the scientific world, for the many relics he has discovered or encouraged others to hunt out. He has written largely of these relics « Archaeology of Lake Deschenes, » being the most important as bearing upon this particular locality » dans Gard, Pioneers of the Upper Ottawa, 1909.

[14] Pierre Malo, « Aylmer, une ville jalouse de sa beauté », Continuité, no 69, 1996, p. 36.

[15] Archives de l’Ontario, Plan of R 1, c-IV, Nepean, lot 30, con 1 (of), tiré de Elliot, The City Beyond, p. 11 ; BAnQ, P154, D1, Déposition de Murdoch McGillivray signée en 1857; Newton, Some notes on Bytown and the fur trader, p. 9 ; Guitard, Quartier de Deschênes, p. 16. Au sujet du plan du canton de Nepean, Elliot commente : «  Captain Andrew Wilson, an eccentric naval officer, drew this map to illustrate a land petition in 1831. Note – « The Chaudiere development at « Nepean Point » to the left and, to the right, Le Breton Mill and residence at Britannia. Across the river is Day and McGillivray’s store and fur post at Deschênes Rapids ». Il reste toujours à trouver les traces ou les écrits au sujet du poste de traite aux rapides Deschênes.

[16] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 8.

[17] Andrew Wilson, « A history of old Bytown and Vicinity, now the City of Ottawa. » Daily News, 1876, p. 67. Copie Numérisée – A history of old Bytown and Vicinity, now the City of Ottawa .

[18] BAnQ, P 154, S3, D1/1, Déposition faites par Charles Symmes et par Murdoch McGillivray, à Aylmer, 1er juin 1857 ; Arthur Buies, L’Outaouais supérieur,Québec, 1889, pages 273-280 – Version numérique – BAnQ http://collections.banq.qc.ca/bitstream/52327/2022419/1/174229.pdf ; Newton, « Some notes on Bytown and the fur trade », p. 8.

[19] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 16.

[20] LabMIT, Le quartier Deschênes: une vision d’avenir enracinée dans son histoire et sa géographie, p. 25 ; Guitard, Quartier de Deschênes, p. 18 ; Miller, Day, Charles Dewey; Gaffield, Histoire de l’Outaouais, p. 221. Joseph Bouchette mentionne qu’il y a une scierie aux rapides Deschênes en 1832 dans Bouchette, Dictionnaire topographique de la province du Bas-Canada, 1832.

[21] Pierre-Louis Lapointe, « Géographie, histoire et définition d’une identité régionale : le cas de l’Outaouais », Histoire Québec, vol. 11, n° 2, 2005, p. 7.

[22] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 20 et dans le Nord de l’Outaouais, Taché ajoute : « Quelques citoyens se souviennent encore sans doute du moulin Conroy à Deschênes construit en 1870, du moulin à farine situé au même endroit et dont il ne reste plus que quelques vestiges », p. 206-207.

[23] Deschênes Mills est inscrit de cette façon dans la liste des biens de R & W Conroy en 1883. BAnQ, P154, D8, Schedule and Evaluation of R & W Conroy’s Real Estate, Mill property and Timber Limits, 30th November 1883.

[24] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 25.

[25] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 25. Michelle Guitard ajoute dans les notes : «Deschênes sawmill burnt by lightning», dans le journal Equity. Elle explique que l’article est une reproduction d’un journal qui lui a été envoyé donnant la date suivante : July 13th, 1890. Madame Guitard ajoute au sujet de la date de l’incendie des scieries : « Ce n’est pas possible à cause du contenu qui fait référence à la ligne de la Hull Electric. Il faut donc que ce soit après 1896. La personne qui m’a envoyé cette référence est à l’extérieur du pays. Donc à vérifier plus tard. »

[26] Claude Bellavance, « L’État, la « houille blanche » et le grand capital. L’aliénation des ressources hydrauliques du domaine public québécois au début du XXe siècle », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 51, no 4, 1998, p. 495.

[27] Charles E. Goad, « Sheet 200, Dechènes, Que., January 1903, revised to May 1908, [scale 1:6 000] », Hull & Vicinity, Que., January 1903, revised May 1908. Mai 1908, Toronto ; Montréal. En ligne, Bibliothèque et Archives Canada, # Mikan 3823774 http://collectionscanada.gc.ca/pam_archives/index.php?fuseaction=genitem.displayItem&lang=eng&rec_nbr=3823774&rec_nbr_list=4137739,3821551,3855183,3827571,3820161,3824226,3823774,3934773,3855189,3855201 (Consulté le 17 juillet 2013).

[28] Toronto World, Big Nickel and Copper Plant to be built in Deschenes, May 17 1918, Ottawa. http://news.google.com/newspapers?nid=22&dat=19180517&id=_G0DAAAAIBAJ&sjid=nykDAAAAIBAJ&pg=5590,4705274 .

[29] Goad, Dechènes, Que.

[30] Brault, Aylmer d’hier, p. 236. L’auteur écrit qu’en réaction à la volonté du conseil municipal de Deschênes de revitaliser l’usine en 1923, Mackenzie King s’y oppose et donne l’ordre : «  Tear it down ». Madame Guitard suggère qu’une étude plus approfondie pourrait être pertinente quant à l’origine de la raffinerie et au contexte de la fermeture définitive de ce complexe moderne industriel par le Premier Ministre du Canada. Guitard, Quartier de Deschênes, p. 23. Il faudrait alors plonger dans le fonds William Mackenzie King, lequel comprend 316 mètres d’archives textuelles. Bibliothèque et archives du Canada, Fonds William Lyon Mackenzie King, 1815-1969, http://www.collectionscanada.gc.ca/pam_archives/public_mikan/index.php?fuseaction=genitem.displayItem&lang=fre&rec_nbr=98362

[31] Ibid.

[32] Ibid.

[33] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 23.

[34] Ibid. De plus, Manon Leroux explique aussi que l’usine ferme ses portes l’année suivant la promulgation de la paroisse Saint-Médard en 1923. Selon ces propos, l’usine ferme de façon définitive en 1924.

[35] Brault, Aylmer d’hier, p. 236.

[36] Ibid. p. 238.

[37] Ville d’Aylmer, Aylmer, Un passé riche, Un avenir prometteur, Juin 1989, p. 13.

L’hôtel British d’Aylmer

L’hôtel British d’Aylmer

Le secteur Aylmer de la ville de Gatineau compte de nombreux bâtiments historiques qui comme l’hôtel British, ont vu évoluer de près l’histoire de la région de la capitale fédérale. Ses propriétaires sont du groupe de bâtisseurs du village. Aylmer est aussi le lieu où s’installe l’élite régionale qui a des liens étroits avec la bourgeoisie marchande de Montréal, de Québec et de la Grande-Bretagne pendant une bonne partie du 19e siècle. Incorporé en 1847, le village devient rapidement la plaque tournante du transport en bateau-vapeur sur la rivière des Outaouais. Les voyageurs en transit vers le nord-ouest s’arrêtent aux chutes de la Chaudière. Un service de diligences accueille les passagers des vapeurs en transit vers le Nord-ouest canadien. Les diligences empruntent le chemin macadamisé jusqu’au lac Deschênes conduisant les passagers vers le confort des hôtels d’Aylmer. Rafraîchis après une soirée dans le luxueux hôtel British ou un autre établissement hôtelier du village, ils embarquent sur un vapeur au débarcadère Symmes pour poursuivre leur voyage sur l’Outaouais supérieur.

Sketch of the British Hotel in Aylmer, Quebec 71, rue Principale Built by Robert Conroy in 1834 Drawing Source: National Capital Commission Heritage, page 37
Sketch of the British Hotel in Aylmer, Quebec
71, rue Principale Gatineau
Construit par Robert Conroy en 1834
Source : Patrimoine de la Commission de la capitale nationale du Canada,
page 37

Robert Conroy fait construire l’hôtel British en 1834[1], étant ainsi l’un des plus anciens bâtiments historiques de la ville de Gatineau.  L’hôtel ouvre ses portes en 1841 en plus de loger la famille de Robert Conroy et Mary McConnell. L’architecture de l’hôtel British est réfléchie. Les murs de plus d’un mètre d’épaisseur protègent efficacement contre le froid hivernal. « On rapporte qu’aucun autre hôtel ne pouvait se comparer au Canada, à l’époque ; Bytown (Ottawa) n’avait alors qu’une simple cabane en bois rond comme hôtel, près du pont des Sapeurs [2] ». L’hôtel compte plusieurs bâtiments, dont l’auberge originale, l’ancienne résidence des Conroy et l’écurie en arrière. Le voyageur bénéficie ainsi des services de location de chevaux et de voitures à l’écurie de l’hôtel. En fait, l’ensemble du bâtiment est le plus ancien hôtel canadien exploité à l’ouest de Montréal[3].

Les propriétaires Robert Conroy et son épouse Mary McConnell y vivent jusqu’en 1847. Une section de l’hôtel a longtemps servi de résidence personnelle. La famille Conroy aménage à côté de leur hôtel ce qui amène probablement les recenseurs à inscrire la famille comme des résidents de l’hôtel en 1851. Ce recensement indique que Robert Conroy est originaire d’Irlande et qu’il est l’époux de Mary McConnell, née dans la région. Elle est la fille de William McConnell, un des grands propriétaires terriens et exploitants de fourrure et de bois du canton de Hull. William McConnell est un des associés de Philemon Wright. Lui et ses deux frères, James et Georges, se sont établis à l’ouest des chutes de la Chaudière le long des deux premiers rangs du canton de Hull. Ils sont aussi les seuls du groupe d’associés à Wright à ne pas être originaires des États-Unis. Les Conroy se joignent à l’élite locale et investissent dans la construction d’un moulin à farine fonctionnant à la vapeur, le Aylmer Bakery. Cette association avec l’élite amène Robert Conroy à devenir l’hôtelier le plus prospère et à partir de 1850, un marchand de l’industrie du bois des plus imposants de la région.

Le recensement de 1851 mentionne aussi que la famille Conroy vit toujours à l’hôtel avec leurs six enfants âgés entre 2 et 13 ans (James, Elenor, Maria, Robert, Charlotte, William). La famille compte plusieurs employés. Il y a la jeune gouvernante écossaise, Jane Gibb, qui est chargée des enfants. Les autres résidents de l’hôtel sont tous des employés de la famille Conroy sauf pour Georges S. Carter qui y installe son étude d’avocat en 1844. Les Conroy ont à leur service les servants Pat Kelly, un Irlandais catholique, Sam Bell, un irlandais presbytérien et Bridget Lynch, Ann Connelly, deux Irlandaises catholiques. Elisabeth Lowe est la seule employée d’origine américaine et le recensement indique aussi qu’elle est noire. L’entretien de l’hôtel revient aux journaliers Owen Sullivan, un irlandais catholique, Georges Cunningham, un irlandais n’affirmant pas sa religion et monsieur Fletchard, anglican anglais. Le recensement indique que le commis est un jeune Canadien catholique de 24 ans dénommé J. W. Carr.

L’hôtel devient rapidement un haut lieu d’activités et de festivités. Les premières élections municipales à Aylmer sont tenues à l’hôtel en 1847. « Et on prétend même qu’Aylmer aura été la première municipalité à connaitre des élections démocratiques au sein de l’Empire britannique, en dehors de la mère patrie » (Bégin, 1997 : 29). L’hôtel sert à la fois de salle d’assemblée au premier conseil municipal et en 1871, de Cour supérieure du district de l’Ottawa. Il s’y organise les réunions au sujet de la construction du premier chemin macadamisé à l’ouest de Montréal à partir du pont de l’Union aux chutes des Chaudières (Chemin d’Aylmer aujourd’hui). Un comité y prépare aussi la mise en candidature pour obtenir le nom d’Ottawa afin d’accueillir l’Assemblée législative permanente du Canada-Uni. Les francs-maçons de la région s’y réunissent. L’hôtel sert tantôt d’église et d’école.

Les festivités y sont aussi nombreuses. On y célèbre en toute élégance la naissance du Prince de Galles, le futur roi Édouard VII, en 1842. Plus tard, ce dernier vient d’ailleurs prononcer un discours du haut de la véranda de l’hôtel British en 1860. Le prince de Galles est alors en visite dans la région pour poser la première pierre de l’édifice du parlement d’Ottawa. L’hôtel a une élégante et vaste salle aménagée pour les bals et les fêtes. Il y a aussi une salle de billard équipée de tables luxueuses. La salle à manger invite les convives à une des grandes tables de la région offrant des vins, spiritueux et cidres d’excellentes qualités.

Il y a peu de registres de l’hôtel qui ont survécu jusqu’à ce jour. Il est alors difficile de connaitre l’historique des occupants de ce vieux bâtiment de l’inventaire immobilier de la famille Conroy. Robert Conroy opère l’hôtel jusqu’à son décès en 1868. Son épouse Mary prend la relève jusqu’en 1887. Elle saura enchantée de sa voix ses invités lors d’une soirée mondaine où s’annoncent joyeusement les résultats des élections fédérales le 18 septembre 1878. Le maître de cérémonie, révérend Robinson, annonce que John Alexander Macdonald est élu. « Tout le monde a applaudi chaudement l’annonce[4] ». Il n’y a aucune trace des transactions à l’hôtel pendant que les premiers propriétaires gèrent l’hôtel British. Le couple loue leurs opérations hôtelières à partir de 1850 voulant se concentrer davantage dans le commerce du bois et l’exploitation de leur ferme aux rapides de Deschênes. L’hôtel demeure toutefois un bien de la famille Conroy jusqu’en 1902.

L'hôtel British d'Aylmer Source BAnQ
L’hôtel British d’Aylmer
Source BAnQ

Les seuls registres à avoir survécu datent de 1893 à 1896. Le bien est alors de l’inventaire immobilier de William Jackson Conroy et son frère Robert Hugues. Elisabeth Grant gère l’hôtel. Les registres comptent des entrées intéressantes. Cependant, l’hôtel a toujours été reconnu pour le service offert aux grandes personnalités politiques canadiennes. Plusieurs rumeurs persistent au sujet de ce lieu de rencontre de l’élite canadienne. Pierre-Louis Lapointe rapporte que lors de la veille funérailles de Robert Conroy en 1868, quatre étrangers très nerveux se sont introduits en cours de soirée. Ce soir-là coïncide avec le premier assassinat d’un politicien au Canada, Thomas D’Arcy McGee. La rumeur court dans la famille Conroy que ces hommes étaient les assassins et qu’ils se sont présentés à Aylmer pour établir leur alibi. Un autre homme est accusé du meurtre malgré que plusieurs doutes persistent sur son innocence. Il est néanmoins  la dernière personne à être pendue au Canada. Les rumeurs maintiennent que les coupables étaient plutôt des révolutionnaires nationalistes irlandais Fénien menant une lutte armée contre la présence britannique en Amérique. Les légendes veulent aussi que John Alexander Macdonald ait siroté une bière à l’hôtel British d’Aylmer.

Autres que les mentions dans les journaux locaux et les rumeurs, c’est seulement les registres qui peuvent confirmer que l’hôtel British était un lieu d’influence et de rencontres des politiciens dans la région. Le registre de 1895 confirme que les trois filles et le fils de Charles Tupper aient séjourné à l’hôtel. Cette même année le premier ministre canadien, Makenzie Bowell, Sir Charles Tupper, son successeur, Sir Adolphe Caron comte de Westmeath de l’ambassade britannique aux États-Unis et Julius G. Lay  se sont aussi réunis à la British. Richard Bégin note qu’il est troublant de reconnaitre que le Parlement canadien traite à cette époque de la question des écoles du Manitoba qui devient l’une des crises les plus dommageables de l’histoire du Canada[5]. Il faut aussi rendre compte qu’à l’époque, Aylmer est très impliquée dans les discussions du projet de construction du canal de la baie Georgienne qui aurait maintenu son statut de plaque tournante du transport vers l’ouest du Canada à la suite de l’arrivée du chemin de fer dans la région.

Ainsi, en voyant la richesse des faits d’une seule série de registres, quelques articles dans les journaux de l’époque et des rumeurs qui se font toujours courir entourant les personnalités ayant fréquenté l’hôtel British, il ne peut se nier l’influence de l’élite d’Aylmer dans la construction du Canada contemporain. Nul ne peut se douter que ce bâtiment historique a souvent été au centre des activités sociopolitiques du 19e siècle. Et si seulement ces murs de plus de 160 ans d’histoire à Gatineau pouvaient parler…


[1] Gary Blair, Villes et villages de la région de la Capitale nationale, La Commission de la Capitale nationale, Ottawa, 1975, 56 pages.

[2] Richard M. Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British, Association du patrimoine d’Aylmer, Gatineau, 1993, page 26.

[3] Répertoire du patrimoine culturel du Québec, hôtel British, Ministère de la culture et de la communication du Québec, Québec. (Consulté le 28 juin 2013). 

[4] Cité de Promenade Concert at Aylmer dans l’Ottawa Citizen du 18 septembre dans Richard M. Bégin De l’auberge Conroy à l’hôtel British, p. 43.

[5] Richard M. Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British,  p.44.

Autres références :

Richard Bégin, L’hôtel British d’Aylmer : au coeur de l’histoire de la Vallée de l’Outaouais, Histoire Québec, Novembre 2004, Volume 10, Numéro 2,
http://www.erudit.org/feuilletage/index.html?hq1056841.hq1059863@44 (Consultés le 28 juin 2013)

Public archives of Canada, Microfilm, 1955, Recensements- 1851, Number 16, sheet Recensement personnel – District de recensement, no 1, de of village Aylmer 31,

Feuille 1 – http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/recensement-1851/001005-119.02-f.php?&sisn_id_nbr=28658&page_id_nbr=15955&interval=20&&f=jpg&PHPSESSID=9mtc7ce1k078ajp6oj3rc3mdv1

Public Archives of Canada,  Microfilm, 1955, Recensements- 1851, Number 16, sheet Recensement personnel – District de recensement, no 1, de of village Aylmer   31
Public Archives of Canada,
Microfilm, 1955, Recensements- 1851, Number 16, sheet
Recensement personnel – District de recensement, no 1, de of village Aylmer 31

Feuille 2 / Feuille 3- http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/recensement-1851/001005-119.02-f.php&sisn_id_nbr=28658&page_id_nbr=15956&interval=20&&f=jpg&PHPSESSID=9mtc7ce1k078ajp6oj3rc3mdv1

e002309834-feuilles 2-3- Recensement 1851

Valeur patrimoniale de l’hôtel British

Aylmer d’Antan, Partie 1, Cybermagazine Patrimone de l’Outaouais.

Hôtel British, Répertoire du patrimoine culturel du Québec, Ministère de la Culture et des communications du Québec.

Voir aussi dans ce répertoire : Robert Conroy, Maison Robert-ConroyMaison Conroy-McDonald

Patrimoine, Secteur Aylmer, Ville de Gatineau

Hôtel British, Fonds et collection du Patrimoine de Gatineau.

L’hôtel British dans les médias

L’hôtel British est de nouveau au centre des discussions politiques ce printemps. Les travaux de rénovation et de mise en valeur du patrimoine a soulevé toute une polémique politique chez des élus municipaux. Voici quelques articles tirés du journal Le Droit traitant de l’hôtel British en juin dernier.

17 juin 2013, Le British Hôtel «dévisagé»Le chantier du British Hotel sera inspecté

19 juin 2013, British Hotel: mise en demeure contre le conseiller Riel

20 juin 2013, British Hotel: la démolition était conforme 

21 juin 2013, British Hotel: Riel reconnaît certaines fautes