Allocution à la remise des méritas d’excellence des élèves en histoire

Allocution à la remise des méritas d’excellence des élèves en histoire

Allocution à la salle des fêtes, Maison du citoyen à Gatineau, 16 mai 2019,

pour la Société nationale des Québécoises et des Québécois.

Merci tout spécial à mon amie, Sophie Tremblay… Quelle belle collaboration à la rédaction !

Bonsoir à tous et à toutes,

Je vous remercie de vous être déplacés en grand nombre pour souligner les efforts et les succès des jeunes que nous célébrons ce soir. Je tiens également à remercier la Société nationale des Québécois de l’Outaouais, plus particulièrement leur vice-président, M. Alexandre Cubaynes, pour cette aimable invitation. Je me sens privilégiée de pouvoir m’adresser à vous ainsi et je tiens particulièrement à féliciter chacun des récipiendaires de cette soirée pour leur réussite remarquable. Je souhaite également souligner l’apport de leurs enseignantes, de leurs enseignants et de leurs parents qui ont su cultiver ce succès.

Tout d’abord, je tiens à me présenter, je suis Lynne Rodier. Je suis enseignante en univers social au secondaire depuis plus de 20 ans. J’ai également enseigné au primaire avant cela. De plus, je compte plusieurs cordes à mon arc en histoire. En fait, je détiens une maîtrise en histoire, je suis bientôt candidate au doctorat en muséologie et patrimoines, je suis autrice, conférencière, chercheure et guide-interprète.

Cette présentation a pour moi une signification toute particulière. En effet, ce soir, j’ai l’impression de boucler la boucle avec vous, car j’ai décidé de prendre ma retraite de l’enseignement après plus de 30 ans à partager ma passion et mes projets avec mes élèves. C’est donc avec fierté que je souhaite vous passer le flambeau et prendre un nouvel envol vers d’autres projets qui m’allument dans le domaine de l’histoire et du patrimoine de la région de l’Outaouais.

Le message que je souhaite vous transmettre ce soir est qu’il est essentiel de préserver le patrimoine en Outaouais. Selon moi, sauvegarder les lieux de mémoire nous permet de mieux construire le futur. Ces lieux sont vulnérables, mais ils nous parlent. Il est bien facile de laisser la modernité prendre le dessus sur ce passé si riche. Nous n’avons qu’à penser au quartier de l’île de Hull qui a disparu abruptement sous les pics des démolisseurs en 1969 pour faire place aux ternes édifices gouvernementaux. D’ailleurs, ce projet a été plus ravageur en terme de destruction de bâtiments que le feu de 1900 qui a détruit ce même secteur. Ce n’est pas rien.

De plus, l’histoire est primordiale pour comprendre les différents enjeux de notre société. C’est en regardant vers l’arrière que nous réussissons à porter un regard neuf sur ce qui se passe autour de nous et dans le monde entier. Il n’y a qu’à penser au débat sur l’anticléricalisme qui a bouleversé l’élite canadienne-française vers la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle. Mais, savez-vous sur quoi portait ces contestations? Il s’agissait d’un débat sur la place de l’Église au sein de l’État. Ça vous sonne une cloche? En effet, de nos jours, nous vivons un débat semblable, soit le débat sur la laïcité… Il est donc pertinent de se pencher sur le débat sur l’anticléricalisme pour faire un parallèle avec ce que nous vivons aujourd’hui, pour prendre un certain recul sur le débat et pour confronter les divers points sous un autre angle.

L’histoire nous permet également de garder l’esprit ouvert. En allant à la rencontre des gens du passé, nous pouvons constater les origines diverses qui ont forgé notre société gatinoise. Par exemple, un des premiers propriétaires terriens de Pointe-Gatineau et étroit collaborateur de Philemon Wright, London Oxford, était un homme de race noire. De plus, c’est à Gatineau qu’a été élu Jean Alfred, le premier député d’origine haïtienne à l’Assemblée nationale du Québec en 1976. Nous devons donc tirer notre force de cette mixité.

Nous n’avons qu’à penser aux Algonquins qui ont aidé les premiers colons à s’établir dans la région. Par la suite, il est impossible de comptabiliser les différentes vagues de migrants qui sont venus s’installer parmi nous. Que ce soit les Canadiens-Français, venus grossir les rangs des travailleurs du bois et des usines en pleine phase d’industrialisation, les Américains, établis à la chute des Chaudières, les Allemands qui se sont installés dans le Pontiac, les Irlandais catholiques ou protestants qui ont fondé des petits villages un peu partout dans la région, les Écossais de Wakefield, de Shawville et de Clarendon, les Polonais de Buckingham ou les Portugais du Vieux-Hull, chaque communauté a su apporter ses couleurs et ses valeurs pour bâtir la société dans laquelle nous nous épanouissons aujourd’hui.

Par ailleurs, nous avons été fortement ébranlés dans les dernières années par l’arrivée des migrants venus de Syrie. Cependant, force est de constater que la communauté arabe, par exemple, les Kayouk et les Assad, s’est intégrée à notre collectivité dès le début du 20e siècle.

D’autre part, l’histoire nous outille pour faire face à la musique et nous donne du poids pour débattre des différents sujets qui nous occupent. Prenons comme exemple le phénomène actuel des Fake News. Sans une compréhension profonde de notre monde, il est impossible de départager le vrai du faux. Nos connaissances et nos capacités d’analyse acquises dans le cadre de l’étude de cette discipline nous permettent de rester critiques face au flot d’informations qui nous submerge chaque jour.

En fait, pour réussir à percer en histoire, il faut faire preuve d’une curiosité presque obsessive. Il faut persévérer pour aller au fond de l’investigation, découvrir un filon ou explorer une nouvelle source. En effet, une recherche historique fonctionne comme une enquête policière, mais sans témoin direct des faits. Tel un enquêteur, il faut creuser, établir des hypothèses, avancer, reculer et fouiner un peu partout pour découvrir les réalités du passé. Même si certains trouvent cela un peu bizarre, rien ne peut égaler le sentiment de tenir dans ses mains un artefact rare, de respirer l’odeur des archives enfermées durant des décennies, de marcher sur les traces de nos bâtisseurs ou de réussir à prouver que l’homme que l’on cherchait depuis des mois était en fait… une femme! C’est cette adrénaline, ce marathon de recherches, qui anime ma passion pour l’histoire!

En fait, l’histoire est partout autour de nous, elle se trouve sous nos pieds sans même que nous en soyons toujours conscients. Pour la découvrir, il s’agit d’être attentif et d’observer ce qui nous entoure pour tenter de comprendre différents aspects du passé. Pour vous illustrer cela, je vais vous raconter ce qui m’a menée à rédiger mon essai de maîtrise.

Tout d’abord, j’ai toujours eu beaucoup d’affection pour le village de Deschênes, dans l’ouest de la ville de Gatineau. Ma grand-mère y résidait et j’y ai passé de longues journées durant mon enfance. Les sentiments de liberté et de bonheur que j’y ai ressentis ont forgé ma personnalité. Mes souvenirs sont teintés par la convivialité qui y régnait et l’entraide dont faisait preuve ses habitants. Donc, c’est de façon naturelle qu’étant devenue adulte, j’ai développé le besoin de préserver le souvenir de ces lieux enchanteurs à mes yeux.

Mon périple a débuté à cause de l’imposante maison grise, située au 84 rue Vanier, derrière le Tim Horton. Je voyais cette maison depuis mon enfance et son aspect m’avait toujours intriguée. Elle était unique en son genre, différente de ses voisines. Je souhaitais de tout cœur découvrir son histoire, en apprendre plus sur ceux qui l’avaient érigée et ceux qui l’avaient habitée. Ce fut donc le point de départ de cette aventure.

Pour en apprendre plus sur cette maison, j’ai commencé par consulter les registres fonciers couvrant la période de 1900 à nos jours. Malheureusement, les registres précédant avaient été détruits pour la plupart par l’incendie de Hull en 1900 ou par celui d’Aylmer en 1921. Devant cette impasse, je me suis repliée sur les cartes d’assurance incendie, les photos aériennes datant du début du 20e siècle et les cadastres municipaux de l’époque. Ces recherches ont été mitigées, car cette fameuse maison n’apparaissait pas toujours sur ces documents officiels.

Cependant, toutes les informations recueillies pointaient vers une illustre famille de l’époque : la famille Conroy d’Aylmer. Les avoirs de cette famille étaient richement étoffés dans un fonds d’archives situé à la bibliothèque et archives nationales du Québec de Gatineau. Ce fut pour moi une véritable illumination. Un enfant dans un magasin de bonbons ne pouvait être plus heureux que moi devant cette découverte! Je ne tenais plus à terre. Il me tardait de parcourir toutes ces précieuses archives pour découvrir les origines de ma maison.

J’ai passé de longues heures à me pencher sur ces documents sans me lasser, découvrant peu à peu l’histoire des Conroy, une famille de bâtisseurs de notre région. Je fus rapidement attirée par la mère de ce clan, Mary McConnell, une femme exceptionnelle qui n’avait pas froid aux yeux et qui était très avant-gardiste pour son temps. Mary était la fille de William McConnell, un associé de Philemon Wright, le fondateur du canton de Hull. Elle faisait donc partie de la haute société de l’époque. Elle se maria avec Robert Conroy, un aubergiste prospère d’Aylmer qui fit fortune et devint un des barons du bois du 19e siècle. Elle s’investit dans l’entreprise familiale et reprit les rennes de cet empire de main de maître à la mort de son époux.

Les possessions de la famille sont impressionnantes. Il n’y a qu’à penser à l’hôtel British, à l’auberge Symmes, à la maison Lakeview, à la maison Conroy-Driscoll, au cimetière Bellevue ou à la maison Conroy-McDonald, qui a été détruite par un incendie l’hiver dernier. Tous ses sites et ses bâtiments sont encore visibles à Aylmer et font partie du répertoire du patrimoine culturel du Québec.

Par la suite, les fils de Mary prirent la relève de l’empire familial et développèrent les centrales hydroélectriques de Deschênes, le tramway et un ancêtre de la moissonneuse-batteuse.

Et, de fil en aiguille, je me suis éloignée de ma fameuse maison grise, qui était d’ailleurs devenue beige entre temps… Mary est devenue le sujet de mon essai et elle continue, même après toutes ces années, à occuper mon esprit. Plusieurs projets pour la faire connaître à un plus large public m’habitent. Elle a, entre autres, été personnifiée l’été dernier par une comédienne de la troupe de théâtre La dérive urbaine de Gatineau qui fait des visites guidées du quartier du musée.

Par ailleurs, plusieurs autres projets passionnants traitant de l’histoire de Gatineau vont de l’avant actuellement. Prenons comme exemple le projet Zibi, qui se construit sur un ancien lieu sacré autochtone et sur un ancien site industriel. Il y a également la promenade de la rue Jacques-Cartier qui rend hommage aux cageux et aux draveurs, ces valeureux travailleurs du bois. Souvenez-vous également de la bataille pour sauver le quartier du musée de Hull qui a eu lieu l’an dernier. L’intérêt pour le domaine de l’histoire de l’Outaouais est en pleine effervescence et n’attend que votre contribution!

Vous, les jeunes, êtes l’avenir de l’histoire. L’apport de votre génération est nécessaire pour sa préservation et sa conservation, car, sans vous, tout peut se perdre au profit de l’instantanéité.

Il faut également garder à l’esprit que le présent que nous vivons aujourd’hui est ce qui formera l’histoire de demain. Pensez aux inondations de ce printemps, au règne de Trump à la tête des États-Unis ou même au fameux jeu Fortnite. Tous ces événements que nous vivons sont documentés et seront étudiés, analysés et interprétés par les prochaines générations d’historiennes et d’historiens. Imaginez un moment la tête que feront les historiennes ou les historiens du futur lorsqu’ils découvriront les vidéos de la Floss Dance!

Enfin, l’histoire est vivante et elle est constamment en mouvement. Il s’agit de mettre la main sur une pièce d’archive, un artefact ou un témoignage oublié pour constater à quel point toute notre vision des événements peut se transformer. Que vous songiez à devenir historienne ou historien ou non, je souhaite que l’étude de l’histoire vous aide à forger votre identité et vous mène plus loin dans votre cheminement. Encore une fois, je vous félicite pour votre succès exceptionnel et je souhaite que votre ouverture sur le passé vous aide à tracer votre chemin vers le futur pour devenir des citoyennes et des citoyens engagés dans notre société.

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