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La famille McConnell-Conroy

La famille McConnell-Conroy

Mary McConnell, pionnière du canton de Hull (1816-1887)

Les chutes de la Chaudière et le pont sur la rivière Outaouais, Bytown (Ottawa)- Bibliothèque et Archives Canada, c00050, MIKAN 2895118
Les chutes de la Chaudière et le pont sur la rivière Outaouais, Bytown (Ottawa)-
Bibliothèque et Archives Canada, c00050,
MIKAN 2895118

Mary McConnell naît en 1816 sur la ferme familiale de son père, William, situé sur le rang 1 du canton de Hull. Elle grandit dans les environs des chutes Chaudières à proximité du réseau des sentiers des trois portages. Elle est d’ailleurs de la première génération de McConnell à naître dans le canton de Hull au Bas-Canada. Elle épouse Robert Conroy en 1837. Il est inusité de commencer une histoire de famille par l’histoire de la mère. D’ailleurs, Chad Gaffield remarque : « Et même si, dans les documents officiels, le crédit en est généralement attribué au chef de famille, il ne faut pas oublier que la réussite, dans le domaine de la terre et de la forêt, doit être attribuée à la famille tout entière[1]. »

À la lecture des documents légaux du fonds d’archives de la famille Conroy à la BAnQ de Gatineau, nous remarquons rapidement que Mary McConnell joue un rôle pilier dans l’essor des industries à Deschênes. Elle ne se distingue pas des autres femmes d’affaires nées au Bas-Canada. « Outre le soin des enfants, elle joue un rôle de premier plan dans le maintien des relations familiales et sociales et prend en charge, comme les autres, de la conduite des affaires de son mari[2]. » Malheureusement, il reste peu de traces qui prouvent de l’implication de Mary McConnell dans les affaires de la famille Conroy.

Traces du patrimoine de la famille McConnell

Le chemin McConnell et quelques bâtiments historiques le long du chemin d’Aylmer font toujours partie des traces du patrimoine de cette famille pionnière. La maison McConnell, rappelle la croissance d’une zone agricole stable dans le canton de Hull. La famille McConnell est considérée parmi les personnes qui ont contribué à l’essor du canton de Hull. Le bâtiment historique ci-dessous construit vers 1850, est la maison de William H. McConnell, le frère de Mary. Il est un exemple typique des maisons de ferme construites par les descendants des premiers pionniers[3]. Il y a aussi sur le chemin d’Aylmer la maison James McConnell (oncle), et celle de son fils, Richard (cousin de Mary), qui est aussi étroitement associé en affaires à la famille Conroy.

Patrimoine de la famille McConnell

Ferme McConnell, Aylmer, Gatineau  MRC : Gatineau  Reférence : 000070  Cote archives : V006/0006  Source : Section gestion des documents et des archives de la Ville de Gatineau  No fiche : 5066 Cette maison de ferme fut construite par William H McConnell fils au cours des années 1850. (Coup de coeur, 2006; Aldred, 1994, p. 146.)
Ferme McConnell,
Aylmer, Gatineau
Reférence : 000070
Cote archives : V006/0006
Source : Section gestion des documents et des archives de la Ville de Gatineau
No fiche : 5066

Le cimetière Bellevue (cimetière de l’Ouest ou cimetière Conroy) fait partie de l’inventaire immobilier de la famille Conroy de 1872 à 1902. Cette partie du cimetière est directement en face de la maison McConnell sur le côté sud du chemin d’Aylmer[4]. Le cimetière a maintenant besoin de soin pour lui redonner son air d’antan. Plusieurs pierres tombales sont brisées ou ont besoin d’être remises à niveau.

Cimetière Bellevue, chemin d'Aylmer. 2014, Collection Lisa Mibach
Cimetière Bellevue, chemin d’Aylmer.
2014,
Collection Lisa Mibach

Brasser les affaires à l’ouverture de la région : la famille McConnell

Le père de Mary, William McConnell, est du groupe d’associés au chef du canton de Hull, Philemon Wright. Il y développe une grande ferme qui est fondamentale aux pionniers qui doivent assurer leur autonomie alimentaire en région de colonisation. Les surplus sont transformés en farine, en pain, en produit laitier ou en animaux de boucherie. Ces biens sont acheminés vers les chantiers forestiers, les postes de traite et les nouveaux lieux de colonisation de la région de l’Outaouais.

Hull, Bas-Canada Vue sur la rivière des Outaouais à la chute des Chaudières.En arrière plan, on aperçoit les fermes riveraines le long du chemin d'Aylmer. (1830) Source : Archives of Ontario, C 10006. Thomas Burrowes fonds. Hull, on the Chaudière Falls [1830].
Hull, Bas-Canada
Vue sur la rivière des Outaouais à la chute des Chaudières.En arrière plan, on aperçoit les fermes riveraines le long du chemin d’Aylmer.
(1830)
Source : Archives of Ontario, C 10006. Thomas Burrowes fonds. Hull, on the Chaudière Falls [1830].

Le rang 1 du canton de Hull

Mary McConnell grandit sur le rang 1 parmi les territoires les plus connus des trappeurs, des voyageurs, des missionnaires, des marchands et des explorateurs naviguant sur la rivière des Outaouais depuis plusieurs siècles. Ces terres sont ponctuées de lieux de portage imposant de nombreux efforts physiques des voyageurs. Il est aussi le seul rang qui a directement accès aux ressources hydrauliques en dehors de la sphère d’influence de Philemon Wright dans le canton de Hull. Les trois frères McConnell (James, William et George) détiennent plusieurs lots sur les rangs 1 et 2, d’ailleurs, le chemin McConnell est tracé à la limite nord du rang 2.

Établissement du canton de Hull
BAnQ, Plan of part of the Township of Hull situated on the northerly side of the Ottawa River in the Province of Lower Canada. Theodore Davis – 1802 – Fonds Ministère des Terres et Forêts; Cote: E21,S555,SS1,SSS1,PH.17A.

À la frontière entre la fourrure et le bois

Les McConnell ont le privilège d’avoir accès à la rivière des Outaouais par le lac Deschênes et à deux routes hautement fréquentées (ch. Aylmer et ch. Vanier) en plus du sentier (ch. Rivermead) menant à la tête des rapides Deschênes où se trouve une scierie et des moulins appartenant à un mystérieux Ithamar Day, marchand indépendant de fourrures de l’ancienne compagnie : Compagnie du Nord-Ouest (CNO). D’ailleurs, le verso du 0,05$, le castor, est la marque de commerce de la CNO.

Blason de la Compagnie du Nord-Ouest Montréal, Compagnie fondée en 1783
Blason de la Compagnie du Nord-Ouest,
Montréal,
Compagnie fondée en 1783.

Exploitants des ressources forestières

James et William McConnell ont aussi un magasin-entrepôt sur le lot 14 près des rapides Deschênes où, en 1832, l’arpenteur général du Bas-Canada, Joseph Bouchette, qualifie les lieux comme un des 2 endroits idéaux, l’autre étant Aylmer, pour y installer le premier village du canton de Hull[5]. Ce magasin répond surtout aux besoins des résidents et des voyageurs en transit sur les sentiers entre les trois lieux de portage dans les environs de la chute des Chaudières. D’autant plus, le magasin-entrepôt de James et de son frère, William McConnell profite de l’achalandage sur le lot voisin où il y a une scierie et le poste de traite McGillivray & Day aux rapides Deschênes. Le magasin-entrepôt aux rapides Deschênes et les concessions forestières atteignant le lac Témiscaminque sont à proximité des postes de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH). Cette situation rappelle des rivalités entre les marchands indépendants de l’ancienne CNO de Montréal et de sa rivale britannique, CBH, en plus, que l’exploitation forestière ne se limite pas qu’au bois en Outaouais. D’ailleurs, c’est le gouverneur de la Compagnie de la Baie d’Hudson, George Simpson,  qui affirme : « Every lumber Contractor and Labourer is a Trader.[6]».

Bibliothèque et Archives Canada : C-002772 Crédit : BAC, No. Acc. 1989-401-4
Groupe de voyageurs autour d’un camp de feu ca. 1870
Source : Bibliothèque et Archives Canada C-002772
Crédit : Bibliothèque et Archives Canada Acc. No. 1989-401-4

Le bois et la fourrure

Il y a tout pour croire que la fourrure maintient davantage son importance devant la production agricole et l’industrie du bois pour la famille McConnell. William, père de Mary, et son oncle, James McConnell, succèdent à Ithamar Day qui quitte définitivement la région en 1831[7]. Day cède ses droits sur la partie ouest de lot 15, rang 1, à son fils, Charles Dewey Day. Ce dernier devient un des juges les plus marquants de l’histoire canadienne ayant entre autres, participé à la rédaction du Code civil du Bas-Canada et transformé l’instruction publique au Canada. Enfin, les marchands de fourrure laissent peu de traces des transactions menant à de bonnes affaires. Il est alors difficile de suivre leur passage dans la région.

Commission ayant pour mandat de codifier les lois du Bas-Canada (vers 1865). De gauche à droite : Joseph Ubald Beaudry, Charles Dewey Day, René-Édouard Caron, Augustin-Norbert Morin et Thomas McCord. Musée McCord  MP-0000.1815.2
Commission ayant pour mandat de codifier les lois du Bas-Canada (vers 1865). De gauche à droite : Joseph Ubald Beaudry, Charles Dewey Day, René-Édouard Caron, Augustin-Norbert Morin et Thomas McCord.
Musée McCord
MP-0000.1815.2

Mary McConnell et les rapides Deschênes

Il demeure que Mary McConnell a vu de près le développement de la fourrure en Outaouais au début du 19e siècle, y étant exposée, directement ou indirectement, depuis sa tendre enfance. Sa proximité avec l’exploitation de la fourrure en Outaouais se confirme aussi par le fait que Mary McConnell ait conservé la pétition opposant son oncle James à Ithamar Day dans ses archives. La pétition mène à la lettre patente donnant les droits de propriété des rapides Deschênes à son oncle, James, et à Charles Dewey Day. Mary McConnell conserve les originaux des deux lettres patentes qui partagent en deux le lot 15, rang 1, canton de Hull aux rapides Deschênes, dont la copie originale de Charles Dewey Day, signée par le gouverneur général en chef, comte de Gosford, est conservée parmi les documents légaux de la famille Conroy. La copie brouillon de la lettre patente de son oncle James McConnell est signée par un l’arpenteur général attitré à la colonisation dans la région de l’Ottawa.

Rapides des Chats, près d'Ottawa. ca. 1838-1841. Aquarelle avec raclage sur crayon sur papier vélin. Bainbrigge, Philip John, 1817-1881. BAC- MIKAN no. 2896108.
Rapides des Chats, près d’Ottawa.
ca. 1838-1841.
Bainbrigge, Philip John, 1817-1881.
BAC- MIKAN no. 2896108.

Robert Conroy : L’époux de Mary McConnell

Le jeune irlandais énergétique, Robert Conroy, en compagnie des frères, Edward et Murdoch, McGillivray, tous trois des marchands de Montréal, arrivent à Bytown au début des années 1830[8]. Ces trois hommes célibataires sont aussi de l’ancienne CNO, fusionnée à la Compagnie de la Baie d’Hudson depuis 1821. Edward McGillivray, le premier maire de Bytown, et son frère, Murdoch, sont magasiniers sur la rive nord du lac Deschênes, non loin des rapides (lot 15-b ou lot 16). Murdoch McGillivray opère les entreprises Day & McGillivray qui comprend le poste de traite de Deschênes. Ce dernier est établi dans le canton de Nepean sur la rive sud des rapides Deschênes.

View from Wellington Street, Upper Bytown ca. 1845.  Thomas Burrowes, Painting of a view from Wellington Street, Upper Bytown, ca. 1845. Thomas Burrowes fonds.  Archives of Ontario, C 1-0-0-0-10.
View from Wellington Street, Upper Bytown
ca. 1845.
Thomas Burrowes,
Painting of a view from Wellington Street, Upper Bytown, ca. 1845.
Thomas Burrowes fonds.
Archives of Ontario, C 1-0-0-0-10.

Le bois et le canot de traite

Quant à Robert Conroy, il s’établit à Aylmer à la même époque que John Egan avec qui, Conroy se lance dans le commerce du bois. Ainsi, Robert Conroy est en lien étroit avec des marchands profitant de l’essor des ressources forestières en Outaouais. De plus, on sous-estime souvent le rôle de la fourrure dans l’essor économique de l’Outaouais durant la première partie du 19e siècle. Le canot de traite prend pourtant de son importance et le premier groupe de pionniers préfère toujours ce mode de transport pour se rendre à Montréal[9]. C’est dans ce contexte que Robert Conroy vient à épouser Mary McConnell en 1837.

Canots de la Compagnie de la Baie d'Hudson aux rapides des Chats.  1838. Aquarelle avec raclage et touches d'encre noire sur crayon sur papier vélin. Bainbrigge, Philip John, 1817-1881. BAC- MIKAN no. 2895632
Canots de la Compagnie de la Baie d’Hudson aux rapides des Chats.
1838.
Bainbrigge, Philip John, 1817-1881.
BAC- MIKAN no. 2895632

 Les pelleteries à l’arrivée de Robert Conroy en Outaouais

Il faut admettre que James McConnell quitte définitivement le domaine des pelleteries, lors du décès accidentel (noyade : rivière des Outaouais) de son fils aîné, aussi appelé James, en 1847. Quant à William McConnell, père, et Robert Conroy, ils entretiennent toujours des liens avec Murdoch McGillivray comme le révèle indirectement McGillivray dans son témoignage de la pétition opposant Charles Dewey Day à James McConnell. Cette pétition s’échelonne s’étire de 1831 à 1857, et se conclut six ans après le décès de James McConnell, père, au moment où Mary McConnell prend possession dans un contexte litigieux la partie est du lot 15 aux rapides Deschênes.

Les débuts de Robert Conroy à Aylmer coïncident aussi à l’essor de la navigation à vapeur sur l’Outaouais. Pour citer Richard Bégin : «Le service de bateaux va littéralement lancer le développement d’Aylmer[10]. » Dans le Nord de l’Outaouais, Louis Taché nous apprend que la jeune communauté riveraine d’Aylmer prend rapidement l’allure d’un port de mer déjà occupée par la Compagnie de la Baie d’Hudson qui fait des bords du lac Deschênes le point de départ de tout l’approvisionnement de ses postes de l’Outaouais[11]. La noce de Mary McConnell et de Robert Conroy associe alors une famille pionnière bien établie à une deuxième vague d’immigration britannique dont plusieurs pionniers sont de l’élite marchande de Montréal.

Robert Conroy, Bibliothèque et Archives nationales du Québec Cote : P137,S4,D11,P21 P137 Fonds Famille Foran S4 Catherine Francis Kearney-Foran Centre : Gatineau Titre, Dates, Quantité Robert Conroy / Ellisson & Co., Quebec . - 1863 - 1 photographie(s) : épreuve "carte de visite", sépia ; 6 x 10 cm Autres formats Numérique. TermeCONROY, ROBERT, 1811-1868
Robert Conroy (1811-1868),
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Cote : P137,S4,D11,P21
Fonds Famille Foran
Centre : Gatineau
– 1863

Associations d’affaires de la famille McConnell-Conroy

Nul ne peut douter que l’histoire de la famille Conroy nous permette de comprendre que les bâtisseurs ne travaillent jamais seuls. Cette collaboration entre les pionniers est le pivot fondamental de leur réussite dans le domaine de la colonisation et de l’essor économique de la région sur les deux rives de l’Outaouais. D’ailleurs, Robert Conroy s’associe à des marchands bien connus dès son arrivée dans la région. Loin d’être étranger au commerce des fourrures par son association aux frères McGillivray et les frères McConnell, ce jeune entrepreneur ambitieux ne tarde pas à se joindre en affaires au neveu de Philémon Wright, Charles Symmes, dans des entreprises de transport et de commerce à L’abord-à-Symmes où se trouve une auberge en pierre (Auberge Symmes), un quai de débarquement et un magasin-entrepôt. La vapeur sert bien ces commerçants. D’ailleurs, Charles Symmes est considéré de plein droit comme le fondateur du village d’Aylmer.

L'auberge Symmes. Gravure par W. H. Bartlett, 1842.  (Source - collection privée)
L’auberge Symmes. Gravure par W. H. Bartlett, 1842.
(Source – collection privée)

Le monde politique

La famille Conroy est aussi étroitement associée à celle de John Egan qui lui est le premier maire d’Aylmer et plus tard, député à l’Assemblée nationale. À partir de 1843, Robert Conroy est échevin sur le conseil municipal et plus tard, maire, d’Aylmer. Quant à Mary McConnell, elle saura capter l’attention de journalistes de l’époque par sa voix que l’on acclame lors de soirées mondaines à l’hôtel British[12].

John Egan, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, P137,S4,D11,P4. Fonds de la famille Foran
John Egan,
Bibliothèque et Archives nationales du Québec,
P137,S4,D11,P4.
Fonds de la famille Foran

Essor des entreprises locales

Dès 1839, Robert Conroy se joint à l’élite locale en investissant dans la construction d’un moulin à farine fonctionnant à la vapeur, le Aylmer Bakery[13]. Il déteint aussi des actions dans la Upper Ottawa Steamboat Company qui sert à « Faire essentiellement la navette entre Aylmer et Fitzroy Harbour, sur l’autre rive, et pour servir à des travaux de remorquage[14]. » Une autre entreprise regroupant un groupe d’actionnaires d’Aylmer dont fait partie la famille Conroy est The Bytown & Aylmer Union Turnpike Company qui voit à la reconstruction du chemin d’Aylmer alors relégué aux routes boueuses difficilement carrossables. Cette route est macadamisée[15] et elle relie les auberges Conroy d’Aylmer au pont de l’Union (pont des Chaudières) à Bytown (Ottawa)[16]. Les actionnaires profitent des tarifs des postes de péage pour rentabiliser leur investissement. À l’échelle régionale, Robert Conroy se joint à des hommes d’affaires de la région et de la communauté francophone de Montréal dans l’entreprise du chemin de fer : Montreal & Bytown Railway. Cette ligne de chemin de fer prévoit relier Montréal à Bytown par la rive nord. La malchance et les difficultés financières de cette compagnie à charte conduisent à l’abandon la compagnie à charte responsable de sa construction à la fin des années 1850, n’ayant mis en service que le tronçon entre Grenville et Carillon en 1854.

La rue Bancroft, Aylmer 1860. On y voit notamment la première église Saint-Paul (chemin Eardley), la maison Foran, la meunerie d’Aylmer et le magasin général de Charles Devlin.
Source : Bibliothèque et archives Canada.

Patrimoine de la famille Conroy

Ainsi, l’importance du patrimoine de la famille Conroy démontre de la situation économique privilégiée d’une des familles fondatrices du secteur Aylmer à Gatineau. En suivant les traces de leur patrimoine, il est permis de faire un retour sur les moyens que prend la famille Conroy pour brasser les affaires en région de colonisation au 19e siècle. Il se trace alors  une histoire de famille à travers les traces de leur patrimoine. Ainsi, dans le cadre du prochain article de la série Bâtisseurs de l’Outaouais, est de voir aux traces du patrimoine qui nous amènent vers des récits peu connus de l’histoire de Gatineau, de l’Outaouais, du Québec et voir même, du Canada.

Scenes on the Ottawa. Lumbering. Views of Aylmer, P.Q. vol.XVIII, no. 10. 152-153
Scenes on the Ottawa. Lumbering. Views of Aylmer, P.Q.
Canadian Illustrated News , vol.XVIII, no. 10. 152-153
La résidence de la famille Conroy, Lakeview, est situé en bas de l’image à gauche.

Notes et références

[1] Chad Gaffield, L’histoire de l’Outaouais, p. 136.

[2] Denyse Baillargeon, Brève histoire des femmes au Québec, Boréal, Montréal (Québec), 2012, p. 50.

[3] Lieux patrimoniaux du Canada, Maison McConnell, Commission de la capitale nationale (CCN). http://www.historicplaces.ca/fr/rep-reg/place-lieu.aspx?id=11396

[4] Diane Aldred, Chemin d’Aylmer, p. 144-145.

[5] Bouchette, Dictionnaire topographique de la province du Bas-Canada.

[6] Michael Newton, « Some notes on Bytown and the fur trade », The Historical Society of Ottawa, Bytown Pamphlet series. No 5, 1991.

[7] The McConnell brothers on the Aylmer Road were a threat to the HBC fur trade with their large lumbering operations which by 1836 had reached the foot of Temiscaming Lake, This family posed a further danger, for the McConnells had always traded furs on the side and when settled in Opinika Lake, just below Lake Temiscamingue, both Cameron and (governor) Simpson were convinced that their new venture was merely a cover for their designs on the Fort’s trade. Not surprisingly, the McConnells succeeded Ithamar Day as owners of lot 15 range 1 Hull Township – The Deschênes Rapids Post – when Day quit the trade in the 1830s. Dans : Michael Newton, « Some notes on Bytown and the fur trade », The Historical Society of Ottawa, Bytown Pamphlet series, No 5, 1991, p. 9.

[8] « We shall endeavour to mention some of the old stock of British extraction, that were among the first pioneers of old Norwester Cork, and Mr. Conroy, of old Bytown, these two came here in 1826. E. (Edward) McGillivray and his brother (Murdoch) came in 1835. » Dans : Andrew Wilson, « A history of old Bytown and Vicinity, now the City of Ottawa. » Daily News, 1876.

[9] « The early settlers had to canoe it to Montreal for their goods. Honeywell is said to have gone and returned alone more than once. This must have taken all a man’s ability to get a canoe up the Rapids with the lightest load, while he waded in the edge of the stream, and kept his frail bark from being broken on the rocks. We can fancy the Moores, Honeywells, McConnells, etc., going in pairs or companies with ease and success, but we pity the man who would do the thing now. » Dans : Gourlay, History of The Ottawa Valley (1896), p. 200.

[10] Richard Bégin, « Le chemin et le port d’Aylmer : la voie de l’Outaouais supérieur », Histoire Québec, vol. 11, no 1, 2005, p. 6.

[11] Louis Taché, Nord de l’Outaouais, p. 203.

[12] Voir : Anson Gard.

[13] Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 25.

[14] Richard Bégin, « Le chemin et le port d’Aylmer : la voie de l’Outaouais supérieur », Histoire Québec, vol. 11, no 1, 2005, p. 3.

[15] « Les procédés de macadamisage consistaient à poser une fine couche de pierre concassée sur la route afin de former une surface de gravier bien tassé permettant de garder l’assiette de la route sèche et solide en tout temps. » Dans Aldred, Le chemin d’Aylmer, p. 33.

[16] Aldred, Le chemin d’Aylmer, p. 31 ; Ville d’Aylmer, Symmes, p. 15.

L’hôtel British d’Aylmer

L’hôtel British d’Aylmer

Le secteur Aylmer de la ville de Gatineau compte de nombreux bâtiments historiques qui comme l’hôtel British, ont vu évoluer de près l’histoire de la région de la capitale fédérale. Ses propriétaires sont du groupe de bâtisseurs du village. Aylmer est aussi le lieu où s’installe l’élite régionale qui a des liens étroits avec la bourgeoisie marchande de Montréal, de Québec et de la Grande-Bretagne pendant une bonne partie du 19e siècle. Incorporé en 1847, le village devient rapidement la plaque tournante du transport en bateau-vapeur sur la rivière des Outaouais. Les voyageurs en transit vers le nord-ouest s’arrêtent aux chutes de la Chaudière. Un service de diligences accueille les passagers des vapeurs en transit vers le Nord-ouest canadien. Les diligences empruntent le chemin macadamisé jusqu’au lac Deschênes conduisant les passagers vers le confort des hôtels d’Aylmer. Rafraîchis après une soirée dans le luxueux hôtel British ou un autre établissement hôtelier du village, ils embarquent sur un vapeur au débarcadère Symmes pour poursuivre leur voyage sur l’Outaouais supérieur.

Sketch of the British Hotel in Aylmer, Quebec 71, rue Principale Built by Robert Conroy in 1834 Drawing Source: National Capital Commission Heritage, page 37
Sketch of the British Hotel in Aylmer, Quebec
71, rue Principale Gatineau
Construit par Robert Conroy en 1834
Source : Patrimoine de la Commission de la capitale nationale du Canada,
page 37

Robert Conroy fait construire l’hôtel British en 1834[1], étant ainsi l’un des plus anciens bâtiments historiques de la ville de Gatineau.  L’hôtel ouvre ses portes en 1841 en plus de loger la famille de Robert Conroy et Mary McConnell. L’architecture de l’hôtel British est réfléchie. Les murs de plus d’un mètre d’épaisseur protègent efficacement contre le froid hivernal. « On rapporte qu’aucun autre hôtel ne pouvait se comparer au Canada, à l’époque ; Bytown (Ottawa) n’avait alors qu’une simple cabane en bois rond comme hôtel, près du pont des Sapeurs [2] ». L’hôtel compte plusieurs bâtiments, dont l’auberge originale, l’ancienne résidence des Conroy et l’écurie en arrière. Le voyageur bénéficie ainsi des services de location de chevaux et de voitures à l’écurie de l’hôtel. En fait, l’ensemble du bâtiment est le plus ancien hôtel canadien exploité à l’ouest de Montréal[3].

Les propriétaires Robert Conroy et son épouse Mary McConnell y vivent jusqu’en 1847. Une section de l’hôtel a longtemps servi de résidence personnelle. La famille Conroy aménage à côté de leur hôtel ce qui amène probablement les recenseurs à inscrire la famille comme des résidents de l’hôtel en 1851. Ce recensement indique que Robert Conroy est originaire d’Irlande et qu’il est l’époux de Mary McConnell, née dans la région. Elle est la fille de William McConnell, un des grands propriétaires terriens et exploitants de fourrure et de bois du canton de Hull. William McConnell est un des associés de Philemon Wright. Lui et ses deux frères, James et Georges, se sont établis à l’ouest des chutes de la Chaudière le long des deux premiers rangs du canton de Hull. Ils sont aussi les seuls du groupe d’associés à Wright à ne pas être originaires des États-Unis. Les Conroy se joignent à l’élite locale et investissent dans la construction d’un moulin à farine fonctionnant à la vapeur, le Aylmer Bakery. Cette association avec l’élite amène Robert Conroy à devenir l’hôtelier le plus prospère et à partir de 1850, un marchand de l’industrie du bois des plus imposants de la région.

Le recensement de 1851 mentionne aussi que la famille Conroy vit toujours à l’hôtel avec leurs six enfants âgés entre 2 et 13 ans (James, Elenor, Maria, Robert, Charlotte, William). La famille compte plusieurs employés. Il y a la jeune gouvernante écossaise, Jane Gibb, qui est chargée des enfants. Les autres résidents de l’hôtel sont tous des employés de la famille Conroy sauf pour Georges S. Carter qui y installe son étude d’avocat en 1844. Les Conroy ont à leur service les servants Pat Kelly, un Irlandais catholique, Sam Bell, un irlandais presbytérien et Bridget Lynch, Ann Connelly, deux Irlandaises catholiques. Elisabeth Lowe est la seule employée d’origine américaine et le recensement indique aussi qu’elle est noire. L’entretien de l’hôtel revient aux journaliers Owen Sullivan, un irlandais catholique, Georges Cunningham, un irlandais n’affirmant pas sa religion et monsieur Fletchard, anglican anglais. Le recensement indique que le commis est un jeune Canadien catholique de 24 ans dénommé J. W. Carr.

L’hôtel devient rapidement un haut lieu d’activités et de festivités. Les premières élections municipales à Aylmer sont tenues à l’hôtel en 1847. « Et on prétend même qu’Aylmer aura été la première municipalité à connaitre des élections démocratiques au sein de l’Empire britannique, en dehors de la mère patrie » (Bégin, 1997 : 29). L’hôtel sert à la fois de salle d’assemblée au premier conseil municipal et en 1871, de Cour supérieure du district de l’Ottawa. Il s’y organise les réunions au sujet de la construction du premier chemin macadamisé à l’ouest de Montréal à partir du pont de l’Union aux chutes des Chaudières (Chemin d’Aylmer aujourd’hui). Un comité y prépare aussi la mise en candidature pour obtenir le nom d’Ottawa afin d’accueillir l’Assemblée législative permanente du Canada-Uni. Les francs-maçons de la région s’y réunissent. L’hôtel sert tantôt d’église et d’école.

Les festivités y sont aussi nombreuses. On y célèbre en toute élégance la naissance du Prince de Galles, le futur roi Édouard VII, en 1842. Plus tard, ce dernier vient d’ailleurs prononcer un discours du haut de la véranda de l’hôtel British en 1860. Le prince de Galles est alors en visite dans la région pour poser la première pierre de l’édifice du parlement d’Ottawa. L’hôtel a une élégante et vaste salle aménagée pour les bals et les fêtes. Il y a aussi une salle de billard équipée de tables luxueuses. La salle à manger invite les convives à une des grandes tables de la région offrant des vins, spiritueux et cidres d’excellentes qualités.

Il y a peu de registres de l’hôtel qui ont survécu jusqu’à ce jour. Il est alors difficile de connaitre l’historique des occupants de ce vieux bâtiment de l’inventaire immobilier de la famille Conroy. Robert Conroy opère l’hôtel jusqu’à son décès en 1868. Son épouse Mary prend la relève jusqu’en 1887. Elle saura enchantée de sa voix ses invités lors d’une soirée mondaine où s’annoncent joyeusement les résultats des élections fédérales le 18 septembre 1878. Le maître de cérémonie, révérend Robinson, annonce que John Alexander Macdonald est élu. « Tout le monde a applaudi chaudement l’annonce[4] ». Il n’y a aucune trace des transactions à l’hôtel pendant que les premiers propriétaires gèrent l’hôtel British. Le couple loue leurs opérations hôtelières à partir de 1850 voulant se concentrer davantage dans le commerce du bois et l’exploitation de leur ferme aux rapides de Deschênes. L’hôtel demeure toutefois un bien de la famille Conroy jusqu’en 1902.

L'hôtel British d'Aylmer Source BAnQ
L’hôtel British d’Aylmer
Source BAnQ

Les seuls registres à avoir survécu datent de 1893 à 1896. Le bien est alors de l’inventaire immobilier de William Jackson Conroy et son frère, Robert Hughes. Elisabeth Grant gère l’hôtel. Les registres comptent des entrées intéressantes. Cependant, l’hôtel a toujours été reconnu pour le service offert aux grandes personnalités politiques canadiennes. Plusieurs rumeurs persistent au sujet de ce lieu de rencontre de l’élite canadienne. Pierre-Louis Lapointe rapporte que lors de la veille funéraille de Robert Conroy en 1868, quatre étrangers très nerveux se sont introduits en cours de soirée. Ce soir-là coïncide avec le premier assassinat d’un politicien au Canada, Thomas D’Arcy McGee. La rumeur court dans la famille Conroy que ces hommes étaient les assassins et qu’ils se sont présentés à Aylmer pour établir leur alibi. Un autre homme est accusé du meurtre malgré que plusieurs doutes persistent sur son innocence. Il est néanmoins  la dernière personne à être pendue au Canada. Les rumeurs maintiennent que les coupables étaient plutôt des révolutionnaires nationalistes irlandais Fénien menant une lutte armée contre la présence britannique en Amérique. Les légendes veulent aussi que John Alexander Macdonald ait siroté une bière à l’hôtel British d’Aylmer.

Autres que les mentions dans les journaux locaux et les rumeurs, c’est seulement les registres qui peuvent confirmer que l’hôtel British était un lieu d’influence et de rencontres des politiciens dans la région. Le registre de 1895 confirme que les trois filles et le fils de Charles Tupper aient séjourné à l’hôtel. Cette même année le premier ministre canadien, Makenzie Bowell, Sir Charles Tupper, son successeur, Sir Adolphe Caron comte de Westmeath de l’ambassade britannique aux États-Unis et Julius G. Lay  se sont aussi réunis à la British. Richard Bégin note qu’il est troublant de reconnaitre que le Parlement canadien traite à cette époque de la question des écoles du Manitoba qui devient l’une des crises les plus dommageables de l’histoire du Canada[5]. Il faut aussi rendre compte qu’à l’époque, Aylmer est très impliquée dans les discussions du projet de construction du canal de la baie Georgienne qui aurait maintenu son statut de plaque tournante du transport vers l’ouest du Canada à la suite de l’arrivée du chemin de fer dans la région.

Ainsi, en voyant la richesse des faits d’une seule série de registres, quelques articles dans les journaux de l’époque et des rumeurs qui se font toujours courir entourant les personnalités ayant fréquenté l’hôtel British, il ne peut se nier l’influence de l’élite d’Aylmer dans la construction du Canada contemporain. Nul ne peut se douter que ce bâtiment historique a souvent été au centre des activités sociopolitiques du 19e siècle. Et si seulement ces murs de plus de 160 ans d’histoire à Gatineau pouvaient parler…


[1] Gary Blair, Villes et villages de la région de la Capitale nationale, La Commission de la Capitale nationale, Ottawa, 1975, 56 pages.

[2] Richard M. Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British, Association du patrimoine d’Aylmer, Gatineau, 1993, page 26.

[3] Répertoire du patrimoine culturel du Québec, hôtel British, Ministère de la culture et de la communication du Québec, Québec. (Consulté le 28 juin 2013). 

[4] Cité de Promenade Concert at Aylmer dans l’Ottawa Citizen du 18 septembre dans Richard M. Bégin De l’auberge Conroy à l’hôtel British, p. 43.

[5] Richard M. Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British,  p.44.

Autres références :

Richard Bégin, L’hôtel British d’Aylmer : au coeur de l’histoire de la Vallée de l’Outaouais, Histoire Québec, Novembre 2004, Volume 10, Numéro 2,
http://www.erudit.org/feuilletage/index.html?hq1056841.hq1059863@44 (Consultés le 28 juin 2013)

Public archives of Canada, Microfilm, 1955, Recensements- 1851, Number 16, sheet Recensement personnel – District de recensement, no 1, de of village Aylmer 31,

Feuille 1 – http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/recensement-1851/001005-119.02-f.php?&sisn_id_nbr=28658&page_id_nbr=15955&interval=20&&f=jpg&PHPSESSID=9mtc7ce1k078ajp6oj3rc3mdv1

Public Archives of Canada,  Microfilm, 1955, Recensements- 1851, Number 16, sheet Recensement personnel – District de recensement, no 1, de of village Aylmer   31
Public Archives of Canada,
Microfilm, 1955, Recensements- 1851, Number 16, sheet
Recensement personnel – District de recensement, no 1, de of village Aylmer 31

Feuille 2 / Feuille 3- http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/recensement-1851/001005-119.02-f.php&sisn_id_nbr=28658&page_id_nbr=15956&interval=20&&f=jpg&PHPSESSID=9mtc7ce1k078ajp6oj3rc3mdv1

e002309834-feuilles 2-3- Recensement 1851

Valeur patrimoniale de l’hôtel British

Aylmer d’Antan, Partie 1, Cybermagazine Patrimone de l’Outaouais.

Hôtel British, Répertoire du patrimoine culturel du Québec, Ministère de la Culture et des communications du Québec.

Voir aussi dans ce répertoire : Robert Conroy, Maison Robert-ConroyMaison Conroy-McDonald

Patrimoine, Secteur Aylmer, Ville de Gatineau

Hôtel British, Fonds et collection du Patrimoine de Gatineau.

L’hôtel British dans les médias

L’hôtel British est de nouveau au centre des discussions politiques ce printemps. Les travaux de rénovation et de mise en valeur du patrimoine a soulevé toute une polémique politique chez des élus municipaux. Voici quelques articles tirés du journal Le Droit traitant de l’hôtel British en juin dernier.

17 juin 2013, Le British Hôtel «dévisagé»Le chantier du British Hotel sera inspecté

19 juin 2013, British Hotel: mise en demeure contre le conseiller Riel

20 juin 2013, British Hotel: la démolition était conforme 

21 juin 2013, British Hotel: Riel reconnaît certaines fautes