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Mary McConnell, pilier de la famille Conroy

Mary McConnell, pilier de la famille Conroy

1. Rôle des pionnières dans le développement de l’Outaouais

Il est rare que l’histoire économique mentionne les efforts des femmes dans les entreprises familiales au 19e siècle. De plus, on accorde peu d’importance à l’esprit d’initiative d’une femme et de sa famille dans l’essor d’un village. L’histoire de l’Outaouais ne fait pas exception. « L’exploitation forestière est habituellement considérée comme ayant appartenu à un univers masculin, mais femmes et enfants y ont joué des rôles variés et importants, et ce, même dans les familles des principaux marchands[1]. » Dans le cas de la famille Conroy, il est difficile de cerner l’influence de Mary McConnell dans l’essor économique de la région et au sein des entreprises familiales à Aylmer. Son rôle est aussi sous-estimé dans l’établissement du village de Deschênes. « Et même si, dans les documents officiels, le crédit en est généralement attribué au chef de famille, il ne faut pas oublier que la réussite, dans le domaine de la terre et de la forêt, doit être attribuée à la famille tout entière[2]. »

a) Mary McConnell et son intérêt pour le lot 15-a

On attribue habituellement à Robert Conroy ou à ses fils l’essor des premières industries à Deschênes. Les terres près des rapides appartiennent néanmoins à Mary McConnell qui avait acheté pour cinq shillings le lot 15-a de 100 acres de son oncle James[3] avec la permission de son époux et la collaboration de son père, William[4], de son cousin Richard[5], de Charles Symmes et de Murdoch McGillivray[6]. La première scierie aurait été modernisée en 1869, un an après le décès de Robert Conroy, époux de Mary, suivie de la construction d’une deuxième scierie quelques années plus tard[7].

Dans les années 1870[8], les scieries produisent 6 millions de pieds de planches à Deschênes classant ainsi Mary McConnell comme la 8e plus grande productrice de bois de sciage en Outaouais québécois[9]. La ferme Conroy est aussi une des mieux connues de l’est du Canada[10]. Mary McConnell peut donc être considérée comme la bâtisseuse du village industriel aux rapides Deschênes. Ces manufactures et la grande ferme servent de noyau de croissance pour Deschênes[11] où le rail se rend « (…) jusqu’à proximité des moulins (qui) révèlent un volume de production important dans l’économie régionale. »[12] « On y trouvait aussi un moulin à farine avec des auberges et de grandes étables pour y loger les nombreux cultivateurs et leurs attelages qui devaient souvent attendre une journée ou deux pour leur mouture[13]. » La diversité des industries reflète aussi l’importance qu’accorde Mary McConnell au développement de sa terre aux rapides Deschênes. Sa grande ferme loge une grande écurie[14], une des fermes laitières les plus prospères de la région et un élevage porcin. « Déjà en 1894, il y avait suffisamment d’achalandage au village pour y établir un bureau de poste, sous le nom de « Deschênes Mills » [15]». À cette époque, Deschênes Mills fait partie de la municipalité de Hull-Sud (South-Hull).

[Conroy Lumber Mills]
BAC-MIKAN 3371909

2. Regard sur l’évolution du droit civil au 19e siècle

a) La dualité du droit civil au Bas-Canada

La propriété de Mary McConnell aux rapides Deschênes est un observatoire privilégié pour suivre l’évolution du droit civil chez les femmes de l’élite bourgeoise au Bas-Canada. « Depuis la publication de L’histoire des femmes au Québec, peu d’historiens se sont penchés sur les droits civils et politiques des femmes dans la province[16]. » Il est alors intéressant de prendre connaissance des actions de Mrs Robert Conroy dans l’appropriation d’une terre tenue en franc et commun soccage (Common Law) issu de l’héritage McConnell en 1857. « La femme mariée anglaise n’avait aucun droit aux biens accumulés pendant le mariage, même pas s’ils provenaient en tout ou en partie des fruits des biens qu’elle avait apportés au mariage[17]. »

En suivant de plus près la tenure de la propriété avec l’acte de vente et le transfert du lot 15-a de William McConnell à Mary McConnell, les documents notariés démontrent de l’usage du « droit civil à la française » par le fait qu’ils soient signés devant notaire et non d’un avocat faisant usage du « droit civil à l’anglaise »[18]. Les cantons ont un statut particulier au Bas-Canada et sont normalement soumis à la Common Law et non à la Coutume de Paris comme c’était le cas pour les anciennes terres concédées à l’époque de la Nouvelle-France. Mary McConnell est née au Bas-Canada avant 1841, alors elle a toujours la possibilité de se pourvoir du droit de douaire coutumier qui « (…) consistait à retirer l’usufruit (…) de la moitié des biens immeubles possédés par le mari lors du mariage et de ceux qu’elle recevait en héritage de ses père et mère et autres ascendants durant le mariage (art. 1434)[19].

b) La Loi sur l’enregistrement foncier obligatoire de 1841

La Loi sur l’enregistrement foncier obligatoire de 1841 transforme les formalités du droit de douaire requérant de l’inscrire, de le contractualiser et de le formaliser. « Par le droit douaire, une femme et ses enfants peuvent conserver, après la mort du mari propriétaire, la jouissance de certains biens, même s’ils ont déjà été vendus ou hypothéqués[20]. » Cette loi transforme les moyens par lesquels l’épouse peut disposer de ses biens fonciers ou de les protéger des créanciers. « Le privilège du douaire primait sur les droits des autres créanciers[21]. » La loi de 1841 permet alors aux femmes de vendre leur propriété garantie par leur droit de douaire délaissant ainsi ce droit sur l’héritage des enfants et sur la protection des biens immobiliers des créanciers de l’époux à son décès.

Dès 1857, toutes les femmes du Canada-Est peuvent se prévaloir officiellement du droit civil au lieu de la Common Law dans la gestion de leurs biens fonciers[22]. Il demeure que ce ne sont pas toutes les femmes et encore moins leurs enfants qui peuvent facilement se prévaloir du droit de douaire après 1841. « Les femmes doivent désormais renoncer pour elle et leurs enfants à l’ancienne protection matérielle du droit douaire, libérant ainsi les titres de propriété de leurs maris[23]. » En somme, la loi sur l’enregistrement foncier oblige à enregistrer le douaire sur les biens immobiliers. « L’instauration de bureau d’enregistrement, en 1841, ne fait que renforcer pour les femmes l’obligation de renoncer au douaire[24]. » La correspondance légale et financière dans le fonds d’archives de la famille Conroy nous renseigne sur les moyens que prend Mary McConnell pour mettre en valeur le lot 15, rang 1, canton de Hull, entre 1857-1887.

c) Les transactions foncières du village Deschênes

La transformation des lots agricoles en parcelles villageoises demeure mystérieuse, à défaut de réaliser une étude complète de la chaîne de titres fonciers. « De plus, l’arpentage du canton de 1806, ne contenait pas les subdivisions subséquentes[25]. » Les listes d’enregistrement renseignent sur les conditions de vente et les transferts des biens immobiliers. La correspondance légale nous informe sur les biens bénéficiant du droit de douaire sur les biens immobiliers de la famille Conroy. La partie est du village de Deschênes revient d’abord à Ithamar Day en 1831. Ce marchand confie l’autorité de la concession à son fils, Charles Dewey Day, pour les procédures de la demande de la lettre patente avant de quitter définitivement la région pour les États-Unis. « En outre, les colons devaient subir tellement de tracasseries administratives pour obtenir la moindre parcelle de terre de la Couronne ou du clergé que nombreux étaient ceux qui abandonnaient tout projet d’établissement agricole[26]. » Ensuite, au départ de Charles Dewey Day pour Montréal, s’amorce simultanément les procédures de transfert des titres de propriété des lots 15-a et 15-b[27]. En 1857, l’acte de vente et la succession sont finalisés l’année où se retire Charles Dewey Day des affaires entourant le lot 15-b[28] et où Mary McConnell, fille de l’associé William, accède aux titres de propriété du lot 15-a[29]. Cette même année, les formalités juridiques mènent à l’enregistrement et à la publication de la lettre patente de Charles Dewey Day par la Commission des terres de la province du Canada.

Les transferts fonciers se finalisent après le décès de James McConnell en 1851[30]. William devient le propriétaire d’office du lot 15-a, selon divers témoignages, et il transfère à sa fille, Mary, la propriété pour une somme symbolique en 1857. Avec le temps, la légitimité du transfert est contestée ou revendiquée et les difficultés juridiques et légales s’accroissent pour Mary McConnell à Deschênes. Son cousin, Renaldo, conteste la validité de l’entente prise entre Charles Dewey Day et son père, James[31]. Dans sa lettre, il soulève le contexte litigieux dont il a été témoin, car il a accompagné dans cette démarche son père qui avait des difficultés auditives et qui éprouvait toujours du regret quant à la mort de son fils, aussi nommé James, en 1847[32]. Il ne faut pas oublier le témoignage tardif de Murdoch McGillivray qui confirme le transfert de propriété à William McConnell[33]. Sa fille, Mary, fait aussi appel à des politiciens de l’élite conservatrice[34] de la province du Canada. Elle demande à des députés[35] de présenter sa cause devant le parlement du Canada-Uni. Les difficultés légales persistent avec l’accroissement des hypothèques sur les propriétés riveraines des Conroy. À deux reprises, les Conroy doivent comparaître devant la Cour supérieure pour défendre leurs intérêts entourant leurs industries aux rapides Deschênes. On constate alors que la famille Conroy détient un large réseau d’influence politique et économique dans la province du Canada.

Tracé du PPJ Mrs. Robert Conroy
Tracé du Pontiac Pacific Junction Railway (PPJ) sur lequel se trouve le nom de Mrs Robert Conroy. Quand les entreprises R & W Conroy prennent la relève, un nouveau plan sera produit.

3. La veuve, Mrs Robert Conroy

Au décès de Robert Conroy, en 1868, Mary McConnell et son fils aîné James deviennent tutrice et cotuteur des enfants mineurs : Robert Hughes, Charlotte Ann, William Jackson, Mary et Ida[36]. « Seulement après le décès de son mari, comme veuve, pourrait-elle devenir tutrice, et cela, uniquement pour ses propres enfants ?[37] » Dans le testament daté du 13 avril 1868, Mary McConnell est chargée de l’administration de l’ensemble des biens qui reviennent aux héritiers après son décès[38]. Cette administration des biens est la demande privilégiée de la majorité des époux au 19e siècle[39]. Cette situation empêche cependant Mary McConnell de disposer du patrimoine familial, car cette autorité revient à l’ensemble des héritiers après son décès[40]. Ces derniers sont autorisés à vendre leur part d’héritage à leurs frères et à leurs sœurs, une fois qu’ils sont majeurs[41].

BAC-MIKAN 3451003 - Conroy, R. Mrs.-e010953798-v8
Conroy, R. Mrs.- BACe010953798-v8, MIKAN#3451003

a) Le tuteur et l’exécuteur testamentaire

Le fils aîné de la famille, James Conroy, est aussi nommé exécuteur testamentaire. Le testament prévoit une compensation pour sa charge familiale lui léguant une subdivision de 7 acres au sud du lot 15, rang 2, sur lequel se trouve aussi l’église presbytérienne à l’angle des chemins de Deschênes et d’Aylmer[42]. James quitte Aylmer pour s’établir à Fort Collins au Colorado avec sa famille après 1870[43]. Il vend le lot 15, rang 2, à Robert Stewart en 1872[44]. De plus, en 1876, James Conroy cède son autorité et l’entière administration des propriétés foncières à sa mère. Ainsi, Mary McConnell est libre de subdiviser ou de vendre ses parts de propriété de l’héritage Conroy. Elle vend d’ailleurs un droit de passage de 4 acres à la compagnie de chemin de fer quelques mois plus tard. James et son épouse, Emily McConnell, maintiennent cependant un rôle central quant à la perpétuation du droit de douaire des Conroy sur le lot 15-a. Emily McConnell est la seule personne ayant acquis un droit de douaire légitime sur cette propriété[45]. Elle est la fille de Richard McConnell et la petite-fille de l’associé, James McConnell[46].

Pendant ce temps, Mary McConnell concentre ses énergies à rentabiliser sa ferme sur le lot 15-a, rang 1 du canton de Hull et à moderniser les infrastructures industrielles qui font naître un village aux abords des rapides Deschênes à partir de 1869. « Du pouvoir économique détenu par les marchands découle leur influence sociale[47]. » Dame Mary McConnell[48] ou la veuve Mrs Robert Conroy est une de ces femmes pionnières qui a amené le rail[49] vers sa grande ferme laitière, ses hôtels, ses scieries et ses industries et, par ses héritiers, l’hydroélectricité aux rapides Deschênes. La famille Conroy sait composer avec le risque du démarrage et de l’expansion des entreprises en Outaouais. Cette femme assure la position socioéconomique privilégiée de la famille Conroy parmi l’élite régionale à la suite du décès de son époux.

[Conroy Lumber Mills]
Bibliothèque et Archives Canada, a013224-v6,
MIKAN # 3371910

b) L’inventaire après décès de Robert Conroy

En 1880, Mary McConnell est condamnée par la Cour supérieure à verser 246 217 $ à la Banque de Québec[50]. Elle transfère alors une part de ses propriétés à ses fils, Robert Hughes et William Jackson[51]. Devant cette situation trouble, la famille Conroy réorganise ses actifs afin de protéger ses intérêts. Les problèmes légaux de Mary McConnell expliquent probablement le dépôt de l’inventaire après décès de Robert Conroy douze ans après sa mort[52]. Cet inventaire résume l’ensemble des biens immobiliers accumulés par les époux en communauté de biens. « La communauté de biens, automatique en l’absence d’un contrat de mariage, mettait en commun les biens (meubles et immeubles) acquis durant le mariage, les revenus produits durant cette période ainsi que les biens et meubles possédés par les conjoints au moment de l’union[53]. » Il n’y a aucune mention des effets personnels du défunt comme il est souvent la coutume dans de tels inventaires. « Suivant le temps écoulé entre le moment du décès et la rédaction de l’inventaire, le contenu de l’acte est plus ou moins susceptible de rendre fidèlement l’ensemble des biens d’une personne ou de sa communauté[54]. »

Les couples d’origine britannique contractaient majoritairement en séparation de biens vu que la communauté de biens est étrangère au droit anglais au 19e siècle[55]. Ainsi, cette situation contraire aux coutumes britanniques par le choix de ce régime matrimonial laisse peu de doute sur le fait que Mary McConnell précise son régime matrimonial en communauté de biens[56]. « La communauté des biens était assez favorable, d’un point de vue économique, si le couple prospérait et pouvait acquérir des terres ou d’autres immeubles, car l’épouse était propriétaire de la moitié de ces avoirs[57]. » L’usage du « droit civil à la française » dans la gestion de la moitié de ses biens laisse la possibilité à la veuve et tutrice de contracter des hypothèques sur sa part des biens sans pour autant nuire aux parts de ses enfants. La communauté de biens laisse ainsi le droit à la famille à un douaire[58]. Cet inventaire laisse entendre que la famille Conroy formalise de façon définitive le droit de douaire sur leurs propriétés foncières au début des années 1880[59].

4. Protection des biens fonciers de la succession en terre de colonisation

L’inventaire après décès de Robert Conroy introduit le terme Homestead pour décrire certaines propriétés, soit le Homestead Symmes Landing et le R & W Conroy’s Homestead. Cette expression décrit la partie de la propriété où sont surtout installées les industries et les installations de la ferme d’en arrière. Mary McConnell a transformé les terres d’un vieux poste de traite en grande ferme où se multiplient les industries. Elle entreprend les travaux de construction d’au moins une scierie et elle modernise le moulin à farine à grande production. Ces industries mènent Deschênes à son âge d’or entre 1870 et 1920. Cette dame d’affaires d’Aylmer lègue aussi à ses enfants une grande ferme laitière prospère et moderne à une distance de marche des industries.

Le lot 15 est une source importante de revenus de la famille Conroy au 19e siècle. En plus d’être bâtisseuse en région de colonisation, Mary McConnell vit avec les transformations législatives affectant le droit de douaire des femmes au 19e siècle. C’est alors en tant que veuve qu’elle entreprend les démarches nécessaires pour se prévaloir du « droit à la française » dans les documents légaux. Cette procédure est nécessaire pour garantir le droit de douaire. « Ainsi, le nouveau Code civil adopté en 1866 exige que le douaire coutumier, qui avait été épargné par les modifications apportées dans les années 1840, soit désormais soumis lui aussi à la procédure d’enregistrement. » Il y a aussi certaines circonstances qui peuvent faire de leur condition financière une réalité assez fragile[2] surtout dans les domaines du bois et du transport.

P154,S1,D29, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Mary McConnell, Centre des archives de l’Outaouais, Fonds Famille Conroy, Photographie Notman.

Ensuite, Mary McConnell affirme son statut matrimonial en communauté de biens[1] et, dans les documents légaux successifs, il y a des traces de plus en plus évidentes qui laissent entendre que les héritiers de la famille Conroy se prévalent du droit de douaire à la période où s’amène le rail à Deschênes. Les fils, Robert Hughes et William Jackson, se lancent alors en affaire sous le nom de R & W Conroy. Ils protègent ainsi les propriétés de la famille Conroy de leurs créanciers. Ils séparent leur entreprise des terres sur lesquels se situent leurs industries. Ils peuvent ainsi financer le risque de leurs entreprises à Deschênes sans perdre la part de l’héritage qui leur revient à l’ensemble des héritiers et des héritières de la famille Conroy à la fin du 19e siècle.

C’est en 1902 que les héritiers et les héritières commencent à vendre leurs biens immobiliers à la suite des problèmes financiers des entreprises R & W Conroy. Cette période correspond à la vente de certaines parcelles du lot 15-a à la Commission des terres de la Couronne. Par contre, les entreprises démarrées par la famille Conroy poursuivent leurs opérations et elles conservent leurs droits de passage sur les terres de la Couronne. La Compagnie du Canadien Pacifique et la raffinerie de nickel s’installent sur une bonne partie du lot 15-a au début du 20e siècle. Aujourd’hui, une grande partie de ces terres appartiennent à la Commission de la capitale nationale du Canada (CCN).

Ce parc riverain témoigne toujours de la prise de possession de ce bien foncier par une femme d’affaires qui a su préserver les dernières traces du droit de douaire et les transformations du statut juridique des femmes et des droits de la famille dans un canton du Bas-Canada au 19e siècle.

Notes de bas de page

[1] Bradbury explique : « These particuliar legal identities of wifes mattered. When married women interacted with the business world, they were identified not just as wives but as wife common to their goods, wives separate as to their goods, or wives married in exclusion of community » dans Bradbury, Wife to widow, p. 85. Dans le cas particulier de Mary McConnell, ce n’est que lorsqu’elle est veuve que son régime matrimonial se définit. Étant née au Bas-Canada et en absence d’un contrat de mariage, ce statut légal est la norme pour les femmes de cette époque.

[1] Gaffield, L’histoire de l’Outaouais, p. 136.

[2] Ibid.

[3] BAnQ,  P 154, D7, Transfert des propriétés de l’inventaire Mary McConnell à Robert H. et W. J. Conroy, 27 septembre 1880, Lib. B, Vol. 24, Part. 780, No 665.

[4] BAnQ, P 154, S3, D1 / 1, Déposition de l’Affidavit de Murdoch McGillivray faite par Charles Symmes, à Aylmer, 1er juin 1857.

[5] Richard McConnell est le fils de l’associé James McConnell. Sa fille, Emily, épouse James Conroy, le fils de Mary et Robert Conroy en 1864. Voir – Parish register for Saint James’s Church, Hull, Quebec, covering the years 1868-1886, Parish Register 447, page 12. BAnQ, P154, D7, Deed of sale, Maria Jane Conroy, John Nelson, Mary Conroy, John S. Dennis jr., James Conroy, Eleanor Conroy, Alfred Driscoll and Ida H. L. Conroy to Robert Hughes Conroy & W. J. Conroy, registered in the County of Ottawa, Vol. 9, A, 7th day of May 1887. C’est dans cet acte de vente qu’Emily McConnell fait reconnaître son droit douaire sur le lot 15-a. Le mot « DOWER » y est clairement énoncé. Cet acte de vente démontre aussi le pouvoir légal des femmes de la famille Conroy à transiger leur bien foncier. Elles ont autant d’autorité dans les transactions immobilières que leurs époux. Aussi, cet acte demeure vague quant aux titres fonciers des Conroy.

[6] BAnQ, P154, D1 D1 / 1, Déposition de l’Affidavit de Murdoch McGillivray faite par Charles Symmes, à Aylmer, 1 juin 1857.

[7] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 20-21.

[8] Taché, Nord de l’Outaouais, p. 207.

[9] Tassé, Vallée de l’Outaouais, p. 34.

[10] Aldred, Le chemin d’Aylmer, p. 188-189.

[11] Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British, p. 25.

[12] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 6.

[13] Jacques Séguin,  « Un peu d’histoire… », Une communauté chrétienne vivante, Saint-Médard d’Aylmer, 1923-1998, Paroisse de Saint-Médard, 1998, p. 21 et Brault, Aylmer d’hier, p. 233.

[14] LabMIT, Le quartier Deschênes, p. 25 ; BAnQ,  P154, D6, Liste d’inventaire après décès de Robert Conroy, 1879. La liste d’inventaire spécifie qu’il y a 80 vaches, 20 vieux chevaux et 12 poulains de moins de trois ans.

[15] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 7.

[16] Bradbury, Devenir majeure, p. 35.

[17] Evelyn Kolish, « Depuis la Conquête : les Canadiens devant deux droits familiaux », Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 39, 1994, p. 17.

[18] Les actes notariés sont permis dans les townships à partir de 1826. Ces actes démontrent aussi les pratiques subordonnées à la « loi française ». Les documents se conformant à la Coutume de Paris sont habituellement écrits par un notaire. Voir Bradbury, Wife to Widow, p. 153.

[19] Bradbury, Devenir majeure, p. 36.

[20] Collectif Clio, Histoire des femmes du Québec, p. 165.

[21] Bradbury, Devenir majeure, p. 37.

[22] Brierley, The Co-existence of Legal Systems in Quebec, p. 286.

[23] Collectif Clio, Histoire des femmes du Québec, p. 165.

[24] Ibid.

[25] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 18. Guitard ajoute : « De plus, le village de Deschênes a son premier plan cadastral en 1884, et il est modifié en 1887. »

[26] Gérald Bernier, et D. Salée, « Appropriation foncière et bourgeoisie marchande : éléments pour une analyse de l’économie marchande du Bas-Canada avant 1846 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 36, n° 2, 1982,

  1. 185.

[27] James McConnell, frère de William McConnell, meurt en 1851. Quant à Charles Dewey Day, le fils d’Ithamar, il vend vraisemblablement le moulin à scie lors de la vente du lot 15-b à Louis Maurille Coutlée le 16 août 1850 selon Guitard, Quartier de Deschênes, p. 17. Guitard ajoute : « Coutlée avait emprunté l’argent pour l’achat de cette propriété à 2250 £ à quelques voisins (Stewart, Foran, Tufts, Bourgeau, Montmarquet). Les sommes dues passèrent d’un créancier à l’autre et par la Cour Supérieure. » Ibid. p. 17-18.

[28] Il vend le lot 15-b, rang 1 et les améliorations apportées par son père, Ithamar, avant son départ en 1831.

[29] BAnQ, P 154, D1, Acte de vente et de transfert des titres de propriété, 30 mai 1857.

[30] Elaine Howes, The Descendants of Robert McConnell & Eleanor McDonald, The Island Register, http://www.islandregister.com/mcconnell1.html (Consulté le 19 novembre 2013). Voir aussi l’annexe 3, Arbre généalogique, aux pages 92, 93 et 94.

[31] BAnQ, P154, S3, D1/1, Lettre de Renaldo McConnell : « That he is acquainted with the sale his father made of half of lot no 15 in the first range of Hull to Mr Day but he, Ithmar noting of any arbitration  having to them place between his late father and Mr Day relating to the said lot no 15 on the first range aforesaid and does not  believed  that any such arbitration ever took place. ».

[32] Ibid.

[33] BAnQ, P 154, D1, Acte de vente et de transfert des titres de propriété, 30 mai 1857.

[34] Il y a peu de preuve du réseau d’influence politique des Conroy parmi l’élite conservatrice de la province du Canada. En fait, la famille Conroy est proche de cette élite grâce à son luxueux hôtel British. D’ailleurs, le prince de Galle est venu assister à un bal à l’occasion de son passage à Aylmer en 1860 (Bégin, Auberge Conroy, p. 39). Selon les rumeurs, l’assassin de Thomas D’Arcy McGee s’est brièvement présenté aux funérailles de Robert Conroy, décédé le 8 avril 1868, le lendemain du meurtre (Ibid. p.41). John A. McDonald (Ibid. p. 44) était aussi familier avec ce fameux hôtel d’Aylmer, toujours selon les rumeurs, et Louis Cyr est aussi de la liste des invités de passage en 1898 (Ibid. p.46). Enfin, en 1895, il s’y tient une réunion entre Mackenzie Bowell (premier ministre du Canada), Sir Charles Tupper (son successeurs quelques mois plus tard), Adolphe Caron (ministre des postes) et Julius G. Lay du consul général des États-Unis au Canada. Ces hommes séjournent pendant la même période où se discute la questions des problèmes scolaires au Manitoba (Ibid. p. 30).

[35] BAnQ, P 154, D2/1. Lettre au député Thomas Lewis Drummond. La lettre est d’un auteur inconnu. « Thomas Lewis Drummond, the Irish born lawyer and politician who had studied with Charles Dewey Day and also defended Patriots following the Rebellions, described the Registry Ordinance as «  a law that would never have been passed by a free legislature » Note chap.-4.65 dans Bradbury, Wife to Widow, p. 135. Cette citation démontre les changements importants au droit civil du Bas-Canada à la veille de l’Union des deux Canadas. Il est aussi intéressant de voir que Mary McConnell ou tout autre auteur de cette correspondance de la famille Conroy fait appel à un collègue de Charles Dewey Day pour introduire devant le parlement du Canada-Uni cette « affaire » en lien avec le transfert des titres de propriété du lot 15-a.

[36] BAnQ, P154, S3, D1/1, Liste des documents concernant la propriété du lot 15, rang 1, et une partie du lot 15, rang 2, du Canton de Hull entre 1850 et 1887. « Liste enregistrée au Bureau d’enregistrement du Canton de Hull, signée par Louis Duhamel, protonotaire du Bureau d’enregistrement » et dans Guitard, Michelle, Secteur Deschênes, p. 18.

[37] Kolish, Depuis la Conquête : les Canadiens devant deux droits familiaux, p.16.

[38] Traduction libre de : « By which he bequeathed the usufruct of his moveable & unmovable property to Mary McConnell during her lifetime and after her death the full and absolute property to be divided among his children. » BAnQ, P154, D1, Enregistrement du testament de Robert Conroy, 11 avril 1868, « Liste d’enregistrement foncier, 1850-1887, Comté d’Ottawa, Province du Québec, signée devant le registraire, Louis Duhamel.

[39] Bradbury, Wife to Widow, p. 158.

[40] BAnQ, P154, D1, Enregistrement du testament de Robert Conroy, 11 avril 1868, « Liste d’enregistrement foncier, 1850-1887, Comté d’Ottawa, Province du Québec, Signée devant le registraire, Louis Duhamel ». Dans la marge de cette liste, il est indiqué « With reserves however & with ».

[41] BAnQ, P154, D7, Acte de vente et transfert de l’héritage de Charlotte Conroy, 5 mai 1881, pres. B, vol 25, no 528, 455. ; BAnQ, P154, D7, Deed of sale, Maria Jane Conroy, John Nelson, Mary Conroy, John S. Dennis jr., James Conroy, Eleanor Conroy, Alfred Driscoll and Ida H. L. Conroy to Robert Hughes Conroy & W. J. Conroy, registered in the County of Ottawa, Vol. 9, A, 7th day of May 1887.

[42] Ibid. et dans Aldred, Chemin d’Aylmer, p. 179.

[43] James Conroy fait baptiser son fils à Aylmer en 1870. Parish Register 434, Parish Register for Christ Church, Aylmer, Quebec, covering the years 1866-1886, folio 15. Il est noté que James Conroy est marié à Emily McConnell. Elle est la fille de Richard (fils de James McConnell) et alors, la cousine de James McConnell.

[44] BAnQ, P 154, D1, Enregistrement de la vente du lot 15, rang 2 de James Conroy à Robert Stewart, testament de Robert Conroy, « Liste d’enregistrement foncier, 1850-1887, Comté d’Ottawa, Province de Québec, signée devant le registraire, Louis Duhamel ».

[45] L’acte notarié de Charlotte offre un regard détaillé sur la redistribution du patrimoine entre les héritiers Conroy à la suite du décès de leur sœur en 1881. Il décrit en détail le bien foncier des héritiers Conroy et il mentionne le droit douaire dont bénéficie Emily McConnell sur le lot 15-a dans BAnQ, P154, D7, Acte de vente et transfert de l’héritage de Charlotte Conroy, 5 mai 1881, pres. B, vol 25, no 528, 455. De nouveau, le droit douaire est mentionné dans l’acte de vente suivant : BAnQ, P154, D7, Deed of sale, Maria Jane Conroy, John Nelson, Mary Conroy, John S. Dennis jr., James Conroy, Eleanor Conroy, Alfred Driscoll and Ida H. L. Conroy to Robert Hughes Conroy & W. J. Conroy, registered in the County of Ottawa, Vol. 9, A, 7th day of May 1887.

[46] Acte de mariage entre James Conroy et Emily McConnell. Parish Register 447, Saint James Church, Hull, Quebec, covering the years 1868-1886, page 12.

[47] Lise St-Georges, « Commerce, crédit et transactions foncières : pratiques de la communauté marchande du bourg de l’Assomption, 1748-1791 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 39, n° 3, 1986, p. 343.

[48] D’un air très sérieux, la photographie, de Dame Mary McConnell, montre la veuve dans ses habits de veuvage typique des femmes affirmant leur autorité dans la gestion du patrimoine familial au 19e siècle. BAnQ, P154, S1, D29, Fonds de la famille Conroy, « Photographie, Mary McConnell », Studio Notman (Ottawa). Ce portrait rappelle que Mary McConnell peut négocier ses hypothèques et à gérer ses biens fonciers. Elle montre par ses habits son statut social de veuve. À ce sujet, voir Bradbury, Wife to Widow, p. 207-209.

[49] Le nom de Mrs Mary Conroy paraît sur le plan du tracé du chemin de fer menant à Aylmer dans BAnQ, E25, S105, SS4, D878, Fonds du Ministère des Travaux publics et de l’Approvisionnement, W. Dale Harris, Plan du tracé du Pontiac and Pacific Junction Railway, – 400 pieds : 1 po. – 23 avril 1888, Québec.

[50] BAnQ, P154, D1, Enregistrement du jugement de la cour supérieure du district d’Ottawa, 18 septembre 1880,

no 598. Les documents légaux du fonds de la famille Conroy n’offrent aucune explication à ce sujet.

[51] Ibid.

[52] Ibid.

[53] Thierry Nootens, « Des privations ne peuvent pas constituer une fortune : les droits financiers des femmes mariées de la bourgeoisie québécoise face au marché, 1900-1930 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 65, no 1, 2011, p. 62.

[54] Yvan Morin, « La représentativité de l’inventaire après décès : l’étude d’un cas : Québec au début du XIXe siècle», Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 34, n° 4, 1981, p. 521.

[55] Bradbury, Wife to Widow, p. 78-79 ; Kolish, Depuis la Conquête, p. 17.

[56] « May by the death of the said Robert Conroy and the said Mary McConnell as having bien communal en biens (communal et biens soulignés dans le texte) with the said late Robert Conroy, seized and rested with the one undivided half of the said real estate here therefore described which was all acquired during the existence of the said community ». BAnQ, Fonds Conroy, P 154, D7, Fonds de la famille Conroy, Inventaire après décès de Robert Conroy, Aylmer, 11 novembre 1880, Centre d’archives de l’Outaouais.

[57] Bradbury, « Devenir majeure : la lente conquête des droits », Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 21, 1990, p. 36.

[58] Ibid.

[59] Jeune avocat en droit civil, Robert Hughes Conroy, écrit lui-même l’inventaire après décès de son père de la famille selon la copie de 1879.

[1] L’acte après décès (1880) mentionne : « (…) with the store cottage, known as the homestead. » BAnQ, P154, D7, Fonds de la famille Conroy, Acte après décès de Robert Conroy (1880).

[2] Nootens, « Des privations ne peuvent pas constituer une fortune », p. 61.

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Robert Conroy aux premières heures du village d’Aylmer

Robert Conroy aux premières heures du village d’Aylmer

Vers 1830, la région de l’Outaouais est en pleine transformation grâce à l’essor de l’agriculture et du commerce du bois, aux manufactures aux chutes Chaudières et à la construction du canal Rideau. Les chutes et les petits rapides Chaudières ainsi que les rapides Deschênes forment une barrière naturelle qui sépare les cours inférieur et supérieur de la rivière des Outaouais[1]. Ainsi, cette barrière pose un problème au transport de la marchandise et aux mouvements migratoires vers l’ouest de la région de l’Outaouais au début du 19e siècle. De ce fait, les voyageurs sur la voie navigable doivent nécessairement débarquer de leur embarcation aux chutes Chaudières et transiter par le chemin d’Aylmer pour atteindre, par le lac Deschênes, la partie supérieure de la rivière des Outaouais.

Cependant, certains visionnaires de l’époque savent tirer profit de cet obstacle naturel. C’est le cas de Robert Conroy, un jeune Irlandais né en 1811 à Magherafell dans le Comté de Derry[2], qui arrive au bas des chutes Chaudières en compagnie des frères McGillivray, des marchands de Montréal, au début des années 1830[3]. Ces hommes célibataires sont de l’ancienne Compagnie du Nord-Ouest fusionnée en 1821 à la Compagnie de la Baie d’Hudson qui délaisse alors les opérations de Montréal au profit des postes de traite nordiques de la baie d’Hudson. Les environs des chutes Chaudières sont désormais ouverts aux négociants de fourrure indépendants de l’ancienne Compagnie du Nord-Ouest de Montréal[4]. Dès son arrivée, Robert Conroy s’investit dans les activités de transbordement dans les environs du lac Deschênes et « […] devient l’un des entrepreneurs les plus énergétiques à s’établir à Aylmer[5]. »

En 1837, Robert Conroy épouse Mary McConnell, la fille de William, un des trois frères McConnell faisant partie du groupe d’associés de Philemon Wright lors de l’établissement du canton de Hull[6]. Ces frères développent de grandes fermes le long du chemin d’Aylmer. De plus, leurs concessions forestières les mènent jusqu’au pied du lac Témiscamingue[7]. Cette famille connait très bien les difficultés de déplacement et d’accès aux ressources sur la rivière des Outaouais, y ayant voyagé à maintes reprises.

Pendant ce temps, en amont des chutes Chaudières, l’introduction des premiers bateaux à vapeur augmente l’activité fluviale à L’abord-à-Symmes d’Aylmer qui prend vite figure d’un port de mer au Bas-Canada[8]. « La vocation d’Aylmer comme lieu de transbordement de marchandises accéléra son développement. La route d’Aylmer, lien entre Aylmer et Hull, devient l’axe le long duquel s’établirent les premiers colons[9]. » Robert Conroy profite de ces installations en s’associant au neveu de Philemon Wright, Charles Symmes, qui « […] peut être à bon droit considéré comme le fondateur de la ville d’Aylmer[10]. » Conroy se porte finalement acquéreur de L’abord-à-Symmes quelques années plus tard[11].

En outre, Robert Conroy ne lésine pas sur le travail. Déjà, en 1834, Robert Conroy érige son premier hôtel, le Aylmer, à proximité des bâtiments construits sur la rue Principale en 1822 par les Wright pour Charles Symmes[12]. À la fin des années 1830, Robert Conroy entreprend la construction de son fameux hôtel British[13] « […] à l’époque où Bytown n’avait alors qu’une simple cabane en bois rond comme hôtel, près du pont des Sapeurs[14]. » L’hôtel British est un haut lieu d’activités dans le village d’Aylmer, servant autant pour les soirées mondaines que d’église, d’école, de salle d’assemblée au premier conseil municipal et, temporairement, de Cour supérieure du district d’Ottawa. Par ses hôtels, Robert Conroy joue un rôle politique important dans la région en plus d’être un acteur imposant dans le recrutement et l’établissement de la main-d’œuvre et des colons[15].

C’est à partir de 1848 que la famille Conroy délaisse en partie ses opérations hôtelières[16] pour profiter de l’essor de l’industrie forestière et de l’activité fluviale sur la rivière des Outaouais[17]. Entre 1840 et 1850, Robert Conroy ne détient toujours aucune limite forestière[18], malgré le fait qu’il soit un négociant de bois et un marchand (lumberer[19]) ayant rapporté de nombreux radeaux de bois sur la rivière des Outaouais. En fait, il profite des concessions forestières du magnat de l’industrie du bois, John Egan, dans les comtés de Renfrew (Canada-Ouest) et du Pontiac (Canada-Est)[20]. À Bonnechère[21], dans le comté de Renfrew, Conroy aménage un quai d’embarquement et un magasin-entrepôt qui donnent accès aux limites forestières de Egan[22]. Le quai permet alors d’acheminer le bois jusqu’au bas des rapides des Chats sur la rivière des Outaouais[23]. Les bateaux à vapeur s’affairent à remorquer les radeaux de bois assemblés en amont du lac Deschênes. Grâce aux vastes limites forestières de la famille McConnell et de John Egan ainsi que ses liens avec les marchands de la région, Robert Conroy se démarque dans l’acheminement des ressources forestières de l’Outaouais.

Par ailleurs, Robert Conroy est du groupe de bâtisseurs d’Aylmer en devenant un actionnaire important dans les entreprises locales. Il s’implique financièrement auprès des marchands locaux en développant, entre autres, l’Aylmer Union Steam Mill Company[24], l’Aylmer Bakery[25], l’Upper Ottawa Steamboat Company[26] et The Bytown & Aylmer Union Turnpike Company[27]. Cette dernière voit au financement du projet de reconstruction et d’entretien du chemin d’Aylmer qui génère des profits grâce à deux postes de péage. Cette route macadamisée[28] relie les auberges Conroy d’Aylmer au pont de l’Union à Bytown (Ottawa)[29]. Un service de diligences y circule ce qui fait des établissements Conroy l’un des premiers groupes à offrir un service permanent de transport dans la région[30].

Cependant, le succès ne sourit pas toujours à Robert Conroy. Par exemple, en 1854, il se joint, à titre d’actionnaire, au projet du Montreal & Bytown Railway qui envisage d’instaurer une ligne de chemin de fer reliant Montréal à Bytown par la rive nord de la rivière des Outaouais[31]. La malchance et les difficultés financières de cette compagnie à charte conduisent à l’abandon de la construction de cette ligne de chemin de fer[32]. Montreal & Bytown Railway n’a réussi qu’à bâtir le tronçon Carillon-Grenville à la fin des années 1850[33].

À cette époque, la diversification économique est une mesure essentielle pour protéger les négociants du bois devant l’incertitude des marchés extérieurs où les investissements sont sujets aux soubresauts de l’offre et de la demande. « Étant donné la forte stratification des groupes économiques dans la région, quelques membres se révèlent plus en mesure que d’autres de se protéger : certains font face à la faillite, d’autres à la misère[34]. » Les Conroy savent faire preuve de stratégie en élargissant leur inventaire foncier par l’acquisition de propriétés dans le comté d’Ottawa (Canada-Est), de Nepean, de Renfrew et d’Hasting (Canada-Ouest)[35]. La prospérité de Robert Conroy et de sa famille devient évidente, quand, en 1855, ils aménagent une des résidences de pierre des plus prestigieuses à Lakeview, au cœur du village d’Aylmer[36].

Dès 1857, la famille Conroy prend possession d’un vaste ensemble de terres riveraines du patrimoine de la famille McConnell, près des rapides Deschênes, sur le premier rang du canton de Hull, parmi les territoires les plus parcourus par les voyageurs naviguant sur la rivière des Outaouais depuis plusieurs siècles. Ces propriétés, situées le long des chemins d’Aylmer et de Vanier, sont traversées par les routes principales qui assurent le mouvement migratoire vers le nord et l’ouest de la région de l’Outaouais. De plus, ils possèdent également deux grandes fermes[37], des scieries, une meunerie, des logements de location pour les travailleurs[38], un inventaire de magasins-entrepôts, des hôtels à Aylmer, des actions dans les entreprises locales et des quais d’embarquement sur le lac Deschênes[39]. Ainsi, Robert Conroy a, en un coup d’œil, un regard sur les groupes de voyageurs descendant ou remontant l’Outaouais supérieur à partir de L’abord-à-Symmes ou aux rapides Deschênes. Donc, par l’acquisition des différents lots du premier rang, les Conroy s’assurent de la rentabilité de leurs entreprises et d’un héritage à léguer à leurs enfants.

Le parcours de Robert Conroy ne s’arrête pas là. En plus d’exercer un rôle majeur sur l’économie d’Aylmer et de la région de l’Outaouais, il s’investit en politique municipale. À cette époque, Aylmer devient le premier village incorporé de la région, avant Hull et Bytown. Conroy fait partie du premier conseil municipal à titre d’échevin entre 1847 et 1849. Il en devient maire, de 1857 à 1860, puis à nouveau conseiller de 1860 à 1862 et, enfin, il est réélu maire en janvier 1866 jusqu’à sa mort, le 5 avril 1868, à l’âge de 58 ans. Il repose désormais au cimetière Bellevue.

Ainsi, durant la première partie du 19e siècle, Robert Conroy contribue au développement de l’industrie forestière, des voies de communication et du réseau de transport en Outaouais. Bref, ce fin renard a su faire fructifier ses actifs où plusieurs ont échoué. Il demeure qu’il n’aurait pu arriver à se démarquer dans l’économie régionale sans l’appui de son épouse, Mary McConnell, et de sa belle-famille. En outre, il a su collaborer avec l’élite locale pour tirer son épingle du jeu.

Le décès de Robert Conroy et de plusieurs bâtisseurs d’Aylmer, en 1868, va marquer la fin de l’âge d’or de cette petite communauté riveraine sans pour autant marquer la fin de la famille Conroy à cet endroit. La veuve, Mrs Robert Conroy, et ses enfants sauront faire valoir leur savoir-faire et leur sens de l’initiative, ce qui mènera l’Outaouais à l’aube de sa plus grande période d’industrialisation.

Par Lynne Rodier et Sophie Tremblay

NOTES

[1] Pommainville, Les bateaux à vapeur d’Aylmer, p. 30.

[2] Gourlay, The Ottawa Valley, p. 172.

[3] Wilson, A history of old Bytown and Vicinity, p. 67.

[4] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 8.

[5] Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British, p. 23.

[6] Howes, The Descendants of Robert McConnell & Eleanor McDonald.

[7] Gard, Pioneers of the Upper Ottawa.

[8] Taché, Nord de l’Outaouais, p. 204 ; Leroux L’autre Outaouais, p. 113 ; Pommainville, Les bateaux à vapeur d’Aylmer, p. 30-33 ; Bégin, Le chemin et le «port» d’Aylmer, p. 6.

[9] Aldred, Le Chemin d’Aylmer, p. 25.

[10] Taché, Le Nord de l’Outaouais, p. 203.

[11] BAnQ, P154, D8, Inventaire d’évaluation de R & W Conroy’s Real Estate, Will Property and Timber Limits, 30 novembre 1883 ; Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British, p. 23 ; Beaulieu, Leclerc et Lapointe, Aylmer et l’industrie du bois de sciage, p. 36

[12] Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 24.

[13] Blair, Villes et villages de la région de la Capitale nationale, p. 56 ; Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 25.

[14] Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 26.

[15] Tiré du journal Ottawa Citizen : « The following gentlemen, resident in the neighbourhood will furnish on application all needful advice and information; and they have undertaken to give the fullest direction to Emigrants, whether their subject be labour or settlement; – Joseph Aumond, Esq. Bytown; Messrs, C & R McDonnell, do; John Egan & Co., Aylmer; John Foran, Esq.; Robert Conroy, Esq., do; […] dans Reid, Upper Ottawa Valley, p. 168.

[16] Sur l’enregistrement de baptême de Charlotte Anne Conroy, la mention Tavern Keeper est rayée dans le registre paroissial de l’église Saint James. Saint James, Hull, Lower Canada, covering the years 1831-1853, Parish Register 429, p. 129.

[17] Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British, p. 37.

[18] Reid, The Upper Ottawa Valley to 1855, p. lxvi.

[19] Parish register for Saint James’s Church, Hull, Lower Canada, covering the years 1831-1853, Parish Register 429, p. 129.

[20] Lee, The Lumber Kings & Shantymen, p. 27 ; Reid, Upper Ottawa Valley, p. 168.

[21] Dans Lee, The Lumber Kings & Shantymen, p. 27 : John Egan a deux scieries sur la rivière Bonnechère dans le comté de Renfrew et une autre à Quyon dans le comté du Pontiac. Ces deux localités ont accès aux quais de transbordement de Robert Conroy et aux services des bateaux à vapeur naviguant du bas des rapides des Chats jusqu’à Aylmer.

[22] Reid, Upper Ottawa Valley, p. 168.

[23] BAnQ, P154, D6/1, Inventaire après décès de Robert Conroy, 1879.

[24] Beaulieu, Leclerc et Lapointe, Aylmer et l’industrie du bois de sciage, p. 35.

[25] La construction du moulin à farine introduit l’usage industriel de la vapeur à Aylmer. Les actionnaires sont Robert Conroy, John Egan, Charles Symmes et Harvey Parker, dans Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 25.

[26] Pommainville, Les bateaux à vapeur d’Aylmer, p. 31.

[27] Robert Conroy détient toujours des actions dans cette compagnie à son décès en 1868. BAnQ, P154 D6, Inventaire après décès de Robert Conroy, 1879.

[28] Les procédés de macadamisage consistaient à poser une fine couche de pierre concassée sur la route afin de former une surface de gravier bien tassé permettant de garder l’assiette de la route sèche et solide en tout temps. Dans Aldred, Le chemin d’Aylmer, p. 33.

[29] Aldred, Le chemin d’Aylmer, p. 31 ; Ville d’Aylmer, Symmes, p. 15.

[30] Bégin, Le chemin et le « port » d’Aylmer, p. 6.

[31] Reid, The Upper Ottawa Valley to 1855, p. lxxxvii-lxviii.

[32] Ibid.

[33] Ibid.

[34] Gaffield, L’histoire de l’Outaouais, p. 137.

[35] BAnQ, P154, D6/1, Inventaire après décès de Robert Conroy, 1879 ; BAnQ, P154, D7, Transfert des propriétés de l’inventaire Mary McConnell à Robert H. et W. J. Conroy, 27 septembre 1880 ; BAnQ, P154, D7, Deed of sale, Maria Jane Conroy, John Nelson, Mary Conroy, John S. Dennis jr, James Conroy, Eleanor Conroy, Alfred Driscoll and Ida H. L. Conroy to Robert Hughes Conroy & William Jackson Conroy, registered in the County of Ottawa, Vol. 9, A, 7th day of May 1887.

[36] Aldred, Aylmer, Québec, p. 56 ; Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 25.

[37] BAnQ, P154, D6/1, Inventaire après décès de Robert Conroy, 1879 ; BAnQ, P154, D7, Transfert des propriétés de l’inventaire Mary McConnell à Robert H. et W. J. Conroy, 27 septembre 1880 ; BAnQ, P154, D7, Deed of sale, Maria Jane Conroy, John Nelson, Mary Conroy, John S. Dennis jr, James Conroy, Eleanor Conroy, Alfred Driscoll and Ida H. L. Conroy to Robert Hughes Conroy & William Jackson Conroy, registered in the County of Ottawa, Vol. 9, A, 7th day of May 1887.

[38] Ibid.

[39] BAnQ, P154, D6/1, Inventaire après décès de Robert Conroy, 1879 ; BAnQ, P154, D7, Transfert des propriétés de l’inventaire Mary McConnell à Robert H. et W. J. Conroy, 27 septembre 1880.

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(Consulté le 16 septembre 2013).

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Saint-James. Parish register for Saint James’s Church. Hull, Lower Canada, 1831-1853 [Parish Register 429].

L’influence de Robert Conroy en Outaouais

L’influence de Robert Conroy en Outaouais

L’arrivée de Robert Conroy en Outaouais

Dès son arrivée à Aylmer durant les années 1830, Robert Conroy se tisse des liens avec les hommes d’affaires et les propriétaires terriens de l’ouest du canton de Hull. En 1837, Robert Conroy qui est né en 1811 à Magherafell, Comté de Derry, Irlande[1] épouse Mary McConnell. Cette noce associe Robert Conroy à une famille pionnière bien établie dans le canton de Hull. Il n’y a que des hypothèses pour expliquer la venue de Robert Conroy, cependant Gourley affirme que son lieu d’origine est son « calf ground[2] » où l’économie repose surtout sur l’agriculture et les grandes propriétés terriennes réservées principalement à l’élite protestante.

Au cours des années 1830, il s’établit dans la petite communauté riveraine à l’ouest du lac Deschênes sur le lot 21 du rang 2 de Charles Symmes, le neveu de Philémon Wright. Dès son arrivée à Aylmer, Robert Conroy se tisse des liens avec les hommes d’affaires et les propriétaires à l’ouest du 2e rang du canton de Hull. « En louant un hôtel de Charles Symmes [fondateur d’Aylmer] et en épousant une McConnell, Robert Conroy fut dès le début en contact étroit avec l’élite locale naissante[3] ».

À son arrivée dans le canton de Hull, Robert Conroy est témoin du déclin du commerce de la fourrure au profit de l’industrie du bois[4]. Il prend à sa charge l’hôtel de Charles Symmes et l’aménage avec son épouse Mary McConnell. Robert Conroy se place alors en position avantageuse pour entretenir des liens privilégiés contribuant ainsi à l’essor économique et politique de l’Outaouais. En plus de s’associer aux grands propriétaires fonciers et marchands de la famille McConnell, Robert Conroy établit des relations durables avec Charles Symmes et John Egan dans diverses entreprises de développement local allant de la voirie, au transport et au développement manufacturiers.

Au cours des années 1840, il devient évident que la famille Conroy est au centre des activités des aspirants bâtisseurs de l’ouest canadien veillant autant à l’essor de leur communauté qu’à établir un réseau de communication efficace favorisant leur localité dans la Province du Canada. « D’un autre point de vue cependant, les modes d’immigration, de colonisation et d’activité économique donnent lieu à des positions et des priorités distinctes qui, à leur tour, sont aussi bien source de conflit que de coopération[5] ». Les communautés sur les deux rives de la rivière des Outaouais rivalisent hardiment leur position stratégique, économique et politique dans la province coloniale[6]. Les bâtisseurs d’Aylmer se joignent alors en un réseau local et interfamilial pour établir des relations commerciales et politiques avec les marchands et les politiciens de la région de l’Ottawa (Outaouais), de Montréal et de la Grande-Bretagne.

Les débuts d’Aylmer au Symmes Landing

Robert Conroy gère avec Charles Symmes diverses entreprises de la communauté naissante. Une première route est construite en 1820. Elle relie déjà les installations de Philemon Wright au débarcadère naturel paisible du lac Deschênes sur la rivière des Outaouais en amont des trois portages des chutes Chaudières. Les Entreprises Philemon Wright et fils y ont installé la ferme Chaudière sur les rives du lac Deschênes. Les Wright ne priorisent pas le développement de cette grande ferme de l’ouest se concentrant davantage sur leurs installations aux chutes des Chaudières. Au décès de Philemon Wright fils en 1821, Charles Symmes, neveu du fondateur du canton de Hull, se voit confier le développement de la ferme Chaudière.

L’état de la route entre les chutes et la ferme Chaudière laisse à désirer éloignant ainsi Charles Symmes de la sphère d’influence de son oncle Philemon Wright. Ce dernier lui vend le lot 21 sur le 2e rang du canton de Hull menant directement au bout de ce chemin qui conduit vers l’ouest au lac Deschênes. Charles Symmes ne tarde pas à mettre en valeur son lot où affluent de plus en plus les voyageurs et la main d’oeuvre en transit sur l’Outaouais s’embarquant sur les nouveaux bateaux à vapeur au débarcadère qu’on appelle le Symmes Landing («L’Abord-à-Symmes »)[7]. L’acquéreur repaie les sommes exigées pour l’acquitter de sa dette, il obtient la quittance sur son hypothèque de son oncle.

Au cours de la visite de Joseph Bouchette, l’arpenteur général du Bas-Canada dans le canton de Hull en 1825, les environs de l’Abord-à-Symmes retient davantage son attention. Il suggère le site pour l’établissement du premier village du canton de Hull surclassant les propriétés de Philémon de Wright et fils aux chutes des Chaudières et au nord-est du canton de Hull.

Il demeure que Charles Symmes n’est pas seul dans ses entreprises au lac Deschênes à l’ouest du canton de Hull. Il s’associe à des partenaires faisant déjà affaires sur les rives du lac Deschênes. «Bien que Charles Symmes peut être à bon droit considéré comme le fondateur de la ville d’Aylmer, il n’en est pas moins acquis que la Compagnie de la Baie d’Hudson faisait alors des bords du lac Deschênes le point de départ de tout l’approvisionnement de ses postes de l’Outaouais[8] ». Symmes joue alors un rôle important dans le transport de la marchandise vers les postes de traite et les chantiers de l’industrie forestière naissante. Il faut aussi admettre que l’Abord-à-Symmes croît en un lieu de commerce et de transport imposant se maintenant à l’extérieur de la sphère d’influence des Wright dans le canton de Hull.

En 1831, ce futur village obtient le premier bureau d’enregistrement foncier qui est une victoire élargissant son influence et son rôle administratif de la communauté dans le comté d’Ottawa. C’est ainsi que l’on commence à nommer cette localité voisinant la ferme Chaudière des Wright en l’honneur du nouveau gouverneur du Bas-Canada, lord Matthew Whitworth-Aylmer[9]. C’est pendant cette époque qu’arrive Robert Conroy dans la région. Et encore une fois en 1832, la croissance d’Aylmer est remarquée par l’arpenteur Joseph Bouchette qui décrit ainsi le développement de cette communauté:

« A road from Chaudiere Lake, cutting at right angles the Britannia Road, leads into the back settlements, where, of course, no good roads can at present be expected: on this road few settlements are to be seen beyond the 4th and 5th ranges, from which to the 3rd range the farms progressively increase and towards the Chaudiere Lake the road passes apparently through an old-settled country [10] ». 

Symmes ne tarde pas à mettre en valeur sa propriété riveraine et à tracer les premières rues de son établissement. « Travailleur et ambitieux, il comprend l’importance de cet emplacement, à l’endroit où les voyageurs s’embarquent pour naviguer plus à l’ouest sur la « grande route » qu’est la rivière des Outaouais[11] ». Symmes s’associe à Robert Conroy et ils offrent alors des services variés aux voyageurs en transit allant de services de transport, de la vente au détail et à l’hébergement.

« Le peuplement des deux rives de l’Outaouais a fait multiplier le nombre d’embarcations qui empruntaient ce cours d’eau, et le débarcadère est devenu un point obligé pour ceux qui s’aventuraient en amont de la Chaudière[12] ». Ainsi, Aylmer se trouve à l’épicentre du transport entre l’est et l’ouest de la Province du Canada. L’augmentation du transport de la marchandise et du flux migratoire combinée aux succès des entrepreneurs d’Aylmer contribue à attirer des artisans, des journaliers et surtout, d’autres jeunes hommes ambitieux ayant un réseau d’influence avec les marchands du Bas-Canada. « Symmes Landing prit vite figure de port de mer, alors qu’il n’était guère question de Bytown, encore moins de Hull[13] ».

L’établissement de Robert Conroy à Aylmer

L’arrivée de Robert Conroy dans la région coïncide alors avec l’introduction de la vapeur sur la rivière des Outaouais. « Les bateaux à vapeur sillonnent de plus en plus les cours d’eau, commençant d’abord par les routes du lac Deschênes en 1833 et celles du lac des Chats en 1836[14] ». Robert Conroy ne tarde pas à investir dans la Upper Ottawa Steamboat Company[15]. Les premiers bateaux à vapeur permettent le passage d’un nombre croissant d’immigrants et de marchandise approvisionnant les postes de traite de la Baie d’Hudson et les chantiers forestiers en amont des Chaudières. « Ce service de bateaux à vapeur va littéralement lancer le développement d’Aylmer[16] ».

« Le service des vapeurs donna un grand coup d’épaule à l’essor commercial d’Aylmer dans les années 1830 ». L’essor économique repose sur la volonté de son élite à se maintenir au centre du réseau de communication entre l’arrière-pays et l’Est canadien sur la rivière des Outaouais. À l’époque, Aylmer est d’ailleurs un lieu de transit majeur entre l’est et le Nord-ouest américain, et ce, jusqu’à l’introduction du chemin de fer au milieu du 19e siècle. Les commerces et les premières manufactures voient aux besoins des migrants en transit vers l’ouest. Les services de transport se sont multipliés avec la croissance de la population et la permanence de l’établissement le long du chemin d’Aylmer. « La vocation d’Aylmer comme lieu de transbordement de marchandises accéléra son développement. La route d’Aylmer, lien entre Aylmer et Hull, devient l’axe le long duquel s’établirent les premiers colons[17] ».

La vapeur transforme cette communauté en modifiant les services de transport ou en fournissant l’énergie nécessaire aux premières manufactures, car Aylmer ne peut compter sur les forces hydrauliques des eaux calmes du lac Deschênes.  La vapeur contribue ainsi à la croissance des premières manufactures à Aylmer. En 1839, Robert Conroy se joint à John Egan, Charles Symmes et Harvey Parker en investissant dans la construction d’un moulin à farine fonctionnant à la vapeur, le Aylmer Bakery[18]. Les moulins à vapeur locaux fournissent les marchandises nécessaires aux travailleurs sur les chantiers et aux immigrants arrivant de Montréal s’établissant sur les terres du bassin des rivières Rideau et des Outaouais. Les premières scieries se prévalent aussi de cette énergie à Aylmer. « Si la ville d’Aylmer fut à son origine le pied-à-terre des travailleurs de la forêt, elle n’en eut pas moins ses propres scieries dont l’importance n’était alors certes pas discutable[19] ». En 1841, Aylmer compte alors 500 habitants, quatre magasins généraux, autant d’hôtels, deux boulangeries, une tannerie, une école, une église et un journal[20].

Les Auberges Conroy à Aylmer

Robert Conroy s’établit au premier auberge d’Aylmer déjà construit par les Wright pour Charles Symmes en 1822[21]. En 1834, Conroy acquiert son premier homestead[22] comprenant l’auberge d’Aylmer (Symmes), le quai de débarquement et le magasin au débarcadère du lac Deschênes[23]. Robert Conroy exploite ainsi cette confortable auberge de pierre riveraine[24] et il entreprend, la même année, la construction de son propre hôtel, la fameuse Hôtel British [25]. L’Auberge Symmes et l’hôtel British sont toujours des plus anciens bâtiments marquant le début du développement à Aylmer. À elle seule, l’hôtel British compte plusieurs bâtiments, dont l’auberge originale, l’ancienne résidence des Conroy et l’écurie en arrière. En fait, l’ensemble du bâtiment est le plus ancien hôtel canadien exploité à l’ouest de Montréal. Sur place, le voyageur bénéficie des services de location de chevaux et de voitures. À l’hôtel, il s’offre un service de diligences «confortables» opéré par Moses Holt reliant dès 1840 les auberges Conroy à Aylmer au débarcadère de Hull[26].

Alors, en plus d’être partenaire et un actionnaire dans l’établissement des manufactures et des services de transport à Aylmer, les affaires hôtelières placent la famille Conroy au cœur des activités sur l’Outaouais. En tant que Tavern Keeper[27], Robert Conroy élargit son réseau d’influence. L’hôtel British est un haut lieu d’activités dans le village d’Aylmer, servant tantôt de lieu d’affaires, d’église, d’école, de salle d’assemblée au premier conseil municipal et de Cour supérieure du district de l’Ottawa pendant son projet de construction. La famille Conroy vient qu’à cumuler un ensemble imposant de biens immobiliers en Outaouais au 19e siècle[28].

À partir de 1851, le couple Conroy loue leurs opérations hôtelières. La famille Conroy maintient toujours ses intérêts dans leurs hôtels[29] qui demeurent dans leur inventaire immobilier jusqu’en 1902. Les hôtels Conroy sont un endroit de rencontre autant pour les pourparlers économiques qu’un lieu d’actions politiques dans la vallée de l’Outaouais au 19e siècle. Cette situation assure ainsi à la famille Conroy un avenir politique et un rôle économique d’importance dans la région.

L’influence de Robert Conroy dans l’industrie du bois

Au départ Robert Conroy ne détient aucune limite forestière malgré qu’il soit un des grands négociants ramenant de vastes radeaux de bois de l’ouest vers Montréal au cours des années 1840 et 1850[30]. Robert Conroy se hisse graduellement une place en tant que négociant et marchand du bois dès 1842[31]. Il tire profit de concessions dans la vallée de la Madawaska vers 1840 et de la région de Chalk River en 1850 sur la rive sud de la rivière des Outaouais[32]. Il établit un quai d’embarquement à la pointe de Bonnechère, une région développée par son partenaire John Egan. Cette époque coïncide avec le moment où la famille Conroy se concentre davantage sur leurs activités de bois et de transport en Outaouais[33].

À Aylmer, l’importance du bois se perçoit dans les premiers plans illustrant l’évolution de la communauté à sa fondation où « l’utilisation des terrains dans le triangle formé par Front, Eardley et Charles, bien qu’une bonne partie demeure inhabitée à cause de l’empilage de bois qui occupe d’importantes superficies[34] ». Ce triangle est derrière la rue Principale qui mène au débarcadère Symmes. La rue Principale est réservée aux commerces et aux grandes demeures prestigieuses de l’élite sur le chemin Britannia (Aylmer) qui descend du troisième rang vers l’ouest à la limite des premier et deuxième rangs du canton de Hull.

Le chemin Britannia se concentre alors en un lieu de résidence de l’élite de l’Outaouais. «La majorité d’entre eux s’est fait remarquer par son énergie et sa place enviable et a laissé de superbes résidences de pierre qui constituent un caractère spécial et significatif de l’histoire économique de l’endroit[35] ». En 1855, la famille Conroy aménage une des résidences de pierre des plus prestigieuses à Lakeview au coeur du village à une distance de marche de leurs hôtels sur la rue Principale à Aylmer. « Lakeview témoigne de la prospérité de Conroy[36] ».

La famille Conroy obtient leur deuxième homestead sur le lot 15-a, rang 1 dans le canton de Hull en 1857. Ce homestead devient leur lieu de développement industriel et d’innovation technologique mieux connu sous le nom de Deschenes Mills. Robert Conroy acquiert ensuite du Shérif Louis M. Coutlée le lot 15-b sur lequel il y a une ferme et une scierie aux rapides de Deschênes en 1866[37]. Il y a aussi une fabrique de lainage vraisemblablement un moulin à foulon construit par Ithamar Day. Robert Conroy y fait construire un moulin à farine et son épouse Mary y développe une grande ferme dans les traditions de la famille McConnell dans le canton de Hull. L’influence de Robert Conroy dans l’industrie du bois de la région est indéniable malgré qu’il possède peu de titres de concession. Cette notice publiée dans le Aylmer Times, le 22 août 1856 prouve en partie de l’influence de Robert Conroy dans l’industrie forestière de la région de l’Outaouais:

Ran Away (Aylmer Times, 22 August 1856)

Public Notice is hereby given, that Francis Hilaire, Joseph Perrin, Noah Fortier, and M.A Fortier, have absconded from my employment, while the term for which they were engaged, is yet inexpired. Any person HIRING or EMPLOYING THESE MEN, will be prosecuted by the Subscriber.

Robert Conroy[38]

Le développement des réseaux de communication et de transport

Les entreprises Philemon Wright et fils investissent dans la construction de la première route reliant l’est à l’ouest du canton. « En 1818, Wright fit construire une route de Hull à Aylmer, à laquelle il donna le nom de chemin Britannia, sans doute pour affirmer son loyalisme que certains pouvaient peut-être suspecter[39] ». Le décès de Philemon Wright fils en 1821 arrête subitement les investissements à l’ouest du canton de Hull. Cette situation vient aussi bouleverser l’idée de la petite colonie reconnue pour la coopération des associés dans l’établissement du Great Township of Hull au début du 19e siècle. La majorité des Associés sont établis le long des premiers et deuxième rangs à l’ouest des établissement de Philemon Wright. Se plaignant du pauvre état des routes permettant de se déplacer, les concessionnaires de l’ouest du canton s’organisent et ils fondent la société par actions The Bytown & Aylmer Union Turnpike Company [40]. Cette société dont fait aussi partie John Egan, Joseph Aumond, Richard McConnell et Robert Conroy, achève la construction du chemin Britannia (chemin d’Aylmer) menant vers l’ouest du canton de Hull au lac Deschênes en 1850[41].Cette entreprise de voirie relie le débarquement des chutes des Chaudières près du nouveau pont d’Union au village d’Aylmer. Les actionnaires font installer deux postes de péage pour financer les frais de construction et d’entretien de cette route macadamisée et de gravier.

Les routes transversales au chemin Britannia

Les frères McConnell qui s’amènent de Québec avec le groupe d’associés de Wright prennent possession de plusieurs lots sur les rangs 1 et 2. Ils tracent le premier chemin permettant de contourner les trois portages des Chaudières. Ayant plus l’allure d’un sentier, le McConnell Lane[42] traverse les fermes de William McConnell sur le lot 14, rang 1 à l’est pour atteindre la ferme de son frère James McConnell à la limite ouest du lot 15 aux rapides de Deschênes. Ce sentier offre accès au magasin de William McConnell sur le lot 14, rang 1 qui sert surtout aux voyageurs et aux résidents.[43]

Joseph Bouchette écrit au sujet des activités de développement entrepris par les frères McConnell sur le premier rang du canton de Hull dans le dictionnaire topographique du Bas-Canada en 1832 : « lot 14 in the range also affords an advantageous site for a village, which might be built at the junction of two roads, near which there is a saw-mill and also a tolerably well-cultivated farm[44] ». Ainsi, le fils de James McConnell, Richard voyant les limites du réseau de transport à l’ouest des chutes Chaudières, s’associe rapidement au projet de la construction de la route macadamisée.

Jusqu’en 1831, la ferme voisine est développée par Ithamar Day installé sur le lot 15 aux rapides Deschênes. Cette ferme sur le rang 1 est traversée par une route transversale au chemin Britannia tracé à la limite des premier et deuxième rangs du canton de Hull. « Son intersection avec le chemin d’Aylmer formait un carrefour achalandé qui était considéré comme le cœur de la municipalité[45] ». Cette route nommée le chemin Deschênes (Vanier) mène à la scierie et au poste de traite de ce marchand indépendant et ancien négociant de fourrure de la Compagnie du Nord-Ouest.
Le chemin Deschênes partage alors le lot 15, rang 1 en deux à partir des rapides, Il remonte vers le chemin Britannia au nord jusqu’aux pieds des collines de la Gatineau au chemin de la Montagne.

L’intersection des chemins Deschênes et Britannia (Vanier) connaît une affluence qui est d’abord conditionnée par le mouvement migratoire et le déplacement de la main d’œuvre dans le canton de Hull. L’industrie du bois attire plus de 25 0000 à 30 0000 hommes dus à l’accroissement de la demande pour cette matière ligneuse[46]. Louis Taché ajoute que « le premier mouvement de colonisation et d’exploitation forestière se fit dans la direction tant de la ville d’Aylmer que du chemin de la Montagne[47] ». Le chemin Deschênes débutant sur le lot 15, rang 1 du canton de Hull devient alors un lieu marquant l’essor de la colonisation, des voies de transport, du commerce et des premières industries sur la rivière des Outaouais.

Le souci du développement du réseau de communication vise à rentabiliser le transport des matériaux et les provisions nécessaires à la construction et à l’exploitation des ressources (traite de fourrures, industrie du bois, agriculture)[49]. « Parmi ces dirigeants locaux se trouvent également les gros exploitants qui s’engagent à fournir, chaque année, des quantités déterminées de bois d’œuvre et de douves pour les trains de bois en direction de Québec[50] ». Robert Conroy joue aussi un rôle important dans le recrutement de la main-d’œuvre et dans l’établissement des colons sur les deux rives de la rivière des Outaouais[51]. Il est de ces bâtisseurs voulant rendre la région plus attrayante afin de rentabiliser ses divers investissements.

Les mystères du pont de Deschênes

Menacé par le chemin de fer qui s’amène à Bytown par la rive sud de la rivière des Outaouais, Conroy acquiert l’ensemble du lot 15 et le lot 16 sur le rang 1 du canton de Hull et le lot 26, rang 1 du canton de Carleton à Nepean sur la rive sud de la rivière des Outaouais en prévision d’un pont probable aux rapides de Deschênes où il pourrait retirer un revenu des frais de péage en plus de mettre en valeur ses propres industries sur le lot 15 [51,a] . Ces nouvelles acquisitions immobilières de Robert Conroy se trouvent au centre des discussions d’un tracé de chemin de fer sur la rive nord de la rivière des Outaouais. 

« Le 24 octobre 1853, John Egan lance l’idée d’un chemin de fer entre Montréal et Aylmer et adresse une circulaire à cet effet aux intéressés de son comté[52] ». Le chemin de fer permettrait de maintenir le rôle central d’Aylmer en tant que lieu de transit entre l’est et l’ouest canadien en plus d’éloigner les marchands des Chaudières de leur emprise sur le transport du bois. Le chemin de fer ouvrirait ainsi les entreprises des marchands d’Aylmer aux marchés extérieurs. Les marchands ayant collaboré à la construction du chemin macadamisé d’Aylmer reviennent en force avec le projet ferroviaire.

En 1853, une compagnie à charte Montreal & Bytown Railway est formée par des marchands de Montréal dont la majorité est francophone a déjà l’appui de la ville de Montréal, de Terrebonne et du comté du Lac-des-Deux-Montagnes[53]. Leurs efforts sont soutenus par les marchands de bois de la région de l’Outaouais comprenant entre autres Thomas McKay, Nicholas Sparks, Joseph Aumond, John Egan, Charles Symmes et Robert Conroy[54] de Nepean et d’Aylmer.

Le tracé de cette compagnie ferroviaire propose de joindre Montréal à Bytown en passant sur la rive nord de l’Outaouais pour ensuite traverser la rivière près des rapides Deschênes et rejoindre Nepean, ensuite Richmond, Perth et Kingston au Canada-Ouest. À ce point, il y a même des rumeurs qui vantent l’hypothèse que cette ligne pourrait rejoindre l’est et l’ouest du Canada.

Malheureusement, la malchance et les difficultés financières de la compagnie à charte conduisent à l’abandon de la construction de cette ligne de chemin de fer qui n’a réussi qu’à bâtir le tronçon reliant Carillon à Grenville à la fin des années 1850.  Ainsi, l’idée d’un pont entre les cantons de Hull et de Carleton à Nepean ne s’est pas concrétisée. Il demeure que plusieurs tracés de chemin de fer suivent et c’est en 1879 que la compagnie Quebec, Montreal, Ottawa et Occidental Railway est terminée jusqu’à Aylmer[55]. Il se rend aux usines de la famille Conroy installées sur le lot 15-a aux rapides de Deschênes.

Le Pontiac, Pacific Junction Railway (PPJR) prend le relais d’Aylmer jusqu’au comté du Pontiac. « Quelques années plus tard, la vente d’une partie du terrain à la Compagnie de Chemin de fer de Pontiac and Pacific (plus tard la Compagnie Canadien Pacific) et l’établissement de voies ferrées jusqu’à proximité des moulins révèlent un volume de production important dans l’économie régionale ». La PPJR propose de nouveau l’idée d’un pont interprovincial à Deschênes où « il lui sera loisible d’imposer et de recevoir des droits, péages et loyers pour l’usage du pont[56] ». Ce projet de construction propose encore d’unir ainsi le village Deschênes à Nepean à l’ouest d’Ottawa. Il n’y aura aucun pont reliant les deux communautés à Deschênes malgré les nombreuses études et propositions à ce sujet jusqu’en 1980.

Conclusion

À son décès le 5 avril 1868 en tant que maire du village d’Aylmer[57], Robert Conroy est un propriétaire d’hôtels, un négociant de bois, un marchand important en plus d’avoir des parts importantes dans l’établissement du réseau de transport et des meuneries à farine et des scieries aux rapides Deschênes et à Aylmer[58].  À son époque, Robert Conroy est un des hommes des plus influents en Outaouais, il décède la même année que deux autres associés et bâtisseurs d’Aylmer : Charles Symmes et Peter Aylen[59]. Robert Conroy meurt au début de son 2e mandat en tant que maire d’Aylmer en 1868. Cette époque annonce alors une période de profondes transformations dans l’usage des biens fonciers de la famille Conroy et dans la vocation industrielle du village d’Aylmer.


[1] J.M. Gourlay, History of The Ottawa Valley (1896, 2008), new index by Mary Bole (2010), image reprint CD, (Milton, Ontario: Global Heritage Press, 2010), p. 172.

[2] Ibid. ; Je n’ai pu trouver le sens de cette affirmation.

[3] Richard Bégin, L’hôtel British d’Aylmer : au cœur de l’histoire de la Vallée de l’Outaouais », Histoire Québec, Novembre 2004, Volume 10, Numéro 2.

[4] Michael Newton, « Some notes on Bytown and the fur trade », p. 16-17. Michael Newton note que « The McConnell family of Hull withdrew from the fur trade in 1846-1847, so that the HBC now had well-financed « regular opposition », but « petty » traders continued to abound ».

[5] Chad Gaffield, L’histoire de l’Outaouais, Les régions du Québec ; 6, Institut québécois de recherche sur la culture, 1994,  Québec, p.146.

[6] Rivalités politiques et économiques locales : Bytown (Ottawa, Ontario), Nepean (Ontario) sont des villes qui soumettent leur candidatures pour devenir la capitale du siège législatif permanent de la Province du Canada (Canada-Uni). Hull, Buckingham et Ottawa sont ses rivales économiques dans l’industrie du bois. Le complexe des chutes de la chaudière Chaudière entre Ottawa et Hull rivalise avec les entreprises hydroélectriques aux rapides Deschênes.

[7] Ibid.

[8] Louis Taché, Le Nord de l’Outaouais, p. 203.

[9] Manon Leroux,  L’Autre Outaouais, p. 97.

[10] Bouchette, Joseph, Dictionnaire topographique de la province du Bas-Canada, Suvervor-general of Lower-Canada OF THE LIT. AND HIST. SOC. OF QUEBEC, AND CORRESPONDING MEMBER OF THE SOC. OF ARTS AND SCIENCES, LONDON. (LONDON) , Longman, Rees, Orme, Brown, Green, and Paternoster-Row, 1832.

[11] Manon Leroux,  L’Autre Outaouais, p. 97.

[12] Patricia Drew Pommainville, « Les bateaux à vapeur d’Aylmer », Les grands moments d’Aylmer’s Great past times, 150 ans d’histoire à Aylmer Québec 1847-1997, p.30.

[13] Ibid. p. 204. – Aussi voir – 4° — En 1818, l’ancien Ktiné, qui s’appelait Hyatt’s Mill depuis 25 ans, ne mérite plus de porter le nom du fondateur loyaliste Gilbert Hyatt : les notables du hameau, en tête William Bowman Felton, intercèdent auprès du gouverneur du temps pour qu’on rebaptise l’endroit d’un nom qui sonne vraiment londonien, et Lord Sherbrooke condescend à donner son nom à la future métropole des Eastern Townships.5                   Cette simple con- version d’une appellation porte tout un sens. La mode se propage, et plusieurs localités naissantes gagnent aussi de s’orner d’une désignation qui les apparente à la cour royale: Drummondville (en l’honneur du gouverneur Sir Gordon Drummond), Lennox- ville et Richmond (en l’honneur de Charles Lennox, due de Richmond, gouverneur), Charleston (en l’honneur du Prince Régent Charles), Aylmer (en l’honneur du gouverneur Lord Matthew Aylmer), Victoria (en l’honneur de la grande reine), Georgeville (en l’honneur du roi George). Dans – p.236 – « The Eastern Townships Contemplated as a British Stronghold » dans Maurice O’Bready Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 15, n° 2, 1961, p. 230-255.

[14] Gaffield, Chad et al., L’histoire de l’Outaouais, Les régions du Québec ; 6, Institut québécois de recherche sur la culture, 1994,  Québec, p. 110. Robert Conroy est un des premiers investisseurs dans le développement de la compagnie de bateaux vapeurs sur l’Outaouais supérieur connu sous le nom Upper Ottawa Steamboat Company. P154, D6, Fonds de la Famille Conroy, Inventaire après décès de Robert Conroy, 21 juillet 1879, Aylmer, Centre d’archives de l’Outouais, BAnQ.

[15] Robert Conroy détient toujours des parts dans cette compagnie à son décès en 1868. P 154 D6, « Fonds de la famille Conroy, Inventaire après décès de Robert Conroy », Aylmer, 21 juillet 1879, Centre d’archives de l’Outaouais, BAnQ.

[16] Richard Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 9.

[17] Diane Aldred, Le Chemin d’Aylmer, p. 25.

[18] Richard Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 25.

[19] Taché, Louis & al. Le Nord de l’Outaouais. Manuel-Répertoire d’Histoire et de Géographie régionales, Le Droit, Ottawa, 1938, p. 206-207.

[20] Lucien Brault, Aylmer d’hier/ Aylmer of Yesterday, Institut d’histoire de l’Outaouais, Aylmer (Québec), 1981, page 26. L’auteur affirme que ces données sont tirées du recensement de 1841.

[21] Richard Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 24.

[22] P 154 D6, « Fonds de la famille Conroy, Inventaire après décès de Robert Conroy », Aylmer, 21 juillet 1879, Centre d’archives de l’Outaouais, BAnQ.

[23] P 154 D6, « Fonds de la famille Conroy, Inventaire après décès de Robert Conroy », Aylmer, 21 juillet 1879, Centre d’archives de l’Outaouais, BAnQ.

[24] Une publicité dans le journal Bytown Gazette annonce que le Aylmer Hotel (Auberge Symmes) est le village le plus agréable du Bas-Canada le 6 septembre 1837.

[25] Gary Blair, Villes et villages de la région de la Capitale nationale, La Commission de la Capitale nationale, Ottawa, 1975, p. 56.

[26] Richard Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 24

[27] Parish register for Saint James’s Church, Hull, Lower Canada, covering the years 1831-1853, Parish Register 429, p. 176.

[28] P 154 D6, « Fonds de la famille Conroy, Inventaire après décès de Robert Conroy », Aylmer, 21 juillet 1879, Centre d’archives de l’Outaouais, BAnQ.

[29] La famille Conroy vend leurs établissements hôteliers en 1902. IDENTIFIER DOCUMENT

[30] Traduction libre de cette citation : « Some, such as Robert Conroy, held no limits, but continued to bring rafts to market throughout the 1840s and early 1850s » (Reid, 1990 :lxvi).

[31] Robert Conroy est qualifié de Lumberer dans le registre paroissial de l’Église Saint-James. Parish register for Saint James’s Church, Hull, Lower Canada, covering the years 1831-1853 [Parish Register 429], p. 129.

[32] Richard M. Reid, « Introduction, C. From Timber to lumber », p. 168.

[33] Au baptême de sa fille Charlotte Anne, la mention Tavern Keeper est raillée dans le registre paroissial de l’église Saint James dans Parish register for Saint James’s Church, Hull, Lower Canada, covering the years 1831-1853, Parish Register 429, p. 129.

[34] Pierre-Louis Lapointe, « L’évolution spatiale de la ville d’Aylmer : 1801-1983 », Les grands moments d’Aylmer’s Great past times, 150 ans d’histoire à Aylmer Québec 1847-1997, Musée d’Aylmer et Société d’histoire de l’Outaouais, Hull (Québec), 1997, page 23.

[35] Brault, Lucien, Aylmer d’hier/ Aylmer of Yesterday, Institut d’histoire de l’Outaouais, Aylmer (Québec), 1981, p. 241.

[36] Diane Aldred, Aylmer Québec, Its heritage, son patrimoine, Association du patrimoine d’Aylmer,  Aylmer (Québec), 1989, p. 56.

[37] Guitard, Michelle, Quartier de Deschênes, p. 20.

[38] Richard M. Reid, « Introduction, C. From Timber to lumber », p.172.

[39] Louis Taché, Nord de l’Outaouais, p. 136.

[40] Le 15 novembre 1849, John Egan, Joseph Aumond, Robert Conroy, Richard McConnell s’assemblent à l’hôtel British d’Aylmer et décidèrent de former « The Bytown and Aylmer Union Turnpike Company’ dans l’intention de construire une route macadamisée et de gravier, du pont suspendu Union au quai d’Aylmer » dans Ville d’Aylmer, Symmes Landing, Recherche historique et Évaluation patrimoniale du site de Symmes Landing situé dans la ville d’Aylmer, comté de Hull. Direction du patrimoine du Ministère des Affaires culturelles (Québec) et la division des Affaires publiques de la Commission de la Capitale nationale (Ottawa), 1983, p. 15.

[41] Ville d’Aylmer, Symmes Landing, p. 15

[42] Ibid. p. 54.

[43] Diane Aldred, Le Chemin d’Aylmer, p. 28.

[44] Joseph Bouchette, Dictionnaire topographique de la province du Bas-Canada.

[45] Diane Aldred Le Chemin d’Aylmer, p. 178.

[46] Données tirées du Ottawa Citizen, c. 68 An Appeal to Emigrants, 6 September 1851dans Richard M. Reid, « Introduction, C. From Timber to lumber », The Upper Ottawa Valley to 1855, The Champlain Society in Cooperation With The Ontario Heritage Foundation, Carleton University Press, Ottawa, 1990, p. 167.

[47] Louis Taché, Le Nord de l’Outaouais, p. 203.

[48] Diane Aldred Le Chemin d’Aylmer, p. 178.

[49] Ville d’Aylmer, Symmes Landing, Recherche historique et Évaluation patrimoniale du site de Symmes Landing situé dans la ville d’Aylmer, comté de Hull. Direction du patrimoine du Ministère des Affaires culturelles (Québec) et la division des Affaires publiques de la Commission de la Capitale nationale, 1983, p.12.

[50] Gaffield, Chad et al., L’histoire de l’Outaouais, Les régions du Québec ; 6, Institut québécois de recherche sur la culture, 1994,  Québec, p. p.134.

[51] Richard M. Reid, « Introduction, C. From Timber to lumber », The Upper Ottawa Valley to 1855, The Champlain Society in Cooperation With The Ontario Heritage Foundation, Carleton University Press, Ottawa, 1990, p. 168. Journal Ottawa Citizen ,1851  Annonce retenue par Richard M. Reid démontre « The following gentlemen, resident in the neighbourhood will furnish on application all needful advice and information ; and they have undertaken to give the fullest direction to Emigrants, whether their subject be labour or settlement ; – Joseph Aumond, Esq. Bytown ; Messrs, C & R McDonnel, do ; John Egan & Co., Aylmer ; John Foran, Esq., Robert Conroy, Esq., do ; (…)

[51,a] P 154 D6, « Fonds de la famille Conroy, Inventaire après décès de Robert Conroy », Aylmer, 21 juillet 1879, Centre d’archives de l’Outaouais, BAnQ.

[52] Lucien Brault,  « Aylmer d’hier / of yesterday », 1981, p. 140-141

[53] Jacques Lacoursière, Histoire populaire du Québec, Volume 3, ‪Les éditions du Septentrion, Sillery (Québec), 1996, p. 127 ; Richard M. Reid, « Introduction, C. From Timber to lumber », The Upper Ottawa Valley to 1855, p. lxxxvii-lxviii.

[54] Ibid, tiré du « Ottawa Citizen, 5 apr. 1851 » par Richard M. Reid.

[55] Lucien Brault, Aylmer d’hier, p. 141 ; Chad Gaffield, Histoire de l’Outaouais, p.112.

[56] Lucien Brault, Aylmer d’hier, p.142.

[57] Les témoins de l’acte de décès : Alfred Driscoll, (gendre et époux d’Eleanor Conroy, fille de Mary McConnell et Robert Conroy) et Robert Hughes Conroy, avocat et négociant de bois à Aylmer (fils de Mary McConnell et Robert Conroy). Parish register for Christ Church, Aylmer, Canada West, covering the years 1864-1869 [Parish Register 432].

[58] Anson Gard, Pioneers of the Upper Ottawa and Humors of the Valley – With new Introduction by Ryan Taylor (1999), image reprint CD (Milton, Ontario: Global Heritage Press, 1999, 2009),  page  88.

[59] Robert Conroy, Charles Symmes et Peter Aylen sont aussi enterrés au cimetière de l’Ouest situé sur le chemin Britannia (Aylmer). Dans « 1868 A NOTABLE YEAR », Anson Gard, Pioneers of the Upper Ottawa and Humors of the Valley – With new Introduction by Ryan Taylor (1999), image reprint CD (Milton, Ontario: Global Heritage Press, 1999, 2009), p. 124. Le cimetière de l’Ouest devient la propriété de Mary McConnell dès * . VOIR – Inventaire après décès Mary McConnell.

L’hôtel British d’Aylmer

L’hôtel British d’Aylmer

Le secteur Aylmer de la ville de Gatineau compte de nombreux bâtiments historiques qui comme l’hôtel British, ont vu évoluer de près l’histoire de la région de la capitale fédérale. Ses propriétaires sont du groupe de bâtisseurs du village. Aylmer est aussi le lieu où s’installe l’élite régionale qui a des liens étroits avec la bourgeoisie marchande de Montréal, de Québec et de la Grande-Bretagne pendant une bonne partie du 19e siècle. Incorporé en 1847, le village devient rapidement la plaque tournante du transport en bateau-vapeur sur la rivière des Outaouais. Les voyageurs en transit vers le nord-ouest s’arrêtent aux chutes de la Chaudière. Un service de diligences accueille les passagers des vapeurs en transit vers le Nord-ouest canadien. Les diligences empruntent le chemin macadamisé jusqu’au lac Deschênes conduisant les passagers vers le confort des hôtels d’Aylmer. Rafraîchis après une soirée dans le luxueux hôtel British ou un autre établissement hôtelier du village, ils embarquent sur un vapeur au débarcadère Symmes pour poursuivre leur voyage sur l’Outaouais supérieur.

Sketch of the British Hotel in Aylmer, Quebec 71, rue Principale Built by Robert Conroy in 1834 Drawing Source: National Capital Commission Heritage, page 37
Sketch of the British Hotel in Aylmer, Quebec
71, rue Principale Gatineau
Construit par Robert Conroy en 1834
Source : Patrimoine de la Commission de la capitale nationale du Canada,
page 37

Robert Conroy fait construire l’hôtel British en 1834[1], étant ainsi l’un des plus anciens bâtiments historiques de la ville de Gatineau.  L’hôtel ouvre ses portes en 1841 en plus de loger la famille de Robert Conroy et Mary McConnell. L’architecture de l’hôtel British est réfléchie. Les murs de plus d’un mètre d’épaisseur protègent efficacement contre le froid hivernal. « On rapporte qu’aucun autre hôtel ne pouvait se comparer au Canada, à l’époque ; Bytown (Ottawa) n’avait alors qu’une simple cabane en bois rond comme hôtel, près du pont des Sapeurs [2] ». L’hôtel compte plusieurs bâtiments, dont l’auberge originale, l’ancienne résidence des Conroy et l’écurie en arrière. Le voyageur bénéficie ainsi des services de location de chevaux et de voitures à l’écurie de l’hôtel. En fait, l’ensemble du bâtiment est le plus ancien hôtel canadien exploité à l’ouest de Montréal[3].

Les propriétaires Robert Conroy et son épouse Mary McConnell y vivent jusqu’en 1847. Une section de l’hôtel a longtemps servi de résidence personnelle. La famille Conroy aménage à côté de leur hôtel ce qui amène probablement les recenseurs à inscrire la famille comme des résidents de l’hôtel en 1851. Ce recensement indique que Robert Conroy est originaire d’Irlande et qu’il est l’époux de Mary McConnell, née dans la région. Elle est la fille de William McConnell, un des grands propriétaires terriens et exploitants de fourrure et de bois du canton de Hull. William McConnell est un des associés de Philemon Wright. Lui et ses deux frères, James et Georges, se sont établis à l’ouest des chutes de la Chaudière le long des deux premiers rangs du canton de Hull. Ils sont aussi les seuls du groupe d’associés à Wright à ne pas être originaires des États-Unis. Les Conroy se joignent à l’élite locale et investissent dans la construction d’un moulin à farine fonctionnant à la vapeur, le Aylmer Bakery. Cette association avec l’élite amène Robert Conroy à devenir l’hôtelier le plus prospère et à partir de 1850, un marchand de l’industrie du bois des plus imposants de la région.

Le recensement de 1851 mentionne aussi que la famille Conroy vit toujours à l’hôtel avec leurs six enfants âgés entre 2 et 13 ans (James, Elenor, Maria, Robert, Charlotte, William). La famille compte plusieurs employés. Il y a la jeune gouvernante écossaise, Jane Gibb, qui est chargée des enfants. Les autres résidents de l’hôtel sont tous des employés de la famille Conroy sauf pour Georges S. Carter qui y installe son étude d’avocat en 1844. Les Conroy ont à leur service les servants Pat Kelly, un Irlandais catholique, Sam Bell, un irlandais presbytérien et Bridget Lynch, Ann Connelly, deux Irlandaises catholiques. Elisabeth Lowe est la seule employée d’origine américaine et le recensement indique aussi qu’elle est noire. L’entretien de l’hôtel revient aux journaliers Owen Sullivan, un irlandais catholique, Georges Cunningham, un irlandais n’affirmant pas sa religion et monsieur Fletchard, anglican anglais. Le recensement indique que le commis est un jeune Canadien catholique de 24 ans dénommé J. W. Carr.

L’hôtel devient rapidement un haut lieu d’activités et de festivités. Les premières élections municipales à Aylmer sont tenues à l’hôtel en 1847. « Et on prétend même qu’Aylmer aura été la première municipalité à connaitre des élections démocratiques au sein de l’Empire britannique, en dehors de la mère patrie » (Bégin, 1997 : 29). L’hôtel sert à la fois de salle d’assemblée au premier conseil municipal et en 1871, de Cour supérieure du district de l’Ottawa. Il s’y organise les réunions au sujet de la construction du premier chemin macadamisé à l’ouest de Montréal à partir du pont de l’Union aux chutes des Chaudières (Chemin d’Aylmer aujourd’hui). Un comité y prépare aussi la mise en candidature pour obtenir le nom d’Ottawa afin d’accueillir l’Assemblée législative permanente du Canada-Uni. Les francs-maçons de la région s’y réunissent. L’hôtel sert tantôt d’église et d’école.

Les festivités y sont aussi nombreuses. On y célèbre en toute élégance la naissance du Prince de Galles, le futur roi Édouard VII, en 1842. Plus tard, ce dernier vient d’ailleurs prononcer un discours du haut de la véranda de l’hôtel British en 1860. Le prince de Galles est alors en visite dans la région pour poser la première pierre de l’édifice du parlement d’Ottawa. L’hôtel a une élégante et vaste salle aménagée pour les bals et les fêtes. Il y a aussi une salle de billard équipée de tables luxueuses. La salle à manger invite les convives à une des grandes tables de la région offrant des vins, spiritueux et cidres d’excellentes qualités.

Il y a peu de registres de l’hôtel qui ont survécu jusqu’à ce jour. Il est alors difficile de connaitre l’historique des occupants de ce vieux bâtiment de l’inventaire immobilier de la famille Conroy. Robert Conroy opère l’hôtel jusqu’à son décès en 1868. Son épouse Mary prend la relève jusqu’en 1887. Elle saura enchantée de sa voix ses invités lors d’une soirée mondaine où s’annoncent joyeusement les résultats des élections fédérales le 18 septembre 1878. Le maître de cérémonie, révérend Robinson, annonce que John Alexander Macdonald est élu. « Tout le monde a applaudi chaudement l’annonce[4] ». Il n’y a aucune trace des transactions à l’hôtel pendant que les premiers propriétaires gèrent l’hôtel British. Le couple loue leurs opérations hôtelières à partir de 1850 voulant se concentrer davantage dans le commerce du bois et l’exploitation de leur ferme aux rapides de Deschênes. L’hôtel demeure toutefois un bien de la famille Conroy jusqu’en 1902.

L'hôtel British d'Aylmer Source BAnQ
L’hôtel British d’Aylmer
Source BAnQ

Les seuls registres à avoir survécu datent de 1893 à 1896. Le bien est alors de l’inventaire immobilier de William Jackson Conroy et son frère, Robert Hughes. Elisabeth Grant gère l’hôtel. Les registres comptent des entrées intéressantes. Cependant, l’hôtel a toujours été reconnu pour le service offert aux grandes personnalités politiques canadiennes. Plusieurs rumeurs persistent au sujet de ce lieu de rencontre de l’élite canadienne. Pierre-Louis Lapointe rapporte que lors de la veille funéraille de Robert Conroy en 1868, quatre étrangers très nerveux se sont introduits en cours de soirée. Ce soir-là coïncide avec le premier assassinat d’un politicien au Canada, Thomas D’Arcy McGee. La rumeur court dans la famille Conroy que ces hommes étaient les assassins et qu’ils se sont présentés à Aylmer pour établir leur alibi. Un autre homme est accusé du meurtre malgré que plusieurs doutes persistent sur son innocence. Il est néanmoins  la dernière personne à être pendue au Canada. Les rumeurs maintiennent que les coupables étaient plutôt des révolutionnaires nationalistes irlandais Fénien menant une lutte armée contre la présence britannique en Amérique. Les légendes veulent aussi que John Alexander Macdonald ait siroté une bière à l’hôtel British d’Aylmer.

Autres que les mentions dans les journaux locaux et les rumeurs, c’est seulement les registres qui peuvent confirmer que l’hôtel British était un lieu d’influence et de rencontres des politiciens dans la région. Le registre de 1895 confirme que les trois filles et le fils de Charles Tupper aient séjourné à l’hôtel. Cette même année le premier ministre canadien, Makenzie Bowell, Sir Charles Tupper, son successeur, Sir Adolphe Caron comte de Westmeath de l’ambassade britannique aux États-Unis et Julius G. Lay  se sont aussi réunis à la British. Richard Bégin note qu’il est troublant de reconnaitre que le Parlement canadien traite à cette époque de la question des écoles du Manitoba qui devient l’une des crises les plus dommageables de l’histoire du Canada[5]. Il faut aussi rendre compte qu’à l’époque, Aylmer est très impliquée dans les discussions du projet de construction du canal de la baie Georgienne qui aurait maintenu son statut de plaque tournante du transport vers l’ouest du Canada à la suite de l’arrivée du chemin de fer dans la région.

Ainsi, en voyant la richesse des faits d’une seule série de registres, quelques articles dans les journaux de l’époque et des rumeurs qui se font toujours courir entourant les personnalités ayant fréquenté l’hôtel British, il ne peut se nier l’influence de l’élite d’Aylmer dans la construction du Canada contemporain. Nul ne peut se douter que ce bâtiment historique a souvent été au centre des activités sociopolitiques du 19e siècle. Et si seulement ces murs de plus de 160 ans d’histoire à Gatineau pouvaient parler…


[1] Gary Blair, Villes et villages de la région de la Capitale nationale, La Commission de la Capitale nationale, Ottawa, 1975, 56 pages.

[2] Richard M. Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British, Association du patrimoine d’Aylmer, Gatineau, 1993, page 26.

[3] Répertoire du patrimoine culturel du Québec, hôtel British, Ministère de la culture et de la communication du Québec, Québec. (Consulté le 28 juin 2013). 

[4] Cité de Promenade Concert at Aylmer dans l’Ottawa Citizen du 18 septembre dans Richard M. Bégin De l’auberge Conroy à l’hôtel British, p. 43.

[5] Richard M. Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British,  p.44.

Autres références :

Richard Bégin, L’hôtel British d’Aylmer : au coeur de l’histoire de la Vallée de l’Outaouais, Histoire Québec, Novembre 2004, Volume 10, Numéro 2,
http://www.erudit.org/feuilletage/index.html?hq1056841.hq1059863@44 (Consultés le 28 juin 2013)

Public archives of Canada, Microfilm, 1955, Recensements- 1851, Number 16, sheet Recensement personnel – District de recensement, no 1, de of village Aylmer 31,

Feuille 1 – http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/recensement-1851/001005-119.02-f.php?&sisn_id_nbr=28658&page_id_nbr=15955&interval=20&&f=jpg&PHPSESSID=9mtc7ce1k078ajp6oj3rc3mdv1

Public Archives of Canada,  Microfilm, 1955, Recensements- 1851, Number 16, sheet Recensement personnel – District de recensement, no 1, de of village Aylmer   31
Public Archives of Canada,
Microfilm, 1955, Recensements- 1851, Number 16, sheet
Recensement personnel – District de recensement, no 1, de of village Aylmer 31

Feuille 2 / Feuille 3- http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/recensement-1851/001005-119.02-f.php&sisn_id_nbr=28658&page_id_nbr=15956&interval=20&&f=jpg&PHPSESSID=9mtc7ce1k078ajp6oj3rc3mdv1

e002309834-feuilles 2-3- Recensement 1851

Valeur patrimoniale de l’hôtel British

Aylmer d’Antan, Partie 1, Cybermagazine Patrimone de l’Outaouais.

Hôtel British, Répertoire du patrimoine culturel du Québec, Ministère de la Culture et des communications du Québec.

Voir aussi dans ce répertoire : Robert Conroy, Maison Robert-ConroyMaison Conroy-McDonald

Patrimoine, Secteur Aylmer, Ville de Gatineau

Hôtel British, Fonds et collection du Patrimoine de Gatineau.

L’hôtel British dans les médias

L’hôtel British est de nouveau au centre des discussions politiques ce printemps. Les travaux de rénovation et de mise en valeur du patrimoine a soulevé toute une polémique politique chez des élus municipaux. Voici quelques articles tirés du journal Le Droit traitant de l’hôtel British en juin dernier.

17 juin 2013, Le British Hôtel «dévisagé»Le chantier du British Hotel sera inspecté

19 juin 2013, British Hotel: mise en demeure contre le conseiller Riel

20 juin 2013, British Hotel: la démolition était conforme 

21 juin 2013, British Hotel: Riel reconnaît certaines fautes