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Mary McConnell, pilier de la famille Conroy

Mary McConnell, pilier de la famille Conroy

1. Rôle des pionnières dans le développement de l’Outaouais

Il est rare que l’histoire économique mentionne les efforts des femmes dans les entreprises familiales au 19e siècle. De plus, on accorde peu d’importance à l’esprit d’initiative d’une femme et de sa famille dans l’essor d’un village. L’histoire de l’Outaouais ne fait pas exception. « L’exploitation forestière est habituellement considérée comme ayant appartenu à un univers masculin, mais femmes et enfants y ont joué des rôles variés et importants, et ce, même dans les familles des principaux marchands[1]. » Dans le cas de la famille Conroy, il est difficile de cerner l’influence de Mary McConnell dans l’essor économique de la région et au sein des entreprises familiales à Aylmer. Son rôle est aussi sous-estimé dans l’établissement du village de Deschênes. « Et même si, dans les documents officiels, le crédit en est généralement attribué au chef de famille, il ne faut pas oublier que la réussite, dans le domaine de la terre et de la forêt, doit être attribuée à la famille tout entière[2]. »

a) Mary McConnell et son intérêt pour le lot 15-a

On attribue habituellement à Robert Conroy ou à ses fils l’essor des premières industries à Deschênes. Les terres près des rapides appartiennent néanmoins à Mary McConnell qui avait acheté pour cinq shillings le lot 15-a de 100 acres de son oncle James[3] avec la permission de son époux et la collaboration de son père, William[4], de son cousin Richard[5], de Charles Symmes et de Murdoch McGillivray[6]. La première scierie aurait été modernisée en 1869, un an après le décès de Robert Conroy, époux de Mary, suivie de la construction d’une deuxième scierie quelques années plus tard[7].

Dans les années 1870[8], les scieries produisent 6 millions de pieds de planches à Deschênes classant ainsi Mary McConnell comme la 8e plus grande productrice de bois de sciage en Outaouais québécois[9]. La ferme Conroy est aussi une des mieux connues de l’est du Canada[10]. Mary McConnell peut donc être considérée comme la bâtisseuse du village industriel aux rapides Deschênes. Ces manufactures et la grande ferme servent de noyau de croissance pour Deschênes[11] où le rail se rend « (…) jusqu’à proximité des moulins (qui) révèlent un volume de production important dans l’économie régionale. »[12] « On y trouvait aussi un moulin à farine avec des auberges et de grandes étables pour y loger les nombreux cultivateurs et leurs attelages qui devaient souvent attendre une journée ou deux pour leur mouture[13]. » La diversité des industries reflète aussi l’importance qu’accorde Mary McConnell au développement de sa terre aux rapides Deschênes. Sa grande ferme loge une grande écurie[14], une des fermes laitières les plus prospères de la région et un élevage porcin. « Déjà en 1894, il y avait suffisamment d’achalandage au village pour y établir un bureau de poste, sous le nom de « Deschênes Mills » [15]». À cette époque, Deschênes Mills fait partie de la municipalité de Hull-Sud (South-Hull).

[Conroy Lumber Mills]
BAC-MIKAN 3371909

2. Regard sur l’évolution du droit civil au 19e siècle

a) La dualité du droit civil au Bas-Canada

La propriété de Mary McConnell aux rapides Deschênes est un observatoire privilégié pour suivre l’évolution du droit civil chez les femmes de l’élite bourgeoise au Bas-Canada. « Depuis la publication de L’histoire des femmes au Québec, peu d’historiens se sont penchés sur les droits civils et politiques des femmes dans la province[16]. » Il est alors intéressant de prendre connaissance des actions de Mrs Robert Conroy dans l’appropriation d’une terre tenue en franc et commun soccage (Common Law) issu de l’héritage McConnell en 1857. « La femme mariée anglaise n’avait aucun droit aux biens accumulés pendant le mariage, même pas s’ils provenaient en tout ou en partie des fruits des biens qu’elle avait apportés au mariage[17]. »

En suivant de plus près la tenure de la propriété avec l’acte de vente et le transfert du lot 15-a de William McConnell à Mary McConnell, les documents notariés démontrent de l’usage du « droit civil à la française » par le fait qu’ils soient signés devant notaire et non d’un avocat faisant usage du « droit civil à l’anglaise »[18]. Les cantons ont un statut particulier au Bas-Canada et sont normalement soumis à la Common Law et non à la Coutume de Paris comme c’était le cas pour les anciennes terres concédées à l’époque de la Nouvelle-France. Mary McConnell est née au Bas-Canada avant 1841, alors elle a toujours la possibilité de se pourvoir du droit de douaire coutumier qui « (…) consistait à retirer l’usufruit (…) de la moitié des biens immeubles possédés par le mari lors du mariage et de ceux qu’elle recevait en héritage de ses père et mère et autres ascendants durant le mariage (art. 1434)[19].

b) La Loi sur l’enregistrement foncier obligatoire de 1841

La Loi sur l’enregistrement foncier obligatoire de 1841 transforme les formalités du droit de douaire requérant de l’inscrire, de le contractualiser et de le formaliser. « Par le droit douaire, une femme et ses enfants peuvent conserver, après la mort du mari propriétaire, la jouissance de certains biens, même s’ils ont déjà été vendus ou hypothéqués[20]. » Cette loi transforme les moyens par lesquels l’épouse peut disposer de ses biens fonciers ou de les protéger des créanciers. « Le privilège du douaire primait sur les droits des autres créanciers[21]. » La loi de 1841 permet alors aux femmes de vendre leur propriété garantie par leur droit de douaire délaissant ainsi ce droit sur l’héritage des enfants et sur la protection des biens immobiliers des créanciers de l’époux à son décès.

Dès 1857, toutes les femmes du Canada-Est peuvent se prévaloir officiellement du droit civil au lieu de la Common Law dans la gestion de leurs biens fonciers[22]. Il demeure que ce ne sont pas toutes les femmes et encore moins leurs enfants qui peuvent facilement se prévaloir du droit de douaire après 1841. « Les femmes doivent désormais renoncer pour elle et leurs enfants à l’ancienne protection matérielle du droit douaire, libérant ainsi les titres de propriété de leurs maris[23]. » En somme, la loi sur l’enregistrement foncier oblige à enregistrer le douaire sur les biens immobiliers. « L’instauration de bureau d’enregistrement, en 1841, ne fait que renforcer pour les femmes l’obligation de renoncer au douaire[24]. » La correspondance légale et financière dans le fonds d’archives de la famille Conroy nous renseigne sur les moyens que prend Mary McConnell pour mettre en valeur le lot 15, rang 1, canton de Hull, entre 1857-1887.

c) Les transactions foncières du village Deschênes

La transformation des lots agricoles en parcelles villageoises demeure mystérieuse, à défaut de réaliser une étude complète de la chaîne de titres fonciers. « De plus, l’arpentage du canton de 1806, ne contenait pas les subdivisions subséquentes[25]. » Les listes d’enregistrement renseignent sur les conditions de vente et les transferts des biens immobiliers. La correspondance légale nous informe sur les biens bénéficiant du droit de douaire sur les biens immobiliers de la famille Conroy. La partie est du village de Deschênes revient d’abord à Ithamar Day en 1831. Ce marchand confie l’autorité de la concession à son fils, Charles Dewey Day, pour les procédures de la demande de la lettre patente avant de quitter définitivement la région pour les États-Unis. « En outre, les colons devaient subir tellement de tracasseries administratives pour obtenir la moindre parcelle de terre de la Couronne ou du clergé que nombreux étaient ceux qui abandonnaient tout projet d’établissement agricole[26]. » Ensuite, au départ de Charles Dewey Day pour Montréal, s’amorce simultanément les procédures de transfert des titres de propriété des lots 15-a et 15-b[27]. En 1857, l’acte de vente et la succession sont finalisés l’année où se retire Charles Dewey Day des affaires entourant le lot 15-b[28] et où Mary McConnell, fille de l’associé William, accède aux titres de propriété du lot 15-a[29]. Cette même année, les formalités juridiques mènent à l’enregistrement et à la publication de la lettre patente de Charles Dewey Day par la Commission des terres de la province du Canada.

Les transferts fonciers se finalisent après le décès de James McConnell en 1851[30]. William devient le propriétaire d’office du lot 15-a, selon divers témoignages, et il transfère à sa fille, Mary, la propriété pour une somme symbolique en 1857. Avec le temps, la légitimité du transfert est contestée ou revendiquée et les difficultés juridiques et légales s’accroissent pour Mary McConnell à Deschênes. Son cousin, Renaldo, conteste la validité de l’entente prise entre Charles Dewey Day et son père, James[31]. Dans sa lettre, il soulève le contexte litigieux dont il a été témoin, car il a accompagné dans cette démarche son père qui avait des difficultés auditives et qui éprouvait toujours du regret quant à la mort de son fils, aussi nommé James, en 1847[32]. Il ne faut pas oublier le témoignage tardif de Murdoch McGillivray qui confirme le transfert de propriété à William McConnell[33]. Sa fille, Mary, fait aussi appel à des politiciens de l’élite conservatrice[34] de la province du Canada. Elle demande à des députés[35] de présenter sa cause devant le parlement du Canada-Uni. Les difficultés légales persistent avec l’accroissement des hypothèques sur les propriétés riveraines des Conroy. À deux reprises, les Conroy doivent comparaître devant la Cour supérieure pour défendre leurs intérêts entourant leurs industries aux rapides Deschênes. On constate alors que la famille Conroy détient un large réseau d’influence politique et économique dans la province du Canada.

Tracé du PPJ Mrs. Robert Conroy
Tracé du Pontiac Pacific Junction Railway (PPJ) sur lequel se trouve le nom de Mrs Robert Conroy. Quand les entreprises R & W Conroy prennent la relève, un nouveau plan sera produit.

3. La veuve, Mrs Robert Conroy

Au décès de Robert Conroy, en 1868, Mary McConnell et son fils aîné James deviennent tutrice et cotuteur des enfants mineurs : Robert Hughes, Charlotte Ann, William Jackson, Mary et Ida[36]. « Seulement après le décès de son mari, comme veuve, pourrait-elle devenir tutrice, et cela, uniquement pour ses propres enfants ?[37] » Dans le testament daté du 13 avril 1868, Mary McConnell est chargée de l’administration de l’ensemble des biens qui reviennent aux héritiers après son décès[38]. Cette administration des biens est la demande privilégiée de la majorité des époux au 19e siècle[39]. Cette situation empêche cependant Mary McConnell de disposer du patrimoine familial, car cette autorité revient à l’ensemble des héritiers après son décès[40]. Ces derniers sont autorisés à vendre leur part d’héritage à leurs frères et à leurs sœurs, une fois qu’ils sont majeurs[41].

BAC-MIKAN 3451003 - Conroy, R. Mrs.-e010953798-v8
Conroy, R. Mrs.- BACe010953798-v8, MIKAN#3451003

a) Le tuteur et l’exécuteur testamentaire

Le fils aîné de la famille, James Conroy, est aussi nommé exécuteur testamentaire. Le testament prévoit une compensation pour sa charge familiale lui léguant une subdivision de 7 acres au sud du lot 15, rang 2, sur lequel se trouve aussi l’église presbytérienne à l’angle des chemins de Deschênes et d’Aylmer[42]. James quitte Aylmer pour s’établir à Fort Collins au Colorado avec sa famille après 1870[43]. Il vend le lot 15, rang 2, à Robert Stewart en 1872[44]. De plus, en 1876, James Conroy cède son autorité et l’entière administration des propriétés foncières à sa mère. Ainsi, Mary McConnell est libre de subdiviser ou de vendre ses parts de propriété de l’héritage Conroy. Elle vend d’ailleurs un droit de passage de 4 acres à la compagnie de chemin de fer quelques mois plus tard. James et son épouse, Emily McConnell, maintiennent cependant un rôle central quant à la perpétuation du droit de douaire des Conroy sur le lot 15-a. Emily McConnell est la seule personne ayant acquis un droit de douaire légitime sur cette propriété[45]. Elle est la fille de Richard McConnell et la petite-fille de l’associé, James McConnell[46].

Pendant ce temps, Mary McConnell concentre ses énergies à rentabiliser sa ferme sur le lot 15-a, rang 1 du canton de Hull et à moderniser les infrastructures industrielles qui font naître un village aux abords des rapides Deschênes à partir de 1869. « Du pouvoir économique détenu par les marchands découle leur influence sociale[47]. » Dame Mary McConnell[48] ou la veuve Mrs Robert Conroy est une de ces femmes pionnières qui a amené le rail[49] vers sa grande ferme laitière, ses hôtels, ses scieries et ses industries et, par ses héritiers, l’hydroélectricité aux rapides Deschênes. La famille Conroy sait composer avec le risque du démarrage et de l’expansion des entreprises en Outaouais. Cette femme assure la position socioéconomique privilégiée de la famille Conroy parmi l’élite régionale à la suite du décès de son époux.

[Conroy Lumber Mills]
Bibliothèque et Archives Canada, a013224-v6,
MIKAN # 3371910

b) L’inventaire après décès de Robert Conroy

En 1880, Mary McConnell est condamnée par la Cour supérieure à verser 246 217 $ à la Banque de Québec[50]. Elle transfère alors une part de ses propriétés à ses fils, Robert Hughes et William Jackson[51]. Devant cette situation trouble, la famille Conroy réorganise ses actifs afin de protéger ses intérêts. Les problèmes légaux de Mary McConnell expliquent probablement le dépôt de l’inventaire après décès de Robert Conroy douze ans après sa mort[52]. Cet inventaire résume l’ensemble des biens immobiliers accumulés par les époux en communauté de biens. « La communauté de biens, automatique en l’absence d’un contrat de mariage, mettait en commun les biens (meubles et immeubles) acquis durant le mariage, les revenus produits durant cette période ainsi que les biens et meubles possédés par les conjoints au moment de l’union[53]. » Il n’y a aucune mention des effets personnels du défunt comme il est souvent la coutume dans de tels inventaires. « Suivant le temps écoulé entre le moment du décès et la rédaction de l’inventaire, le contenu de l’acte est plus ou moins susceptible de rendre fidèlement l’ensemble des biens d’une personne ou de sa communauté[54]. »

Les couples d’origine britannique contractaient majoritairement en séparation de biens vu que la communauté de biens est étrangère au droit anglais au 19e siècle[55]. Ainsi, cette situation contraire aux coutumes britanniques par le choix de ce régime matrimonial laisse peu de doute sur le fait que Mary McConnell précise son régime matrimonial en communauté de biens[56]. « La communauté des biens était assez favorable, d’un point de vue économique, si le couple prospérait et pouvait acquérir des terres ou d’autres immeubles, car l’épouse était propriétaire de la moitié de ces avoirs[57]. » L’usage du « droit civil à la française » dans la gestion de la moitié de ses biens laisse la possibilité à la veuve et tutrice de contracter des hypothèques sur sa part des biens sans pour autant nuire aux parts de ses enfants. La communauté de biens laisse ainsi le droit à la famille à un douaire[58]. Cet inventaire laisse entendre que la famille Conroy formalise de façon définitive le droit de douaire sur leurs propriétés foncières au début des années 1880[59].

4. Protection des biens fonciers de la succession en terre de colonisation

L’inventaire après décès de Robert Conroy introduit le terme Homestead pour décrire certaines propriétés, soit le Homestead Symmes Landing et le R & W Conroy’s Homestead. Cette expression décrit la partie de la propriété où sont surtout installées les industries et les installations de la ferme d’en arrière. Mary McConnell a transformé les terres d’un vieux poste de traite en grande ferme où se multiplient les industries. Elle entreprend les travaux de construction d’au moins une scierie et elle modernise le moulin à farine à grande production. Ces industries mènent Deschênes à son âge d’or entre 1870 et 1920. Cette dame d’affaires d’Aylmer lègue aussi à ses enfants une grande ferme laitière prospère et moderne à une distance de marche des industries.

Le lot 15 est une source importante de revenus de la famille Conroy au 19e siècle. En plus d’être bâtisseuse en région de colonisation, Mary McConnell vit avec les transformations législatives affectant le droit de douaire des femmes au 19e siècle. C’est alors en tant que veuve qu’elle entreprend les démarches nécessaires pour se prévaloir du « droit à la française » dans les documents légaux. Cette procédure est nécessaire pour garantir le droit de douaire. « Ainsi, le nouveau Code civil adopté en 1866 exige que le douaire coutumier, qui avait été épargné par les modifications apportées dans les années 1840, soit désormais soumis lui aussi à la procédure d’enregistrement. » Il y a aussi certaines circonstances qui peuvent faire de leur condition financière une réalité assez fragile[2] surtout dans les domaines du bois et du transport.

P154,S1,D29, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Mary McConnell, Centre des archives de l’Outaouais, Fonds Famille Conroy, Photographie Notman.

Ensuite, Mary McConnell affirme son statut matrimonial en communauté de biens[1] et, dans les documents légaux successifs, il y a des traces de plus en plus évidentes qui laissent entendre que les héritiers de la famille Conroy se prévalent du droit de douaire à la période où s’amène le rail à Deschênes. Les fils, Robert Hughes et William Jackson, se lancent alors en affaire sous le nom de R & W Conroy. Ils protègent ainsi les propriétés de la famille Conroy de leurs créanciers. Ils séparent leur entreprise des terres sur lesquels se situent leurs industries. Ils peuvent ainsi financer le risque de leurs entreprises à Deschênes sans perdre la part de l’héritage qui leur revient à l’ensemble des héritiers et des héritières de la famille Conroy à la fin du 19e siècle.

C’est en 1902 que les héritiers et les héritières commencent à vendre leurs biens immobiliers à la suite des problèmes financiers des entreprises R & W Conroy. Cette période correspond à la vente de certaines parcelles du lot 15-a à la Commission des terres de la Couronne. Par contre, les entreprises démarrées par la famille Conroy poursuivent leurs opérations et elles conservent leurs droits de passage sur les terres de la Couronne. La Compagnie du Canadien Pacifique et la raffinerie de nickel s’installent sur une bonne partie du lot 15-a au début du 20e siècle. Aujourd’hui, une grande partie de ces terres appartiennent à la Commission de la capitale nationale du Canada (CCN).

Ce parc riverain témoigne toujours de la prise de possession de ce bien foncier par une femme d’affaires qui a su préserver les dernières traces du droit de douaire et les transformations du statut juridique des femmes et des droits de la famille dans un canton du Bas-Canada au 19e siècle.

Notes de bas de page

[1] Bradbury explique : « These particuliar legal identities of wifes mattered. When married women interacted with the business world, they were identified not just as wives but as wife common to their goods, wives separate as to their goods, or wives married in exclusion of community » dans Bradbury, Wife to widow, p. 85. Dans le cas particulier de Mary McConnell, ce n’est que lorsqu’elle est veuve que son régime matrimonial se définit. Étant née au Bas-Canada et en absence d’un contrat de mariage, ce statut légal est la norme pour les femmes de cette époque.

[1] Gaffield, L’histoire de l’Outaouais, p. 136.

[2] Ibid.

[3] BAnQ,  P 154, D7, Transfert des propriétés de l’inventaire Mary McConnell à Robert H. et W. J. Conroy, 27 septembre 1880, Lib. B, Vol. 24, Part. 780, No 665.

[4] BAnQ, P 154, S3, D1 / 1, Déposition de l’Affidavit de Murdoch McGillivray faite par Charles Symmes, à Aylmer, 1er juin 1857.

[5] Richard McConnell est le fils de l’associé James McConnell. Sa fille, Emily, épouse James Conroy, le fils de Mary et Robert Conroy en 1864. Voir – Parish register for Saint James’s Church, Hull, Quebec, covering the years 1868-1886, Parish Register 447, page 12. BAnQ, P154, D7, Deed of sale, Maria Jane Conroy, John Nelson, Mary Conroy, John S. Dennis jr., James Conroy, Eleanor Conroy, Alfred Driscoll and Ida H. L. Conroy to Robert Hughes Conroy & W. J. Conroy, registered in the County of Ottawa, Vol. 9, A, 7th day of May 1887. C’est dans cet acte de vente qu’Emily McConnell fait reconnaître son droit douaire sur le lot 15-a. Le mot « DOWER » y est clairement énoncé. Cet acte de vente démontre aussi le pouvoir légal des femmes de la famille Conroy à transiger leur bien foncier. Elles ont autant d’autorité dans les transactions immobilières que leurs époux. Aussi, cet acte demeure vague quant aux titres fonciers des Conroy.

[6] BAnQ, P154, D1 D1 / 1, Déposition de l’Affidavit de Murdoch McGillivray faite par Charles Symmes, à Aylmer, 1 juin 1857.

[7] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 20-21.

[8] Taché, Nord de l’Outaouais, p. 207.

[9] Tassé, Vallée de l’Outaouais, p. 34.

[10] Aldred, Le chemin d’Aylmer, p. 188-189.

[11] Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British, p. 25.

[12] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 6.

[13] Jacques Séguin,  « Un peu d’histoire… », Une communauté chrétienne vivante, Saint-Médard d’Aylmer, 1923-1998, Paroisse de Saint-Médard, 1998, p. 21 et Brault, Aylmer d’hier, p. 233.

[14] LabMIT, Le quartier Deschênes, p. 25 ; BAnQ,  P154, D6, Liste d’inventaire après décès de Robert Conroy, 1879. La liste d’inventaire spécifie qu’il y a 80 vaches, 20 vieux chevaux et 12 poulains de moins de trois ans.

[15] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 7.

[16] Bradbury, Devenir majeure, p. 35.

[17] Evelyn Kolish, « Depuis la Conquête : les Canadiens devant deux droits familiaux », Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 39, 1994, p. 17.

[18] Les actes notariés sont permis dans les townships à partir de 1826. Ces actes démontrent aussi les pratiques subordonnées à la « loi française ». Les documents se conformant à la Coutume de Paris sont habituellement écrits par un notaire. Voir Bradbury, Wife to Widow, p. 153.

[19] Bradbury, Devenir majeure, p. 36.

[20] Collectif Clio, Histoire des femmes du Québec, p. 165.

[21] Bradbury, Devenir majeure, p. 37.

[22] Brierley, The Co-existence of Legal Systems in Quebec, p. 286.

[23] Collectif Clio, Histoire des femmes du Québec, p. 165.

[24] Ibid.

[25] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 18. Guitard ajoute : « De plus, le village de Deschênes a son premier plan cadastral en 1884, et il est modifié en 1887. »

[26] Gérald Bernier, et D. Salée, « Appropriation foncière et bourgeoisie marchande : éléments pour une analyse de l’économie marchande du Bas-Canada avant 1846 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 36, n° 2, 1982,

  1. 185.

[27] James McConnell, frère de William McConnell, meurt en 1851. Quant à Charles Dewey Day, le fils d’Ithamar, il vend vraisemblablement le moulin à scie lors de la vente du lot 15-b à Louis Maurille Coutlée le 16 août 1850 selon Guitard, Quartier de Deschênes, p. 17. Guitard ajoute : « Coutlée avait emprunté l’argent pour l’achat de cette propriété à 2250 £ à quelques voisins (Stewart, Foran, Tufts, Bourgeau, Montmarquet). Les sommes dues passèrent d’un créancier à l’autre et par la Cour Supérieure. » Ibid. p. 17-18.

[28] Il vend le lot 15-b, rang 1 et les améliorations apportées par son père, Ithamar, avant son départ en 1831.

[29] BAnQ, P 154, D1, Acte de vente et de transfert des titres de propriété, 30 mai 1857.

[30] Elaine Howes, The Descendants of Robert McConnell & Eleanor McDonald, The Island Register, http://www.islandregister.com/mcconnell1.html (Consulté le 19 novembre 2013). Voir aussi l’annexe 3, Arbre généalogique, aux pages 92, 93 et 94.

[31] BAnQ, P154, S3, D1/1, Lettre de Renaldo McConnell : « That he is acquainted with the sale his father made of half of lot no 15 in the first range of Hull to Mr Day but he, Ithmar noting of any arbitration  having to them place between his late father and Mr Day relating to the said lot no 15 on the first range aforesaid and does not  believed  that any such arbitration ever took place. ».

[32] Ibid.

[33] BAnQ, P 154, D1, Acte de vente et de transfert des titres de propriété, 30 mai 1857.

[34] Il y a peu de preuve du réseau d’influence politique des Conroy parmi l’élite conservatrice de la province du Canada. En fait, la famille Conroy est proche de cette élite grâce à son luxueux hôtel British. D’ailleurs, le prince de Galle est venu assister à un bal à l’occasion de son passage à Aylmer en 1860 (Bégin, Auberge Conroy, p. 39). Selon les rumeurs, l’assassin de Thomas D’Arcy McGee s’est brièvement présenté aux funérailles de Robert Conroy, décédé le 8 avril 1868, le lendemain du meurtre (Ibid. p.41). John A. McDonald (Ibid. p. 44) était aussi familier avec ce fameux hôtel d’Aylmer, toujours selon les rumeurs, et Louis Cyr est aussi de la liste des invités de passage en 1898 (Ibid. p.46). Enfin, en 1895, il s’y tient une réunion entre Mackenzie Bowell (premier ministre du Canada), Sir Charles Tupper (son successeurs quelques mois plus tard), Adolphe Caron (ministre des postes) et Julius G. Lay du consul général des États-Unis au Canada. Ces hommes séjournent pendant la même période où se discute la questions des problèmes scolaires au Manitoba (Ibid. p. 30).

[35] BAnQ, P 154, D2/1. Lettre au député Thomas Lewis Drummond. La lettre est d’un auteur inconnu. « Thomas Lewis Drummond, the Irish born lawyer and politician who had studied with Charles Dewey Day and also defended Patriots following the Rebellions, described the Registry Ordinance as «  a law that would never have been passed by a free legislature » Note chap.-4.65 dans Bradbury, Wife to Widow, p. 135. Cette citation démontre les changements importants au droit civil du Bas-Canada à la veille de l’Union des deux Canadas. Il est aussi intéressant de voir que Mary McConnell ou tout autre auteur de cette correspondance de la famille Conroy fait appel à un collègue de Charles Dewey Day pour introduire devant le parlement du Canada-Uni cette « affaire » en lien avec le transfert des titres de propriété du lot 15-a.

[36] BAnQ, P154, S3, D1/1, Liste des documents concernant la propriété du lot 15, rang 1, et une partie du lot 15, rang 2, du Canton de Hull entre 1850 et 1887. « Liste enregistrée au Bureau d’enregistrement du Canton de Hull, signée par Louis Duhamel, protonotaire du Bureau d’enregistrement » et dans Guitard, Michelle, Secteur Deschênes, p. 18.

[37] Kolish, Depuis la Conquête : les Canadiens devant deux droits familiaux, p.16.

[38] Traduction libre de : « By which he bequeathed the usufruct of his moveable & unmovable property to Mary McConnell during her lifetime and after her death the full and absolute property to be divided among his children. » BAnQ, P154, D1, Enregistrement du testament de Robert Conroy, 11 avril 1868, « Liste d’enregistrement foncier, 1850-1887, Comté d’Ottawa, Province du Québec, signée devant le registraire, Louis Duhamel.

[39] Bradbury, Wife to Widow, p. 158.

[40] BAnQ, P154, D1, Enregistrement du testament de Robert Conroy, 11 avril 1868, « Liste d’enregistrement foncier, 1850-1887, Comté d’Ottawa, Province du Québec, Signée devant le registraire, Louis Duhamel ». Dans la marge de cette liste, il est indiqué « With reserves however & with ».

[41] BAnQ, P154, D7, Acte de vente et transfert de l’héritage de Charlotte Conroy, 5 mai 1881, pres. B, vol 25, no 528, 455. ; BAnQ, P154, D7, Deed of sale, Maria Jane Conroy, John Nelson, Mary Conroy, John S. Dennis jr., James Conroy, Eleanor Conroy, Alfred Driscoll and Ida H. L. Conroy to Robert Hughes Conroy & W. J. Conroy, registered in the County of Ottawa, Vol. 9, A, 7th day of May 1887.

[42] Ibid. et dans Aldred, Chemin d’Aylmer, p. 179.

[43] James Conroy fait baptiser son fils à Aylmer en 1870. Parish Register 434, Parish Register for Christ Church, Aylmer, Quebec, covering the years 1866-1886, folio 15. Il est noté que James Conroy est marié à Emily McConnell. Elle est la fille de Richard (fils de James McConnell) et alors, la cousine de James McConnell.

[44] BAnQ, P 154, D1, Enregistrement de la vente du lot 15, rang 2 de James Conroy à Robert Stewart, testament de Robert Conroy, « Liste d’enregistrement foncier, 1850-1887, Comté d’Ottawa, Province de Québec, signée devant le registraire, Louis Duhamel ».

[45] L’acte notarié de Charlotte offre un regard détaillé sur la redistribution du patrimoine entre les héritiers Conroy à la suite du décès de leur sœur en 1881. Il décrit en détail le bien foncier des héritiers Conroy et il mentionne le droit douaire dont bénéficie Emily McConnell sur le lot 15-a dans BAnQ, P154, D7, Acte de vente et transfert de l’héritage de Charlotte Conroy, 5 mai 1881, pres. B, vol 25, no 528, 455. De nouveau, le droit douaire est mentionné dans l’acte de vente suivant : BAnQ, P154, D7, Deed of sale, Maria Jane Conroy, John Nelson, Mary Conroy, John S. Dennis jr., James Conroy, Eleanor Conroy, Alfred Driscoll and Ida H. L. Conroy to Robert Hughes Conroy & W. J. Conroy, registered in the County of Ottawa, Vol. 9, A, 7th day of May 1887.

[46] Acte de mariage entre James Conroy et Emily McConnell. Parish Register 447, Saint James Church, Hull, Quebec, covering the years 1868-1886, page 12.

[47] Lise St-Georges, « Commerce, crédit et transactions foncières : pratiques de la communauté marchande du bourg de l’Assomption, 1748-1791 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 39, n° 3, 1986, p. 343.

[48] D’un air très sérieux, la photographie, de Dame Mary McConnell, montre la veuve dans ses habits de veuvage typique des femmes affirmant leur autorité dans la gestion du patrimoine familial au 19e siècle. BAnQ, P154, S1, D29, Fonds de la famille Conroy, « Photographie, Mary McConnell », Studio Notman (Ottawa). Ce portrait rappelle que Mary McConnell peut négocier ses hypothèques et à gérer ses biens fonciers. Elle montre par ses habits son statut social de veuve. À ce sujet, voir Bradbury, Wife to Widow, p. 207-209.

[49] Le nom de Mrs Mary Conroy paraît sur le plan du tracé du chemin de fer menant à Aylmer dans BAnQ, E25, S105, SS4, D878, Fonds du Ministère des Travaux publics et de l’Approvisionnement, W. Dale Harris, Plan du tracé du Pontiac and Pacific Junction Railway, – 400 pieds : 1 po. – 23 avril 1888, Québec.

[50] BAnQ, P154, D1, Enregistrement du jugement de la cour supérieure du district d’Ottawa, 18 septembre 1880,

no 598. Les documents légaux du fonds de la famille Conroy n’offrent aucune explication à ce sujet.

[51] Ibid.

[52] Ibid.

[53] Thierry Nootens, « Des privations ne peuvent pas constituer une fortune : les droits financiers des femmes mariées de la bourgeoisie québécoise face au marché, 1900-1930 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 65, no 1, 2011, p. 62.

[54] Yvan Morin, « La représentativité de l’inventaire après décès : l’étude d’un cas : Québec au début du XIXe siècle», Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 34, n° 4, 1981, p. 521.

[55] Bradbury, Wife to Widow, p. 78-79 ; Kolish, Depuis la Conquête, p. 17.

[56] « May by the death of the said Robert Conroy and the said Mary McConnell as having bien communal en biens (communal et biens soulignés dans le texte) with the said late Robert Conroy, seized and rested with the one undivided half of the said real estate here therefore described which was all acquired during the existence of the said community ». BAnQ, Fonds Conroy, P 154, D7, Fonds de la famille Conroy, Inventaire après décès de Robert Conroy, Aylmer, 11 novembre 1880, Centre d’archives de l’Outaouais.

[57] Bradbury, « Devenir majeure : la lente conquête des droits », Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 21, 1990, p. 36.

[58] Ibid.

[59] Jeune avocat en droit civil, Robert Hughes Conroy, écrit lui-même l’inventaire après décès de son père de la famille selon la copie de 1879.

[1] L’acte après décès (1880) mentionne : « (…) with the store cottage, known as the homestead. » BAnQ, P154, D7, Fonds de la famille Conroy, Acte après décès de Robert Conroy (1880).

[2] Nootens, « Des privations ne peuvent pas constituer une fortune », p. 61.

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Robert Conroy aux premières heures du village d’Aylmer

Robert Conroy aux premières heures du village d’Aylmer

Vers 1830, la région de l’Outaouais est en pleine transformation grâce à l’essor de l’agriculture et du commerce du bois, aux manufactures aux chutes Chaudières et à la construction du canal Rideau. Les chutes et les petits rapides Chaudières ainsi que les rapides Deschênes forment une barrière naturelle qui sépare les cours inférieur et supérieur de la rivière des Outaouais[1]. Ainsi, cette barrière pose un problème au transport de la marchandise et aux mouvements migratoires vers l’ouest de la région de l’Outaouais au début du 19e siècle. De ce fait, les voyageurs sur la voie navigable doivent nécessairement débarquer de leur embarcation aux chutes Chaudières et transiter par le chemin d’Aylmer pour atteindre, par le lac Deschênes, la partie supérieure de la rivière des Outaouais.

Cependant, certains visionnaires de l’époque savent tirer profit de cet obstacle naturel. C’est le cas de Robert Conroy, un jeune Irlandais né en 1811 à Magherafell dans le Comté de Derry[2], qui arrive au bas des chutes Chaudières en compagnie des frères McGillivray, des marchands de Montréal, au début des années 1830[3]. Ces hommes célibataires sont de l’ancienne Compagnie du Nord-Ouest fusionnée en 1821 à la Compagnie de la Baie d’Hudson qui délaisse alors les opérations de Montréal au profit des postes de traite nordiques de la baie d’Hudson. Les environs des chutes Chaudières sont désormais ouverts aux négociants de fourrure indépendants de l’ancienne Compagnie du Nord-Ouest de Montréal[4]. Dès son arrivée, Robert Conroy s’investit dans les activités de transbordement dans les environs du lac Deschênes et « […] devient l’un des entrepreneurs les plus énergétiques à s’établir à Aylmer[5]. »

En 1837, Robert Conroy épouse Mary McConnell, la fille de William, un des trois frères McConnell faisant partie du groupe d’associés de Philemon Wright lors de l’établissement du canton de Hull[6]. Ces frères développent de grandes fermes le long du chemin d’Aylmer. De plus, leurs concessions forestières les mènent jusqu’au pied du lac Témiscamingue[7]. Cette famille connait très bien les difficultés de déplacement et d’accès aux ressources sur la rivière des Outaouais, y ayant voyagé à maintes reprises.

Pendant ce temps, en amont des chutes Chaudières, l’introduction des premiers bateaux à vapeur augmente l’activité fluviale à L’abord-à-Symmes d’Aylmer qui prend vite figure d’un port de mer au Bas-Canada[8]. « La vocation d’Aylmer comme lieu de transbordement de marchandises accéléra son développement. La route d’Aylmer, lien entre Aylmer et Hull, devient l’axe le long duquel s’établirent les premiers colons[9]. » Robert Conroy profite de ces installations en s’associant au neveu de Philemon Wright, Charles Symmes, qui « […] peut être à bon droit considéré comme le fondateur de la ville d’Aylmer[10]. » Conroy se porte finalement acquéreur de L’abord-à-Symmes quelques années plus tard[11].

En outre, Robert Conroy ne lésine pas sur le travail. Déjà, en 1834, Robert Conroy érige son premier hôtel, le Aylmer, à proximité des bâtiments construits sur la rue Principale en 1822 par les Wright pour Charles Symmes[12]. À la fin des années 1830, Robert Conroy entreprend la construction de son fameux hôtel British[13] « […] à l’époque où Bytown n’avait alors qu’une simple cabane en bois rond comme hôtel, près du pont des Sapeurs[14]. » L’hôtel British est un haut lieu d’activités dans le village d’Aylmer, servant autant pour les soirées mondaines que d’église, d’école, de salle d’assemblée au premier conseil municipal et, temporairement, de Cour supérieure du district d’Ottawa. Par ses hôtels, Robert Conroy joue un rôle politique important dans la région en plus d’être un acteur imposant dans le recrutement et l’établissement de la main-d’œuvre et des colons[15].

C’est à partir de 1848 que la famille Conroy délaisse en partie ses opérations hôtelières[16] pour profiter de l’essor de l’industrie forestière et de l’activité fluviale sur la rivière des Outaouais[17]. Entre 1840 et 1850, Robert Conroy ne détient toujours aucune limite forestière[18], malgré le fait qu’il soit un négociant de bois et un marchand (lumberer[19]) ayant rapporté de nombreux radeaux de bois sur la rivière des Outaouais. En fait, il profite des concessions forestières du magnat de l’industrie du bois, John Egan, dans les comtés de Renfrew (Canada-Ouest) et du Pontiac (Canada-Est)[20]. À Bonnechère[21], dans le comté de Renfrew, Conroy aménage un quai d’embarquement et un magasin-entrepôt qui donnent accès aux limites forestières de Egan[22]. Le quai permet alors d’acheminer le bois jusqu’au bas des rapides des Chats sur la rivière des Outaouais[23]. Les bateaux à vapeur s’affairent à remorquer les radeaux de bois assemblés en amont du lac Deschênes. Grâce aux vastes limites forestières de la famille McConnell et de John Egan ainsi que ses liens avec les marchands de la région, Robert Conroy se démarque dans l’acheminement des ressources forestières de l’Outaouais.

Par ailleurs, Robert Conroy est du groupe de bâtisseurs d’Aylmer en devenant un actionnaire important dans les entreprises locales. Il s’implique financièrement auprès des marchands locaux en développant, entre autres, l’Aylmer Union Steam Mill Company[24], l’Aylmer Bakery[25], l’Upper Ottawa Steamboat Company[26] et The Bytown & Aylmer Union Turnpike Company[27]. Cette dernière voit au financement du projet de reconstruction et d’entretien du chemin d’Aylmer qui génère des profits grâce à deux postes de péage. Cette route macadamisée[28] relie les auberges Conroy d’Aylmer au pont de l’Union à Bytown (Ottawa)[29]. Un service de diligences y circule ce qui fait des établissements Conroy l’un des premiers groupes à offrir un service permanent de transport dans la région[30].

Cependant, le succès ne sourit pas toujours à Robert Conroy. Par exemple, en 1854, il se joint, à titre d’actionnaire, au projet du Montreal & Bytown Railway qui envisage d’instaurer une ligne de chemin de fer reliant Montréal à Bytown par la rive nord de la rivière des Outaouais[31]. La malchance et les difficultés financières de cette compagnie à charte conduisent à l’abandon de la construction de cette ligne de chemin de fer[32]. Montreal & Bytown Railway n’a réussi qu’à bâtir le tronçon Carillon-Grenville à la fin des années 1850[33].

À cette époque, la diversification économique est une mesure essentielle pour protéger les négociants du bois devant l’incertitude des marchés extérieurs où les investissements sont sujets aux soubresauts de l’offre et de la demande. « Étant donné la forte stratification des groupes économiques dans la région, quelques membres se révèlent plus en mesure que d’autres de se protéger : certains font face à la faillite, d’autres à la misère[34]. » Les Conroy savent faire preuve de stratégie en élargissant leur inventaire foncier par l’acquisition de propriétés dans le comté d’Ottawa (Canada-Est), de Nepean, de Renfrew et d’Hasting (Canada-Ouest)[35]. La prospérité de Robert Conroy et de sa famille devient évidente, quand, en 1855, ils aménagent une des résidences de pierre des plus prestigieuses à Lakeview, au cœur du village d’Aylmer[36].

Dès 1857, la famille Conroy prend possession d’un vaste ensemble de terres riveraines du patrimoine de la famille McConnell, près des rapides Deschênes, sur le premier rang du canton de Hull, parmi les territoires les plus parcourus par les voyageurs naviguant sur la rivière des Outaouais depuis plusieurs siècles. Ces propriétés, situées le long des chemins d’Aylmer et de Vanier, sont traversées par les routes principales qui assurent le mouvement migratoire vers le nord et l’ouest de la région de l’Outaouais. De plus, ils possèdent également deux grandes fermes[37], des scieries, une meunerie, des logements de location pour les travailleurs[38], un inventaire de magasins-entrepôts, des hôtels à Aylmer, des actions dans les entreprises locales et des quais d’embarquement sur le lac Deschênes[39]. Ainsi, Robert Conroy a, en un coup d’œil, un regard sur les groupes de voyageurs descendant ou remontant l’Outaouais supérieur à partir de L’abord-à-Symmes ou aux rapides Deschênes. Donc, par l’acquisition des différents lots du premier rang, les Conroy s’assurent de la rentabilité de leurs entreprises et d’un héritage à léguer à leurs enfants.

Le parcours de Robert Conroy ne s’arrête pas là. En plus d’exercer un rôle majeur sur l’économie d’Aylmer et de la région de l’Outaouais, il s’investit en politique municipale. À cette époque, Aylmer devient le premier village incorporé de la région, avant Hull et Bytown. Conroy fait partie du premier conseil municipal à titre d’échevin entre 1847 et 1849. Il en devient maire, de 1857 à 1860, puis à nouveau conseiller de 1860 à 1862 et, enfin, il est réélu maire en janvier 1866 jusqu’à sa mort, le 5 avril 1868, à l’âge de 58 ans. Il repose désormais au cimetière Bellevue.

Ainsi, durant la première partie du 19e siècle, Robert Conroy contribue au développement de l’industrie forestière, des voies de communication et du réseau de transport en Outaouais. Bref, ce fin renard a su faire fructifier ses actifs où plusieurs ont échoué. Il demeure qu’il n’aurait pu arriver à se démarquer dans l’économie régionale sans l’appui de son épouse, Mary McConnell, et de sa belle-famille. En outre, il a su collaborer avec l’élite locale pour tirer son épingle du jeu.

Le décès de Robert Conroy et de plusieurs bâtisseurs d’Aylmer, en 1868, va marquer la fin de l’âge d’or de cette petite communauté riveraine sans pour autant marquer la fin de la famille Conroy à cet endroit. La veuve, Mrs Robert Conroy, et ses enfants sauront faire valoir leur savoir-faire et leur sens de l’initiative, ce qui mènera l’Outaouais à l’aube de sa plus grande période d’industrialisation.

Par Lynne Rodier et Sophie Tremblay

NOTES

[1] Pommainville, Les bateaux à vapeur d’Aylmer, p. 30.

[2] Gourlay, The Ottawa Valley, p. 172.

[3] Wilson, A history of old Bytown and Vicinity, p. 67.

[4] Guitard, Quartier de Deschênes, p. 8.

[5] Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British, p. 23.

[6] Howes, The Descendants of Robert McConnell & Eleanor McDonald.

[7] Gard, Pioneers of the Upper Ottawa.

[8] Taché, Nord de l’Outaouais, p. 204 ; Leroux L’autre Outaouais, p. 113 ; Pommainville, Les bateaux à vapeur d’Aylmer, p. 30-33 ; Bégin, Le chemin et le «port» d’Aylmer, p. 6.

[9] Aldred, Le Chemin d’Aylmer, p. 25.

[10] Taché, Le Nord de l’Outaouais, p. 203.

[11] BAnQ, P154, D8, Inventaire d’évaluation de R & W Conroy’s Real Estate, Will Property and Timber Limits, 30 novembre 1883 ; Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British, p. 23 ; Beaulieu, Leclerc et Lapointe, Aylmer et l’industrie du bois de sciage, p. 36

[12] Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 24.

[13] Blair, Villes et villages de la région de la Capitale nationale, p. 56 ; Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 25.

[14] Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 26.

[15] Tiré du journal Ottawa Citizen : « The following gentlemen, resident in the neighbourhood will furnish on application all needful advice and information; and they have undertaken to give the fullest direction to Emigrants, whether their subject be labour or settlement; – Joseph Aumond, Esq. Bytown; Messrs, C & R McDonnell, do; John Egan & Co., Aylmer; John Foran, Esq.; Robert Conroy, Esq., do; […] dans Reid, Upper Ottawa Valley, p. 168.

[16] Sur l’enregistrement de baptême de Charlotte Anne Conroy, la mention Tavern Keeper est rayée dans le registre paroissial de l’église Saint James. Saint James, Hull, Lower Canada, covering the years 1831-1853, Parish Register 429, p. 129.

[17] Bégin, De l’auberge Conroy à l’hôtel British, p. 37.

[18] Reid, The Upper Ottawa Valley to 1855, p. lxvi.

[19] Parish register for Saint James’s Church, Hull, Lower Canada, covering the years 1831-1853, Parish Register 429, p. 129.

[20] Lee, The Lumber Kings & Shantymen, p. 27 ; Reid, Upper Ottawa Valley, p. 168.

[21] Dans Lee, The Lumber Kings & Shantymen, p. 27 : John Egan a deux scieries sur la rivière Bonnechère dans le comté de Renfrew et une autre à Quyon dans le comté du Pontiac. Ces deux localités ont accès aux quais de transbordement de Robert Conroy et aux services des bateaux à vapeur naviguant du bas des rapides des Chats jusqu’à Aylmer.

[22] Reid, Upper Ottawa Valley, p. 168.

[23] BAnQ, P154, D6/1, Inventaire après décès de Robert Conroy, 1879.

[24] Beaulieu, Leclerc et Lapointe, Aylmer et l’industrie du bois de sciage, p. 35.

[25] La construction du moulin à farine introduit l’usage industriel de la vapeur à Aylmer. Les actionnaires sont Robert Conroy, John Egan, Charles Symmes et Harvey Parker, dans Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 25.

[26] Pommainville, Les bateaux à vapeur d’Aylmer, p. 31.

[27] Robert Conroy détient toujours des actions dans cette compagnie à son décès en 1868. BAnQ, P154 D6, Inventaire après décès de Robert Conroy, 1879.

[28] Les procédés de macadamisage consistaient à poser une fine couche de pierre concassée sur la route afin de former une surface de gravier bien tassé permettant de garder l’assiette de la route sèche et solide en tout temps. Dans Aldred, Le chemin d’Aylmer, p. 33.

[29] Aldred, Le chemin d’Aylmer, p. 31 ; Ville d’Aylmer, Symmes, p. 15.

[30] Bégin, Le chemin et le « port » d’Aylmer, p. 6.

[31] Reid, The Upper Ottawa Valley to 1855, p. lxxxvii-lxviii.

[32] Ibid.

[33] Ibid.

[34] Gaffield, L’histoire de l’Outaouais, p. 137.

[35] BAnQ, P154, D6/1, Inventaire après décès de Robert Conroy, 1879 ; BAnQ, P154, D7, Transfert des propriétés de l’inventaire Mary McConnell à Robert H. et W. J. Conroy, 27 septembre 1880 ; BAnQ, P154, D7, Deed of sale, Maria Jane Conroy, John Nelson, Mary Conroy, John S. Dennis jr, James Conroy, Eleanor Conroy, Alfred Driscoll and Ida H. L. Conroy to Robert Hughes Conroy & William Jackson Conroy, registered in the County of Ottawa, Vol. 9, A, 7th day of May 1887.

[36] Aldred, Aylmer, Québec, p. 56 ; Bégin, De l’Auberge Conroy à l’hôtel British, p. 25.

[37] BAnQ, P154, D6/1, Inventaire après décès de Robert Conroy, 1879 ; BAnQ, P154, D7, Transfert des propriétés de l’inventaire Mary McConnell à Robert H. et W. J. Conroy, 27 septembre 1880 ; BAnQ, P154, D7, Deed of sale, Maria Jane Conroy, John Nelson, Mary Conroy, John S. Dennis jr, James Conroy, Eleanor Conroy, Alfred Driscoll and Ida H. L. Conroy to Robert Hughes Conroy & William Jackson Conroy, registered in the County of Ottawa, Vol. 9, A, 7th day of May 1887.

[38] Ibid.

[39] BAnQ, P154, D6/1, Inventaire après décès de Robert Conroy, 1879 ; BAnQ, P154, D7, Transfert des propriétés de l’inventaire Mary McConnell à Robert H. et W. J. Conroy, 27 septembre 1880.

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(Consulté le 16 septembre 2013).

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Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Fonds de la famille Conroy, P154. Centre d’archives de l’Outaouais, Gatineau (Québec).

Bibliothèque et Archives nationales du Québec, E21, S555, SS1, SSS1, PH.17A, Fonds Ministère des Terres et Forêts, Davis, Theodore, Plan of part of the Township of Hull situated on the northerly side of the Ottawa River in the Province of Lower Canada, Signé en 1802, Cartothèque, Centre d’archives de Montréal, Montréal (Québec).

Saint-James. Parish register for Saint James’s Church. Hull, Lower Canada, 1831-1853 [Parish Register 429].

La rivière des Outaouais et ses histoires méconnues

La rivière des Outaouais et ses histoires méconnues

L’histoire de l’Outaouais a évolué au gré des particularités des emplacements géographiques le long de la grande rivière. L’Outaouais est d’abord la voie navigable vers le cœur du continent. Au 19e siècle, la rivière devient aussi une ligne de partage géopolitique, économique et culturelle. Son nom nous révèle déjà une de ses particularités, car ce toponyme est retenu que depuis un peu plus d’un siècle[1]. Il se réfère surtout au nom donné à une nation amérindienne n’ayant jamais occupé le bassin versant de la grande rivière. Cette nation occupe le nord du Lac Huron, ils sont de grands commerçants de nation algique, et Pontiac en est le chef le plus connu de l’historiographie québécoise. Depuis le 17e siècle, les Outaouais utilisent la rivière pour atteindre les Français dans la vallée du Saint-Laurent. Les premiers occupants du bassin versant sont les Algonquins, et la nomment d’ailleurs « Kitchissippi » signifiant la Grande rivière[2]. Ce toponyme est aussi retenu par Joseph Bouchette en 1813[3].

Les cantons sur la "Grand River" en 1802
Joseph Bouchette, A Plan of the new townships on the Grand or Ottawa River, Numéro d’identification : 2663014, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Une histoire de commerce plus de millénaire

Au prime abord, les berges de l’Outaouais se sont formées au retrait des grandes eaux de la mer Champlain, il y a plus de 6000 ans à la fin de l’ère glacière. L’héritage ancestral des Algonquins nous permet par la suite de remonter le temps jusqu’à la fin de la période sylvicole au moment des premiers contacts avec les Européens. Cependant, cette route fluviale est très tôt incorporée aux réseaux routiers du commerce amérindien en Amérique. « Par cette dernière voie, transitent, bien avant l’arrivée des Européens, le cuivre, les pierres à feu, l’obsidienne et les os de baleine[4] ». L’importance économique de la rivière ne peut alors pas être reniée et ce, bien avant l’arrivée des premiers Européens dans la région. En 1613, Samuel de Champlain cartographie le territoire, et il nous fait connaître ainsi les peuples des forêts de l’est.

Carte de Sieur Samuel de Champlain, 1632
Carte de Sieur Samuel de Champlain, 1632

La rivière du Nord

« Pour les coureurs des bois, l’Outaouais était la rivière du Nord, parce qu’elle les menait aux vastes régions giboyeuses des «pays d’en haut », c’est-à-dire les immenses étendues de forêt auxquelles on accédait en remontant le cours des affluents du Saint-Laurent[5] ». Dès lors, l’ensemble des explorateurs, des militaires, des missionnaires et des coureurs des bois emprunte cette route du nord vers les « pays d’en haut » pour rejoindre par cette voie navigable, l’intérieur des différentes régions du continent nord-américain. C’est aussi à cette époque que les Algonquins surnomment ce cours d’eau Mahamoucédé, « la rivière de commerce[6] » ou selon Richard Nadeau, « adawe » signifiant « acheter ou vendre[7] ». Guillaume Dunn nous fait aussi remarquer que « la colonisation fut extrêmement lente à démarrer dans la vallée de l’Outaouais[8] ». Cette terre conserve sa splendeur sous l’occupation des Algonquins jusqu’au début du 19e siècle.

Bibliothèque et Archives Canada : C-002772 Crédit : BAC, No. Acc. 1989-401-4
Groupe de voyageurs autour d’un camp de feu ca. 1870
Source : Bibliothèque et Archives Canada C-002772
Crédit : Bibliothèque et Archives Canada Acc. No. 1989-401-4

Les lieux de portages aux chutes de la Chaudière

La rivière représente un défi de taille pour toute personne s’y aventurant jusqu’à la fin du 19e siècle. Les obstacles naturels font en sorte que de nombreux portages sont de mises pour les contourner. La rive nord de l’Outaouais est le lieu privilégié pour le débarquement lors des portages obligatoires[9]. Cette situation amène les cartographes de l’époque à décrire à leur façon ces lieux de portage. Certains noms des marchands de fourrure sont retenus dans la toponymie des lieux de traite populaires[10], tandis qu’ailleurs ce sont les traductions des noms usuels amérindiens inspirées de la géographie du territoire.

Les rapides de Deschênes

Un de ces lieux de portages d’importance est les rapides de Deschênes que l’on voit apparaître sur les cartes du 19e siècle. Ces rapides sont situés à la pointe le plus au sud de la rivière des Outaouais. L’origine de son nom demeure toujours du débat. Certains historiens attribuent ce nom à la description vague laissée dans les écrits  de Chevaliers de Troyes en 1686 qui rapporte la présence de nombreux chênes dans les environs[11]. La question demeure que le nom « des chênes » se traduit très bien en anglais et que cette terminologie s’utiliserait facilement en cartographie au 19e siècle où toutes les cartes officielles sont de langue anglo-saxonne. Ainsi, cette petite pointe de terre faisant fi aux abords des rapides de Deschênes demeure toujours une énigme à élucider surtout sachant que la famille Miville-Deschênes de Québec et de Trois-rivières est très active dans les environs durant la longue période de la traite des fourrures qui prend graduellement fin vers 1831[12].

Le nom enregistré de "Jacques Miville Sieur desChesnes".  Signature à Québec le 19 octobre 1669 dans le contrat de mariage de Duquet entre Jacques Miville et Catherine de Baillon.  Voir : http://www.miville.com/genealogie.htm
Le nom enregistré de « Jacques Miville Sieur desChesnes ».
Signature à Québec le 19 octobre 1669 dans le contrat de mariage de Duquet entre Jacques Miville et Catherine de Baillon.
Voir : http://www.miville.com/genealogie.htm

Le symbolisme de l’ouverture de la région

Il demeure qu’au tournant du 19e siècle, l’Outaouais est toujours une voie navigable du commerce maintenant son importante économique dans le développement des colonies britanniques et de son expansion vers l’ouest, et ce jusqu’au début du rail dans la région dans la deuxième partie du 19e siècle. Navigants vers cette nouvelle région de colonisation, les Loyalistes, les Américains, les Canadiens, les Irlandais, les Écossais et les Allemands ont tous façonné à leur manière l’environnement et les différents milieux socioculturels sur le bassin versant de l’Outaouais. C’est aussi en 1791 que la rivière devient la ligne de démarcation transfrontalière entre le Bas-Canada et le Haut-Canada. La carte Joseph Bouchette, A Plan of the new townships on the Grand or Ottawa River confirme en 1813 cette ligne de démarcation.  Ainsi le peuplement colonial s’amorce en 1800 que les lieux des trois portages des chutes de la Chaudière deviennent des milieux d’occupation européenne et le fief d’importance du développement économique du Bas-Canada. C’est de ce développement colonial que s’attribue d’abord l’essor de l’économie du bois au Bas-Canada. C’est aussi en Outaouais que le monde politique vit de près l’Union des deux Canada en 1840. D’ailleurs,  c’est aux chutes de la Chaudière qu’est érigé le pont de l’Union en 1841 reliant symboliquement le Haut-Canada au Bas-Canada[13]. Ce symbolisme ne peut qu’accentuer le rôle politique et économique de ces colonisateurs de la région sur l’histoire du Canada.

D’une forêt à une région fortement industrialisée en moins d’un siècle

Ainsi, l’arrivée de Philemon Wright et de son groupe d’associés amorce en moins d’un siècle le peuplement qui voit disparaître cette vaste forêt de chênes et de grands pins au profit d’un amas de villages détenant chacun leur microhistoire. Déjà en 1832, Joseph Bouchette explique que « The inhabitants in 1824 were placed under the superintendence of Mr. Wright, who has adopted various means to excite the industry and secure the comfort and happiness of all classes of his little colony; and perhaps in no part of the province will be found more industry and a better understanding among the settlers, for they seem universally to enjoy a degree of ease and comfort seldom to be met with in settlements of such recent date : every thing exhibits a degree of affluence and social prosperity not reasonably to be expected in settlements formed within 30 years ».

Chaudiere Falls with Bridge over the Ottawa River, Bytown (Ottawa), ( Ontario ), January, 1839 Bibliothèque et Archives Canada, C-000509 SOURCE: ICON 304
Chaudiere Falls with Bridge over the Ottawa River, Bytown (Ottawa), ( Ontario ), January, 1839
Bibliothèque et Archives Canada, C-000509
SOURCE: ICON 304

Alors, le canton de Hull devient un lieu de développement primé dans la colonie basse-canadienne. L’accélération du développement économique transforme radicalement le paysage de l’Outaouais jusqu’à là jalousement conservé par les nations algonquines. Les terres environnantes se peuplent rapidement. Les communautés se développent au même rythme que s’accélère l’économie du bois. Hull devient pour un temps la troisième ville en importance au Québec à la fin du 19e siècle.

Philemon Wright est le leader du canton de Hull, mais qu’en est-il l’histoire de ses associés et de leurs descendants ?

L’Outaouais devient alors un lieu de rencontre de différentes origines et cultures. Chacune des communautés ajoute sa propre essence culturelle aux villages de la région. Il est aussi à noter que certaines de ces microhistoires sont mieux connues que d’autres. Longtemps l’histoire de l’Outaouais s’amorce avec l’établissement de la famille de Philemon Wright. Il demeure que l’histoire de ses associés et leurs descendants est méconnue de l’historiographie québécoise. Il faut rappeler ici que le succès du développement du canton de Hull est un effort de groupes et d’un consensus établis entre les associés et leur chef Philémon Wright. Ainsi passe sous silence l’histoire des hommes et des femmes qui ont contribué à l’essor de ce vaste milieu urbain en Outaouais mieux connu aujourd’hui sous le nom de la ville de Gatineau. Sans renier le rôle de la famille Wright dans le développement de la région, il est temps que s’élargisse l’histoire des débuts de la grande ville de Gatineau. Il se dénote alors rapidement plusieurs contrariétés et plusieurs énigmes qui nuancent l’histoire officielle de la région et des communautés formant aujourd’hui la ville de Gatineau.

Établissement du canton de Hull
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Plan of part of the Township of Hull situated on the northerly side of the Ottawa River in the Province of Lower Canada. Théodore Davis – 1802 – Fonds Ministère des Terres et Forêts; Cote: E21,S555,SS1,SSS1,PH.17A, Cartothèque, Centre d’archives de Montréal.

Le lot 15 sur le 1er rang du canton de Hull

C’est ainsi que cet essai se tourne sur l’historique du premier rang à mi-chemin entre les deux premiers villages du canton de Hull (Aylmer et Hull). Sur ces lieux se révèlent une histoire semée d’intrigues et de mystères. C’est sur le lot 15 qu’il est possible d’avoir un nouveau regard sur les débuts de la ville de Gatineau. Ce n’est que par les traces de son patrimoine qu’il est possible de faire valoir cette histoire qui a peu préoccupé les érudits de notre discipline. Ce lot 15 est situé sur cette pointe de terre d’un ancien lieu de portage  de la Chaudière bien connu et achalandé sur une longue période de l’histoire de l’Outaouais. Ainsi, les sources archivistiques et les vestiges de son patrimoine nous amènent à comprendre autrement l’établissement dans le canton de Hull et les moyens utilisés contribuant entre autres, à l’essor de la bourgeoisie marchande de la région. Il s’offre ainsi un aperçu différencier sur le mouvement migratoire et le développement socio-économique sur la pointe la plus au sud de la région de l’Outaouais.

Sources :

[1] Guillaume Dunn,  « L’Outaouais, l’histoire d’une rivière » Asticou, no 5 (Mars 1970), Société d’histoire de l’Outaouais, p.5. http://www.reseaupatrimoine.ca/documents/Cahier_5_asticou.pdf

[2] Guillaume Dunn,  « L’Outaouais, l’histoire d’une rivière » Asticou, no 5 (Mars 1970), Société d’histoire de l’Outaouais, p. 5. http://www.reseaupatrimoine.ca/documents/Cahier_5_asticou.pdf

[3] Joseph Bouchette, A Plan of the new townships on the Grand or Ottawa River, 1813, Collection des cartes et plans de la BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.  Voir aussi A Plan of the New Townships on the Grand or Ottawa River, 1813 sur le site Parcours du patrimoine à l’adresse https://sites.google.com/site/parcoursdupatrimoine/le-lot-15-rang-i-du-canton-de-hull/1-lecture-geographique-des-rangs-et-des-cantons-en-outaouais-1/c–usage-des-cartes-et-des-plans-anciens-du-19e-siecle/b-a-plan-of-the-new-townships-on-the-grand-or-ottawa-river-1813

[4] Chad Gaffield et al. « La grande rivière des Algonquins : 1600-1650 », L’histoire de l’Outaouais, Les régions du Québec ;6, Institut québécois de recherche sur la culture, 1994,  Québec, p. 81.

[5] Guillaume Dunn,  « L’Outaouais, l’histoire d’une rivière » Asticou, no 5 (Mars 1970), Société d’histoire de l’Outaouais, p. 5. http://www.reseaupatrimoine.ca/documents/Cahier_5_asticou.pdf

[6] Chad Gaffield et al. « La grande rivière des Algonquins : 1600-1650 », L’histoire de l’Outaouais, Les régions du Québec ;6, Institut québécois de recherche sur la culture, 1994,  Québec, p. 78.

[7] Richard Nadeau, « La rivière des Outaouais, la voie royale vers l’ouest », Histoire Québec, vol. 11, no 2, 2005, p. 35.

[8] Guillaume Dunn,  « L’Outaouais, l’histoire d’une rivière » Asticou, no 5 (Mars 1970), Société d’histoire de l’Outaouais, p. 13. http://www.reseaupatrimoine.ca/documents/Cahier_5_asticou.pdf

[9] La géographie de la rivière joue un rôle déterminant sur l’accostage des canots sur les berges. Cette situation s’explique par le fait que les vents dominants de l’ouest érodent davantage les berges du nord formant plus de plages sablonneuses. De plus, le mouvement du courant fluvial est-ouest facilite le débarquement des embarcations sur la rive nord.

[10] Raymond Ouimet,  « Ville de Pointe-Gatineau (1876-1974) – Historique » http://www.gatineau.ca/docs/histoire_cartes_statistiques/archives/docs/pg_hist.htm

[11] Lucien Brault nomme le territoire Des-Chênes et il explique que le nom des rapides Deschênes « vient du fait que de nombreux chênes y poussent sous le régime français selon le chevalier de Troyes en 1686 » et il ajoute que les Algonquins nomment l’endroit « Miciminj » qui veut dire « là où pousse le chêne ». Lucien Brault, Aylmer d’hier / of Yesterday, Institut d’histoire de l’Outaouais, Aylmer, Québec, page 233. Chad Garfield utilise aussi cette source pour confirmer le nom des rapides. Chad Gaffield et al. « La grande rivière des Algonquins : 1600-1650 », L’histoire de l’Outaouais, Les régions du Québec ;6, Institut québécois de recherche sur la culture, 1994,  Québec, p.

Cependant, le Captain Andrew Jackson de Nepean (établissement sur la rive sud des rapides de Deschênes) écrit Deschene sur la carte dessinée et remise avec une pétition aux autorités coloniales en 1831. Archives de l’Ontario, Plan of R 1, c-IV, Nepean, lot 30, con 1 (of), tiré du livre de Bruce Eliot, The City Beyond, p. 11. De plus, la carte d’assurance incendie Goad nomme l’endroit Deschènes. Collection Paul Brunet. « Hull & Vicinity, Que » 1903-1921, Montréal : Chas. E. Goad, Civil Engineer 
- 44 plan(s) : coul. ; 61 X 67 cm, BAnQ, Centre régional des archives de l’Outaouais, cote P61.

Il est alors de mise de se questionner sur l’origine du nom Deschênes car il est aussi connu que la famille de grands marchands de fourrure de Québec est très active dans la région depuis le régime français. Cette activité se poursuit au 19e siècle et cette famille exploite la fourrure pour le compte de la famille McGillivray dont Murdoch travaillant pour la Compagnie du Nord-Ouest et comme traiteur indépendant au poste de traite des rapides de Deschênes. Michael Newton, « La maison Charron : Symbole d’une vision contrariée », Outaouais, Le Hull disparu, Institut d’histoire régionale de l’Outaouais, 1982, p. 12 et Michael Newton, Some notes on Bytown and the fur tradeThe Historical Society of Ottawa, Bytown Pamphlet series. no 5, 1991, p. 3.

[12] Michael Newton, « La maison Charron : Symbole d’une vision contrariée », Outaouais, Le Hull disparu, Institut d’histoire régionale de l’Outaouais, 1982, p. 12 et Michael Newton, Some notes on Bytown and the fur tradeThe Historical Society of Ottawa, Bytown Pamphlet series. no 5, 1991, p. 3.

[13] Archives nationales du Canada, «  Au dessus de la rivière des Outaouais, l’union tient par deux câbles », Les trésors des archives nationales du Canada, Les Éditions du Septentrions, Sillery, Québec, p.  62.